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Amine, 28 ans, photographe indépendant, 3500 dinars par mois, une trésorerie fragile


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29 Juin 2025 |
Amine a 28 ans. Photographe indépendant depuis l’université, il vit de la création visuelle. Entre projets à livrer et paiements en attente, il jongle avec une trésorerie instable et cherche à préserver un certain équilibre. 
Chaque matin, Amine* prend son café à la hâte dans son appartement à Bab Saadoun, avant d’ouvrir son agenda. Tournage prévu à La Marsa, montage à finaliser pour le lendemain, un rendez-vous client au centre-ville entre les deux. La journée démarre sans pause.

“Je n’ai pas vraiment de routine fixe”, raconte-t-il. “Tout dépend des clients, de leurs urgences. Parfois, tu filmes le matin et tu dois livrer le produit le lendemain. C’est une course.” La journée s’enchaîne, sans temps mort. 

Amine vit de la production audiovisuelle. L’émergence des réseaux sociaux a transformé son activité, désormais centrée sur des formats courts, et diffusés en ligne. 

Ce virage s’est amorcé tôt, dès sa deuxième année à l'université : “avant le bac, je composais et je faisais du sound design.” Mais le jeune homme décide de bifurquer vers l’audiovisuel : “je m’y sentais plus libre, plus à l’aise. Pas de studio, pas de cadre rigide.”, raconte-t-il.

Aujourd’hui, il partage son temps entre les tournages, la postproduction et la gestion des contenus à livrer. Il trouve ses client·es via des agences de communication avec lesquelles il a tissé des liens au fil des années, mais surtout par le bouche-à-oreille et ses collaborations régulières avec des personnalités publiques sur Instagram.

"En vrai, 70 % de mon temps, c'est de la post-prod. Et souvent dans l'urgence. La majorité des clients filment aujourd'hui et veulent publier demain. Malgré ça, la qualité reste une priorité."

Voici un aperçu de ses sorties et entrées d’argent mensuelles :

Les rendez-vous professionnels dans des cafés ou restaurants lui coûtent environ 200 dinars par mois, un poste de dépense important qu’il ne peut pas vraiment réduire, malgré ses efforts.

Pour limiter ses charges fixes, il partage un appartement en colocation avec son frère. Ce mode de vie lui permet d’économiser sur le logement, un poste souvent lourd pour les indépendant·es.

En moyenne, Amine consacre deux jours par semaine aux tournages, trois à la postproduction, avec des rendez-vous clients presque tous les jours, ce qui implique des frais réguliers en carburant.

À cela s’ajoutent des achats ponctuels de matériel. Pour limiter l’impact de ces dépenses sur son budget, il a trouvé une astuce : il revend certains accessoires pour en acquérir d’autres, évitant ainsi de puiser dans ses économies.

Voici le détail de ses dépenses et revenus mensuels :

Ses revenus varient entre 2 000 et 5 000 dinars par mois, selon la saison, “mais vu les retards de paiement, je suis souvent obligé de piocher dans mes propres réserves pour avancer sur un projet. Ça freine l’investissement et l’épargne.”

En effet, la structure en freelance comporte aussi ses pièges. Il arrive qu’un client appelle pour un projet, qu’Amine mobilise une équipe (assistant·es, cadreur·ses, technicien·nes), paye tout le monde de sa poche, et se retrouve à attendre des semaines, parfois des mois, pour être remboursé.

À cela s’ajoute l’obligation de payer la TVA sur les factures émises, même si le client ne l’a pas encore réglée. Une spirale infernale.

"Tu avances les fonds, tu payes les charges, tu verses la TVA... et tu recommences. Jusqu'à te retrouver dans une boucle infernale."

Mais depuis peu, Amine a décidé de revoir sa stratégie financière. Il privilégie désormais, autant que possible, les petits tournages rapides payés en cash, plus sûrs et plus rentables au quotidien.  “Un projet de 300 dinars payé cash, il vaut parfois mieux qu’un projet à 3 000 où tu attends quatre mois d’être payé.”, rationalise le jeune homme. 

Malgré les hauts et les bas, il essaie de garder une vie sociale active : “avec cette nouvelle stratégie, je garde du temps pour moi.” Pour faire des économies, il limite les dépenses inutiles, mais obligées. “Le problème, ce sont les cafés à 6 dinars et les réunions improvisées”, explique-t-il.  

Zone grise 

La situation d’Amine l’a amené à s’endetter et à faire face à des redressements fiscaux qu’il a finalement réussi à solder après une période difficile.

Mais cette crise financière n’a pas été la seule épreuve. Marqué par la fatigue et le stress, il a fini par s’épuiser. Il s’est rendu compte qu’il n’avait plus d’énergie ni pour son travail ni pour lui-même, et que sa passion pour ce métier se transformait peu à peu en une charge insoutenable, notamment lors des fins de mois où il n’arrivait pas à épargner.

"Le fait de sortir d'une situation financière compliquée m'a appris à viser la stabilité avant tout."

Futur

Amine ne cherche plus d’exploit financier, mais l’équilibre : “À force de courir après les deadlines et les paiements en retard, on s’oublie : on mange mal, on dort mal, on ne vit plus.”

Le jeune homme veut remettre son matériel à niveau, et surtout pouvoir dire non aux projets épuisants, “et donc choisir ce que je fais, pas le subir.” 

Cette phase de stabilisation, il la considère comme un passage obligé avant de planifier sereinement sa prochaine étape, encore incertaine : partir à l’étranger. Mais avant cela, il avance doucement : “je ne veux pas aller vite. Je veux aller bien.”

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