Stade olympique de Sousse : la rénovation inachevée

Depuis le début de son projet de rénovation en 2009, le chantier du stade olympique de Sousse est régulièrement pointé du doigt, en raison de retards à répétition et de multiples défaillances, au point qu’une enquête a été ouverte pour soupçons de malversation. Reportage.
Par | 28 Avril 2024 | reading-duration 10 minutes

 “N ous saluons les efforts déployés par la direction du stade pour répondre aux exigences de la CAF, cependant, sur la base du rapport d'inspection, nous avons le regret de vous informer que le stade ne répond pas encore aux exigences minimales fixées par la CAF pour accueillir des matches internationaux seniors A”.

La décision est sans appel. Le 6 novembre 2023, la Confédération africaine de football (CAF), indique, dans un rapport transmis à la Fédération tunisienne de football (FTF) ayant fuité sur les réseaux sociaux, que le stade de Sousse ne correspond pas aux critères des rencontres internationales. 

Cette décision, bien que décevante, n'a pas surpris celles et ceux qui suivent de près l'évolution du stade olympique de Sousse. “On l'avait senti venir : retards à répétition, situation floue, budget qui gonfle... On se disait que c'était temporaire, que ça en vaudrait la peine après trois ans d'attente. Mais nos craintes se sont réalisées”, déplore Houssem, un fervent supporter de l'Étoile Sportive du Sahel.

Comme Houssem, de nombreuses voix dénoncent les carences et problèmes constatés dans le stade. Malgré sa rénovation, le "cimetière des envahisseurs", autrefois redouté par les équipes adverses, n’est devenu aujourd'hui que l’ombre de lui-même, affirment des supporters.

Extrait du rapport de la Confédération africaine de football (CAF) envoyé à la Fédération tunisienne de football au sujet du stade olympique de Sousse.

Un stade aux nombreuses lacunes

Depuis son inauguration en 1973, le stade de Sousse a été rénové à plusieurs reprises, principalement pour répondre à une demande croissante en termes d’espace. À l’origine conçu pour accueillir 13.000 spectateurs, sa capacité a été portée à 25.000 personnes lors des Jeux méditerranéens en 2001. 

Le Stade olympique de Sousse sert notamment d'enceinte principale à "El-Hamra" (La Rouge) ou l’Étoile, les surnoms affectueux de l'Étoile sportive du Sahel. Ce club basé à Sousse possède un nombre important de supporters à travers le pays et particulièrement dans la région du Sahel, de Bouficha à Nabeul jusqu'à Mellouleche à Mahdia.

"À Monastir et Mahdia, la plupart des gens préfèrent l'Étoile à leurs équipes locales", décrit Houssem. "Certains y voient un manque de loyauté, mais je pense que cela montre plutôt la place particulière qu'occupe l'ESS dans les cœurs des habitants du Sahel, surtout face à la domination des clubs de Tunis".

Cette équipe s’est régulièrement illustrée, en remportant notamment le championnat tunisien en 2007, ainsi que la Ligue des champions de la CAF en 2007. La même année, l'ESS atteint les demi-finales de la Coupe du monde des clubs de la FIFA, s'inclinant de justesse 1-0 face à la puissance sud-américaine Boca Juniors.

Ces succès ont confirmé le statut de l'Étoile en tant que géant continental et plusieurs fans aspirent depuis des années à l’agrandissement du stade, pour atteindre une taille similaire aux terrains de la capitale, comme le Stade olympique d'El Menzah, d'une capacité de 40.000 places, ou celui de Radès qui peut accueillir 60.000 personnes.

 “Le public de l'Étoile dépasse les limites du stade, et aucun stade ne sera assez grand pour les Etoilistes”, atteste fièrement Makrem Laguem, ancien arbitre international, membre du conseil municipal de Sousse et fervent supporter de l’Étoile Sportive du Sahel. 

Selon le projet d’aménagement officiel, qu’inkyfada a pu consulter, un financement de 10.500.000 dinars a été alloué à la municipalité de Sousse pour rénover le stade olympique de la ville. L’objectif est d’agrandir le stade, jusqu’à atteindre 40.000 places. Le rapport souligne notamment l’inadaptabilité du stade - manque de sanitaires, défaillances des aménagements, etc. - et la vétusté de nombreux espaces. 

“Lorsque la décision d'aménager le stade a été prise, elle était inévitable : les vestiaires étaient délabrés et la structure en elle-même était en très mauvais état. Un projet de développement était donc nécessaire”, précise Makrem Laguem.

"Le stade de Sousse est bien plus qu’un simple terrain pour nous !”, s’exclame Houssem. "On veut retrouver le plaisir de jouer dans notre enceinte habituelle, et la frustration est palpable parmi les supporters de l’équipe. Jouer à Bou-Ali Lahouar ou à Radès, c’est plus possible. On a besoin du stade, c’est le cœur même de l’étoile sportive du Sahel.”

Des travaux suspendus pendant des années

La municipalité de Sousse et le ministère de la Jeunesse et des Sports sont les commanditaires du projet, tandis que le ministère de l'Équipement agit en tant que maître d'œuvre, responsable de sa réalisation. En 2009, ils lancent un concours public, remporté par l’Atelier Façila, un studio d'architecture basé à Hammam-Sousse.

Entre 2010 et 2011, l’Atelier Façila travaille sur les études du projet d’aménagement du stade. Selon Adel Hidar, l’architecte en chef du projet, interrogé par inkyfada, les phases de conception du projet se déroulent bien et aboutissent rapidement. Mais rapidement, le projet est suspendu. Selon l’atelier, “les interruptions des études sont assez fréquentes en Tunisie et sont généralement motivées par l’absence ou le manque de budget par rapport aux coûts  des ouvrages à réaliser”. Pendant six ans, le projet est suspendu. 

