Dans ce cinq étoiles très prisé par les touristes européens, l’air est lourd. Trente huit victimes et des dizaines blessés. Britanniques, Allemands, Belges, Portugais… tous victimes d’un terroriste en cette journée noire pour la Tunisie, qui vit l’attentat le plus meurtrier de son histoire.
Vendredi à la mi-journée, un homme d’une vingtaine d’années entre dans l’hôtel par la plage. Tout sourire, il sort sa Kalashnikov dissimulée dans un parasol et tire en rafales. Il vise sur son passage les personnes installées à la piscine et à l’intérieur de l’hôtel. L’attaque a duré une trentaine de minutes selon plusieurs témoignages.
Même les agents de l’hôtel ont tenté de le stopper selon Zohra Driss la directrice du Marhaba Imperial, mais sans succès, ils n’étaient pas armés. Par conséquent, le chef du gouvernement, Habib Essid, a annoncé que désormais, la police touristique sera armée et déloyée sur les plages et à l’intérieur des hôtels.
En fin de journée, une partie des résidents étaient dans le hall de la réception, valises bouclées, prêts à repartir chez eux.
Le visage tendu, au bord des larmes, un couple d’allemands rescapés de l’attaque lèvent leur verre "nous levons notre verre pour notre deuxième vie". M. Faihl et sa femme étaient à la plage au moment de l’attaque:
"Il a commencé tout de suite à tirer, nous nous sommes enfuis à gauche et nous nous sommes cachés dans le sous-sol avec des agents de l’hôtel. Nous sommes restés deux heures cachés dans cette salle sans lumière".
Sa gorge se noue, "c’est très dommage, car nous avons passé un séjour agréable". Ils n’attendent plus qu’une chose, rentrer chez eux.
Ils ne sont pas les seuls. Dès le lendemain, les touristes affluaient par centaines à l’aéroport d’Ennfidha pour être rapatriés. Hannah rentre avec son amie à Manchester "Nous ne nous sentons plus en sécurité. De plus, le bruit des hélicoptères et des sirènes n’aident pas à apaiser nos esprits."
L’attentat a été revendiqué par l’Etat islamique sur les réseaux sociaux. C’est dans un camp libyen d’Ansaar Chariaa à Sabratha, que Seifeddine Rezgui s’est entrainé au maniement des armes selon Rafik Chelly, secrétaire d’Etat chargé de la sûreté nationale. Le tueur de Sousse et les deux auteurs de l’attentat perpétré contre le musée du Bardo le 18 mars se seraient connus et entrainés ensemble.
Ils ont en effet "quitté clandestinement la Tunisie à la même période. Et en principe, à Sabratha, il y a un seul camp qui entraîne les jeunes Tunisiens" a ajouté R. Chelly. Un camp fondé par deux Tunisiens, Boubaker el-Hakim et Ahmed Rouissi, les chefs du commando responsable de l’assassinat de l’opposant de gauche Chokri Belaid et du député de l’ANC, Mohamed Brahmi selon David Thomson, journaliste à RFI
L’auteur de l’attaque, Seifeddine Rezgui est un "loup solitaire", selon le premier ministre tunisien. Originaire de Gaafour dans le gouvernorat de Siliana, ce jeune étudiant en master à l’Institut supérieur des sciences appliquées et de technologie à Kairouan, assistait régulièrement à ses cours. Il n’était pas connu des services de renseignements et son casier judiciaire était vierge.
Gaafour, une petite ville de 9000 habitants où il a grandi et où vivent ses parents est sous le choc. Une ville périphérique de passage entre l’est et l’ouest du pays traversée par un chemin de fer qui a perdu de son éclat. Dans la vallée de l’oued de Siliana, des montagnes verdoyantes s’élèvent de l’autre côté de la communale.
Au café Nessim, deux hommes s’affairent à la mise en place du café pour la soirée. Les rumeurs vont bon train, Seifeddine aurait été enterré dans la nuit par la police à l’abri des curieux. L’information s’est révélée fausse.
