Droits et Libertés

Gaza, au large de Malte : un navire humanitaire ciblé par des drones après son départ de Bizerte

Ciblé en pleine mer, un navire humanitaire parti de Tunisie pour Gaza a été frappé par des drones au large de Malte. Dans un contexte de guerre totale et de famine organisée, l’attaque relance les alertes sur le sort des civils, des humanitaires… et du droit international.
Par | 05 Mai 2025
Disponible en arabe
Le navire "Conscience", affrété par la Freedom Flotilla Coalition (FFC) pour acheminer de l’aide médicale et alimentaire à Gaza, a été la cible de deux frappes de drones dans la nuit du 2 mai alors qu’il naviguait en eaux internationales à proximité des côtes maltaises. L’attaque a gravement endommagé la coque du navire et provoqué un incendie maîtrisé de justesse. À bord, les seize passager·es, des humanitaires et membres d’équipage, ont été évacué·es en urgence. Aucun décès n’est à déplorer, bien que des blessures légères aient été signalées.

Le navire avait quitté le port de Bizerte, en Tunisie, quelques jours auparavant, dans le cadre d’une opération visant à briser le blocus imposé à la bande de Gaza et à y acheminer de l’aide vitale. L’attaque n’a pas été revendiquée, mais les organisateurs de la flottille accusent Israël, rappelant de précédentes interceptions violentes, dont l’assaut du Mavi Marmara en 2010.

Un contexte d’urgence humanitaire et d’impunité croissante

L’incident survient alors que Gaza connaît l’un des épisodes les plus meurtriers de son histoire récente. Depuis plus de 18 mois, Gaza subit en effet ce que plusieurs instances internationales, dont l’ONU, qualifient de "guerre d’extermination". Une enquête pour génocide est actuellement en cours auprès de la Cour pénale internationale (CPI), chargée d'établir la responsabilité pénale des dirigeant·es israélien·nes dans les atrocités documentées sur place. 

Depuis octobre 2023, plus de 52 000 Palestinien·nes ont été tué·es par l’armée d’occupation, dont une majorité de femmes et d’enfants. Près de 118 000 personnes ont été blessée·es. Les Nations unies décrivent une situation "au bord de l’effondrement total", marquée par l’effondrement du système de santé et des infrastructures et des pénuries extrêmes de nourriture, d’eau potable et de médicaments.

Le territoire est totalement bouclé depuis mars 2025. Les convois d’aide, soumis à des restrictions drastiques, sont souvent retardés, refoulés ou ciblés. Seuls 10 % des besoins humanitaires quotidiens seraient actuellement couverts, selon OCHA.

Mais ce sont surtout les attaques directes contre les humanitaires qui provoquent l’indignation. Selon les Nations unies, plus de 240 travailleur·ses de l'UNRWA et d'autres agences onusiennes ont été tué·es à Gaza depuis le début de la guerre. Des centres de distribution de nourriture, des cliniques mobiles, et même des abris identifiés comme des installations de l’ONU ont été visés par des frappes israéliennes, parfois malgré une coordination humanitaire en amont.

En avril 2024, sept travailleur·ses de World Central Kitchen, une ONG américaine fournissant des repas d’urgence à Gaza, ont été tué·es dans une frappe israélienne alors qu’ils circulaient dans un convoi identifié et autorisé. L’armée d’occupation avait alors reconnu une "erreur de ciblage", sans poursuite judiciaire à ce jour.

Ces événements renforcent les soupçons sur la partie derrière cette attaque et alimentent les accusations portées contre Israël devant la Cour pénale internationale, qui enquête désormais sur des crimes de guerre présumés, y compris le ciblage intentionnel de personnels humanitaires et de civil·es protégé·es.

Une flottille à la mémoire longue

La Freedom Flotilla Coalition, constituée d’organisations internationales pro-palestiniennes, a lancé depuis 2010 plusieurs missions visant à acheminer de l’aide vers Gaza par la mer, en réponse au blocus imposé par Israël depuis 2007. La plus connue reste celle du Mavi Marmara, arraisonnée dans le sang par l’armée israélienne. L’attaque a causé la mort de dix membres du convoi et a déclenché une crise diplomatique majeure. Depuis, les initiatives maritimes ont continué malgré les pressions, les sabotages présumés et les interceptions systématiques.

Le Conscience s’inscrivait dans cette lignée : une tentative non-violente et symbolique de briser l’isolement de Gaza. À son bord, une cargaison composée de médicaments, de kits d’hygiène, de purificateurs d’eau et de vivres de base, ainsi que des représentants de plusieurs ONG. La militante suédoise Greta Thunberg, qui devait rejoindre le bateau à une escale ultérieure, a dénoncé "une attaque contre le droit humanitaire lui-même".

Appels à des mesures concrètes

Francesca Albanese, rapporteuse spéciale de l’ONU, a appelé à une enquête internationale indépendante, dénonçant "un climat d’impunité total" qui met en danger toutes les formes d’intervention civile dans la région. "Cibler des humanitaires est un seuil que l’on pensait infranchissable. Il est désormais franchi régulièrement", a-t-elle déclaré.

Malgré les discours de soutien à la population de Gaza, très peu de pays ont ouvertement condamné cette attaque, reflétant les ambiguïtés de nombreuses chancelleries occidentales, engagées par ailleurs dans des accords de coopération sécuritaire et militaire avec Israël. 

L’attaque du Conscience soulève à nouveau la question de la protection du droit humanitaire. En frappant un navire civil, hors de toute zone de conflit déclarée, et dans les eaux internationales, les auteurs présumés de cette attaque pourraient avoir violé plusieurs conventions internationales relatives à la navigation et à la protection des personnels humanitaires.

La Freedom Flotilla Coalition a annoncé son intention de porter plainte devant des juridictions internationales et appelle à une mobilisation urgente pour garantir le droit à l’aide humanitaire et à la libre circulation en mer.

Le Conscience bloqué en mer 

À ce jour, les autorités maltaises continuent de refuser l’entrée au port du navire Conscience, affrété par la Freedom Flotilla Coalition, malgré les appels répétés des activistes à autoriser le débarquement de l’équipage et à permettre les réparations d’urgence nécessaires après l’attaque par drones survenue le 2 mai.

Le gouvernement maltais justifie son refus par des préoccupations liées à la sécurité nationale et à des considérations juridiques, notamment le fait que le navire navigue sans pavillon reconnu, suite à la révocation de son enregistrement par Palau. Les autorités ont proposé une assistance, notamment en envoyant un remorqueur pour éteindre l’incendie à bord et en offrant l’évacuation de l’équipage, propositions qui auraient été déclinées par le capitaine du navire.

La Freedom Flotilla Coalition dénonce une obstruction délibérée de la part de Malte, accusant le gouvernement d’empêcher l’accès au navire et de bloquer les tentatives des activistes de monter à bord pour évaluer les dégâts. Des appels à la mobilisation ont été lancés, notamment des manifestations devant les ambassades maltaises pour protester contre cette décision.

Le navire Conscience, endommagé et sans pavillon, reste actuellement bloqué en mer, sans possibilité d’accoster ni de recevoir l’aide nécessaire, illustrant les défis auxquels sont confrontées les missions humanitaires dans des contextes géopolitiques tendus.

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