Pourtant, l’atelier d’architecture affirme avoir proposé des solutions pour limiter les dépenses, en suggérant notamment de réduire la capacité du stade, sans que l’administration ne donne suite. Contacté par inkyfada, la municipalité de Sousse n’a pas répondu aux demandes officielles d’interview. 

Il faut attendre 2017 pour qu’un ordre présidentiel relance le projet. Toujours selon l’architecte responsable, l'administration aurait refusé de réadapter les études aux nouvelles normes pour des raisons de coût et de délai. Malgré tout, les travaux commencent enfin, le 25 mars 2019. Le budget est alors beaucoup plus conséquent que lors du lancement du projet dix ans plus tôt, atteignant les 60 millions de dinars.

En 2022, après trois longues années d’attente pour les amateur·trices de football en Tunisie, le stade est prêt juste à temps pour la saison 2021-2022. Pendant ce temps, les supporters de l’Étoile ont suivi leur équipe partout en Tunisie, de Radès à Kairouan en passant par Monastir.

À la réouverture, un stade décevant

Le 4 mai 2022, l'Etoile Sportive du Sahel affronte le Club sportif sfaxien, dans le cadre du Championnat de Tunisie 2021/2022. Même si cette rencontre se solde par un match nul, elle marque la réouverture tant attendue du stade, après trois ans d’attente.

Mais après quelque temps, force est de constater que le résultat est loin d’être à la hauteur des attentes. "L'état du stade était un scandale, c'est le moins que l'on puisse dire !”, s’exclame Khairi. Attablé avec ses amis dans un café du centre-ville de Sousse, où le soutien à l’équipe locale va de soi, ce supporter de l'Étoile du Sahel depuis plus de 40 ans ne mâche pas ses mots en évoquant le stade.  "J’ai l'impression qu’on a gaspillé trois ans et 60 millions de dinars, juste pour empiler du ciment et du béton... ils n'ont pas peint le stade, ils n'ont pas installé de chaises, le gazon était clairement en mauvais état, j’ai eu le sentiment d’avoir été volé !"

Les critiques sont nombreuses : entrave de la visibilité, présence de nombreuses barrières métalliques, manque de sièges…L’ancien arbitre Makrem Laguem affirme par exemple que la vue depuis les loges, censées accueillir 5000 personnes, est fortement limitée par les autres spectateur·trices debouts. Selon lui, cette défaillance est dûe aux travaux de l’architecte.

Interrogé par inkyfada, Adel Hidar, répond que le rôle du cabinet était avant tout d’agrandir le stade : ces défaillances sont avant tout dues, selon lui, à un problème de “gestion” et l’absence de stadier. “Il faudrait à minima un traçage signalétique, une numérotation des places assises et un respect du plan d’organisation des flux des spectateurs”, énumère l’architecte. “Depuis son ouverture, le stade n’a pas été utilisé une seule fois selon le manuel d’utilisation qui a été fourni par les concepteurs”.

“Dans notre contexte, les principaux problèmes auxquels nous avons fait face étaient le budget très serré, la fluctuation galopante et l’extrême lenteur de l’administration face aux décisions à prendre”, affirme-t-il.

Les autres problèmes constatés à la réouverture du stade et ayant empêché l’homologation du stade par la fédération sont surtout des “manquements”, indique l’architecte. “L’éclairage, les tableaux d’affichage, les bancs, etc. font l’objet de nouveaux marchés d’étude et de travaux”.

Le 7 avril 2024, Nawfel Belhaj Rhouma, directeur des bâtiments et de l’équipement à la direction générale des services communs au  ministère de la Jeunesse et des sports, a déclaré que de nouveaux travaux ont été programmés, pour une enveloppe totale dépassant les 70 millions de dinars. Étalés en trois tranches, ces chantiers prévoient l’installation d’un réseau électrique aux normes, l’acquisition d’un tableau noir, l’installation de chaises ainsi que d’un nouveau centre de presse. 

“Un pays entier sans un seul stade décent”

Depuis la réouverture du stade et le refus d’homologation de la CAF, une enquête a été ouverte pour des soupçons de malversation selon le porte-parole du tribunal de première instance de Sousse, Wissem Cherif. Contacté par inkyfada pour obtenir plus de détails sur l'enquête en cours, ce dernier n’a pas répondu aux demandes d’interview.

Malgré les défaillances constatées, Makrem Laguem assure que des projecteurs sont en cours d’installation et que la qualité du gazon s’est grandement améliorée. "Je peux promettre aux fans de l'Étoile du Sahel que leur stade sera prêt à accueillir des matchs continentaux l'année prochaine. Tout le monde à la municipalité de Sousse y travaille", assure l’ancien arbitre.

Pour plusieurs personnes interrogées par inkyfada, le stade de Sousse incarne les multiples problématiques rencontrées par les infrastructures sportives en Tunisie et le besoin de changement au sein de ce secteur. Ils incriminent ainsi une combinaison de lois anciennes et inefficaces, une rigidité administrative, et une certaine bureaucratie. Comme à Sousse, la rénovation du célèbre stade de Menzah est au cœur de polémiques en raison du retard accumulé, notamment causé par des “contraintes administratives”, selon une déclaration du ministre de la Jeunesse et des Sports

"Le football tunisien souffre d'un manque de changement. Tout le monde voit à quel point la situation est désastreuse : des équipes endettées, une baisse de la qualité, un manque de formation appropriée, et un pays entier sans un seul stade décent", martèle un ancien membre de la FTF qui a préféré rester anonyme. 

"Tout le monde sait que c'est très mal, et tout le monde en est en colère, pourtant tout est tellement emmêlé, politisé et monopolisé que le changement est plus difficile à dire qu'à faire”, conclut-il.