"On en connait plein qui auraient pu faire ça, mais pas lui. C’est incompréhensible. Il faut croire que c’est le principe des cellules dormantes. N’importe qui avec une apparence normale pourrait devenir du jour au lendemain un terroriste, même quelqu’un comme moi", s’étonne un serveur.
Dans l’ancienne partie coloniale de la ville, du côté de la compagnie des chemins de fer, les maisons peintes en bleu et blanc ont des toitures en tuiles rouges. Une pancarte accrochée sur la devanture d’une église en ruine signale que cet endroit fut un jour "la maison du peuple pour la culture".
Dans cette partie de la ville, les rues sont espacées et entretenues, mais en avançant un peu, ces mêmes rues se rétrécissent, la route est endommagée, les maisons à la peinture défraichie et craquelée ont une allure d’inachevée. Souvent, les murs restent nus, toujours prêts pour une éventuelle extension. Tout est en chantier permanent, la mosquée du quartier n’est pas épargnée: les bases du minaret sont là, attendant des jours meilleurs. C’est Hay Ezzouhour, un quartier à la lisière de la ville.
Sur le trottoir en face de chez lui, les jeunes du quartier se sont attroupés. La famille en deuil a commencé à aligner des chaises en plastique pour accueillir les visiteurs. Ici, tout le monde se connait. La veille de l’attentat, Seifeddine était à Gaafour chez ses parents. Il a passé la soirée au café avec des amis. Noomen, affirme qu’ils ont simplement parlé de football "je suis un fan de l’espérance sportive de Tunis, lui, du club africain. On s’est chamaillé comme toujours sur le foot".
Seifeddine est à l’image de beaucoup de jeunes des quartiers populaires. Son père est travailleur journalier, sa mère est au foyer. Parti faire ses études supérieures à Kairouan, il travaille dans le café du quartier de Gaafour pendant les vacances pour subvenir à ses besoins. Deuxième d’une fratrie de quatre enfants, son frère ainé est mort, frappé par la foudre alors qu’il récoltait des fruits dans les champs. Le petit frère est autiste. Une famille très modeste selon, Zohra la voisine d’en face.
Nadhir connait Seifeddine depuis longtemps, même s’ils ne se voyaient plus autant depuis le départ de ce dernier à Kairouan. La peau bronzé, un collier avec un pendentif en forme de feuille de cannbis autour du cou et des cicatrices sur le bras. Il travaille dans la bijouterie de son père et ne rêve que de "6000 dinars pour assurer les frais de sa harga en avion en Europe."
En 2001, Nadhir et Seifeddine ont commencé à danser ensemble le breakdance
"On s’est fait virer de la maison de culture qui ne voulait plus nous accueillir, après on a commencé à danser près de la bibliothèque municipal, mais la police nous a virés et il ont construit un mur pour nous empêcher d’y accéder".
Durant huit ans, ils ont dansé. Seifeddine a posté ses performances sur facebook. Ils avaient du talent mais ils ont dû laisser tomber.
"Dans ce pays, tu veux danser, tu ne peux pas! Regarde le résultat, regarde ce qui est arrivé à un jeune comme Seifeddine. Je ne veux plus rester dans ce pays, il te détruit. Tu fais des études? tu n’as pas d’avenir. Tu travailles? le salaire ne suffit pas. Tu voles? tu vas en prison. Tu veux te marier? tu ne peux pas, pas assez d’argent". L’exclusion a plus d’un nom.
Seifeddine faisait la prière depuis le lycée, mais il n’a jamais montré des signes de radicalité. "Quelques jours avant l’attentat, il m’a vu manger en journée, en plein ramadan, il m’a simplement dit bon appétit", se souvient Nadhir. Les jeunes du quartier se souviennent de Seifeddine comme un garçon pratiquant, sage mais tout à fait normal et "pas complexé".
