Des vendeurs de pesticides et d’engrais à Sanaa confirment que ces substances sont d’origine israélienne. Cette enquête menée par Khuyut corrobore ces informations et met en lumière la présence, sur le marché yéménite, de plusieurs variétés de pesticides interdits, dont certains sont fabriqués en Israël.
A Yarim, dans le gouvernorat d'Ibb, un incident similaire se produit : trois frères ont été hospitalisés. Ils ont inhalé une substance toxique, provenant d'un pesticide appelé Topaz, alors qu'ils le pulvérisaient dans la ferme de leur père, Haj Ali Ghalab.
Après avoir été transféré à la capitale pour recevoir des soins, seul l'aîné des jeunes hommes a survécu, tandis que ses deux frères cadets ont tragiquement perdu la vie. Abdulraqib Ghalab, un proche de la famille, témoigne de l'impact dévastateur sur leur père, leur famille et la communauté locale.
Il exprime à Khuyut sa profonde indignation envers le manque de précaution et l'indifférence lors de l'utilisation de substances dangereuses pour la pulvérisation des cultures agricoles, soulignant particulièrement le non-respect des normes de sécurité qui exigent le port d'équipements de protection.
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Depuis lors, les habitant·es de la région ont pris conscience du danger des pesticides, en particulier ceux identifiés comme provenant d'Israel, indique Ghalab.
Implication des autorités et des commerçants
Selon des documents obtenus par Khuyut, des hauts fonctionnaires du ministère yéménite de l'Agriculture ainsi que des représentant·es du gouvernement collaborent avec des commerçants et des réseaux de contrebande pour inonder le marché yéménite de pesticides toxiques et dangereux.
Parmi ces documents, il y a une lettre de la "Direction générale de la protection des plantes" du ministère de l'Agriculture, adressée au ministre de l'Agriculture du gouvernement de Sanaa. Cette lettre critique la décision de permettre la mise sur le marché de quantités d'insecticides toxiques sous la supervision des autorités de régulation à Sanaa. Selon cette correspondance, ces insecticides auraient dû être retenus en raison de leur toxicité et des risques qu'ils présentent pour la santé publique.
Une autre lettre critique les directives ministérielles ordonnant la libération d’un envoi de bromure de méthyle, saisi au poste frontalier de Rahda, à Taiz. La lettre reproche au ministre d’avoir ignoré les risques associés à ce pesticide, classé comme une substance dangereuse directement responsable de la pollution environnementale.
Dans une troisième lettre, la "Direction générale de la protection des plantes" adresse une demande explicite à "l’Administration de la quarantaine végétale" : les responsables des équipes agricoles stationné·es aux postes de douane yéménites ne doivent libérer aucun envoi de plantes entrant sans un certificat attestant de l’absence de résidus de pesticides.
Cependant, les responsables du ministère de l’Agriculture à Sanaa ont ignoré toute directive visant à punir et à interdire le commerce de pesticides de contrebande.
La santé des Yéménites menacée par l’exposition aux pesticides
L'utilisation de pesticides dangereux a des conséquences graves sur la population yéménite, qui subit les conséquences de la guerre depuis neuf ans. Les hôpitaux, tant au Yémen qu'à l'étranger, sont saturés par l'arrivée massive de patient·es atteint·es de divers types de cancer et autres maladies.
Ces maladies sont souvent liées à la consommation d'aliments contaminés et à l'inhalation de substances nocives, majoritairement contaminées par des pesticides interdits à l'échelle mondiale.
Dans une interview avec Khuyut, Hamdi Al-Yafei, un médecin yéménite, aborde l'augmentation des cas de cancer, dans le pays, pendant la guerre. Il attribue cela en partie à la consommation de qat, une plante locale, ainsi qu'à l'ingestion de fruits et légumes traités avec des pesticides nocifs.
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En plus du cancer, le médecin note une augmentation des cas de maladies gastro-intestinales et de troubles respiratoires comme les pneumonies et l'asthme, ainsi que les maladies de la peau et les allergies, tous attribués aux pesticides toxiques présents au Yémen.
L'Organisation mondiale de la santé (OMS) observe une hausse du nombre de cas de cancer au Yémen. D'après les informations recueillies par Khuyut, l'OMS estime qu'il y a 35 000 patient·es atteint·es de cancer, parmi lesquels 11 000 nouveaux cas sont diagnostiqués chaque année dans le pays.
Au Yémen, de nombreux agriculteurs utilisent des pesticides pour accélérer la maturation des fruits, en particulier du qat, un commerce qui génère d'importantes recettes grâce à sa popularité auprès de la population locale. Selon Ali Al-Ansi, chercheur en sciences agricoles interviewé par Khuyut, l'utilisation intensive de pesticides sur les arbres de qat permet aux agriculteurs de réaliser jusqu'à quatre ou cinq récoltes par an, tandis que l'utilisation d'engrais naturels et de pesticides non toxiques ne permet que deux récoltes annuelles.
“Pendant la guerre, dans les fermes légumières et fruitières, les agriculteurs augmentent l'utilisation de pesticides interdits sur leurs cultures, profitant du manque de contrôle de l'État,” précise le chercheur.
“Il est devenu rare de trouver une ferme au Yémen dont les propriétaires ne dépendent pas de pesticides dangereux et illégaux, car ils accélèrent la maturation des fruits,” déclare Aziz Jubari, fermier.
“Ce problème a des implications graves que beaucoup d’agriculteurs ignorent : ces pesticides peuvent causer de graves dommages aux cultures et altérer la fertilité des terres agricoles dans différentes régions du Yémen," ajoute-t-il.
40 pesticides interdits infiltrent le Yémen
Sur la base d'informations, de données et de sources fiables, y compris les déclarations d'un responsable au ministère de l'Agriculture et de l'Irrigation, Khuyut révèle l'importation à Sanaa de 40 types de pesticides interdits, dont beaucoup sont d'origine israélienne.
Selon les dires de Hani Qayid, un commerçant dans le marché de Shu’ub, les marchands de pesticides à Sanaa confirment qu'ils vendent divers types d'engrais et de pesticides importés, notamment des variétés interdites. "Parmi les pesticides israéliens les plus notables vendus sur le marché sous divers noms, il y a le alfil, la dioxine, le granit, le nimrod, ainsi que d'autres variétés,” détaille Hani.
Selon une étude publiée en 2016, un an après le début de la guerre en cours au Yémen, le marché yéménite accueille 800 marques différentes, avec une quantité atteignant trois millions de litres de pesticides interdits au niveau international.
Dans une publication, Khaled Al-Ruwaishan, ancien ministre yéménite de la Culture, rapporte qu’un Jordanien lui a confié que ses compatriotes étaient surpris de voir des camions israéliens décharger leur cargaison de poisons pour la recharger sur des véhicules en direction du Yémen.
Bien que le nom du pays d’origine soit modifié sur les emballages, les marques israéliennes restent reconnaissables. Malgré cela, l’accès aux marchés yéménites est assuré, que ce soit par le biais de la contrebande ou par des points de contrôle négligents, endormis, désorientés, voire complices.
Une question continue d'intriguer de nombreux Yéménites : pourquoi les pesticides israéliens pénètrent-ils si facilement au Yémen ? Comment cela se produit-il, qui en est responsable et y a-t-il un lien avec la guerre et le conflit dans le pays ?
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