AbdelKrim Ferchichi est l’imam qui assure le prêche du vendredi à la mosquée du quartier. Il a l’allure d’un salafiste. Une longue barbe, une calotte et un kamis qui s’arrête au-dessus des cheville. Il se dit consterné par l’attaque de Sousse
"J’ai souvent donné des prêches et des leçons pour démontrer les dangers du takfir et de Daech. D’ailleurs, personne de la ville qui n’est parti combattre en Syrie ou en Libye. Le problème, c’est que Seifeddine était à Kairouan pour ses études. Il a dû être influencé là-bas".
Failles sécuritaires et guerre contre le terrorisme
Quelques heures après l’attentat, le visites officielles se multiplient à Sousse. "La guerre contre le terrorisme ne doit pas seulement concerner l’armée et les forces de sécurité, mais tous les Tunisiens" a déclaré Béji Caid Essebsi, le président de la Tunisie dans la réception de l’hôtel Imperial Marhaba.
Le chef de l’Etat et les membres du gouvernement Essid martèlent que "le terrorisme existe dans le monde entier". Pourtant, c’est le deuxième attentat en trois mois et aucune politique sécuritaire n’a été mise en place. Il a fallu plus de 30 minutes pour la police intervienne et stoppe l’assaillant à Sousse. Les autorités tunisiennes donnent l’impression qu’elles sont toujours en retard d’un coup. La sécurisation des plages n’a été décidée qu’après l’attentat de Sousse, celle des musées a dû attendre l’attaque du Bardo.
Sur Europe 1, Beji Caid Essebsi a déclaré qu’il était surpris par ce qui est arrivé. "Le système de protection devait commencer le 1er juillet" selon lui. "Pourtant, ces attaques étaient prévues", pour Sergio Altuna,
"Les menaces étaient claires sur plusieurs plateformes jihadistes. Le 27 février et le 3 mars, des textes ont circulé menaçant directement de s’en prendre aux touristes "les croisés", aux juifs, aux forces de sécurité et même aux médias".
D’autres avertissements ont depuis fleuri sur twitter :
Le groupuscule de l'Etat islamique #EI en #Tunisie menace de s'en prendre à nouveau aux touristes cet été pic.twitter.com/oJYaMoD1SV
— David Thomson (@_DavidThomson) May 5, 2015
Pas de démission, ni de gestes forts, mais des discours appellant à "l’union nationale" et à "la guerre contre le terrorisme".
Une "Union nationale" contre quoi?
Sur les plateaux de télévision, certains commentateurs présentent le respect des droits de l’homme et du citoyen comme une entrave à la sécurité nationale. Selon eux, l’heure n’est plus aux libertés et aux acquis démocratiques mais au renseignement et à une surveillance accrue pour éviter ce genre de drames.
Essebsi, en colère avait également déclaré que les mouvements sociaux à l’instar d’une campagne qui exige plus de transparence dans le secteur des énergies et une répartion plus équitable des richesses, intitulée "Winou el petrol" (Où est le pétrole?) avaient contribué à fragiliser la sécurité du pays.
Par ailleurs, les menaces de dissolution la branche tunisienne de Hizb Ettahrir pourraient avoir l’effet inverse de celui escompté. Ce parti islamiste radical qui ne reconnait pas les Etats nations et appelle à l’instauration du califat, refuse la violence et encadre une frange de la jeunesse islamiste radicalisée.
Selon Sergio Altuna Galan, chercheur au global security institute
"Hizb Ettahrir a condamné fermement l’attaque de Sousse. S’il est dissous, il ne sera plus possible de le surveiller. Ses adeptes vont s’éparpiller, entrer dans la clandestinité et se radicaliser".
Les mouvements sociaux et les libertés sont accusés de constituer un frein à la lutte antiterroriste en l’absence d’une politique de sécurité claire. Pourtant, cela risque de mettre à mal un processus de construction démocratique encore fragile en Tunisie.