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Mongi, 62 ans, pêcheur, 650 dinars, ramer pour finir le mois


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24 Mars 2024 |
À 62 ans, Mongi est pêcheur à la Goulette. Arpentant les côtes depuis plus de 40 ans sur sa barque, il ne peut aujourd’hui pas vivre sans l’aide financière de ses enfants. Plongée dans son porte-monnaie.
Coiffé de son fidèle béret de marin, Mongi* aide son ami à recoudre les trous d’un vieux filet de pêche. Comme presque tous les matins, après son rituel café et cigarette, il se rend sur le canal de la Goulette, où sa barque est amarrée.

Mongi a toujours vécu à la Goulette où il travaille comme pêcheur depuis qu’il a 18 ans. Si un début de carrière dans le football s’offrait à lui dans les années 80 en France, il revient tout de même à ses racines pour construire une famille avec sa femme. 

Dans les eaux azurées de la Goulette, il prend la mer chaque jour avec un sourire aux lèvres. Un métier qu’il aime particulièrement, qu’il “a dans le sang”, mais dont les conditions se dégradent depuis plusieurs années. Dans sa caisse du jour, la pêche a été plutôt bonne : cinq seiches et deux crabes. Si les seiches sont vendues aux client·es, les crabes lui serviront pour la soupe du soir.

Mais Mongi confie : “c’est dur, ce n’est pas comme avant”. Pour cet homme qui a connu la pêche toute sa vie, les récoltes sont de plus en plus faibles, et les revenus, instables. En moyenne, Mongi récupère environ 150 dinars par mois. Lorsque le temps est mauvais, il se contente de réparer son matériel et de préparer la prochaine escapade.

Si l'hiver est de plus en plus difficile, pendant la bonne saison, de mars à mai, la pêche est bien meilleure. Et ses revenus peuvent être multipliés par dix. Mais selon lui, cela ne suffit plus à compenser les mois de mauvais temps. “Avant, on mettait des sous de côté pour l’hiver. Aujourd’hui, c’est devenu compliqué”, détaille Mongi.

Voici un aperçu de ses entrées et sorties d’argent mensuelles :

“Dans deux ou trois ans, plus personne ne travaillera”.

Malgré ses 40 ans de métier, Mongi peine à boucler ses fins de mois. “Chacun veut vendre sa barque”, raconte le travailleur, qui a vu ses amis abandonner tour à tour la profession. “Ceux qui ont un autre boulot, c’est bien, les autres sont dans la merde”

Pour subvenir à ses besoins et ceux de sa femme et de son plus jeune fils, Mongi n’a qu’une solution : ses enfants aîné·es. “Heureusement que j’ai mes enfants qui travaillent, qui paient le loyer, et tout”. Sans cela, le couple ne s’en sortirait pas. 

Sur ses quatre enfants, de 32, 27, 23 et 14 ans, seul le plus jeune vit toujours avec lui. Le travailleur en est très fier, car il se destine à une carrière de basketteur. “Il va peut-être signer en Europe”, raconte Mongi. “Il m’a dit : “Comme ça, je t’achèterais une grande barque avec un moteur !”, s’amuse le père de famille.

Ses trois autres enfants l'aident chaque mois avec ses dépenses. Sa fille aînée, qui travaille en France, est son plus grand soutien financier. Chaque mois, elle essaie de lui envoyer 150 euros (environ 500 dinars) pour payer le loyer familial. Pour le reste des dépenses, ce sont ses deux autres enfants qui se répartissent les courses.

Voici le détail de ses dépenses et revenus mensuels :

Les dépenses alimentaires sont couvertes au jour le jour, par ses enfants ou bien par l’argent mis de côté par Mongi pendant les bons mois.

Si l’écart est aussi grand, c’est parce que ses deux autres enfants financent les dépenses alimentaires et autres courses. Et en attendant, le pêcheur demande des avances. “Si je n’ai pas l’argent pour les courses, je fais des crédits. Ça roule comme ça”, explique Mongi. Ce système lui permet de couvrir son crédit mensuel.

Zone grise

Depuis plusieurs années, la situation se complique pour les petits pêcheurs comme Mongi. “Il n’y a pas de poissons et c’est dur pour nous. Cela fait presque six mois que je n’ai pas travaillé !”, désespère-t-il. Cette situation empire au profit des pêcheurs industriels, ceux que Mongi appelle les “gros pêcheurs”. Ces derniers utilisent désormais de nouvelles techniques, souvent déloyales à ses yeux. “Ils ne respectent pas les périodes de pêche !”, s’agace le soixantenaire. 

Depuis deux ans, les marins ont également recours à des lumières puissantes pendant la nuit pour attirer le poisson. “Avec les autres, on va porter plainte là-bas pour dire que c’est interdit”, dit-il en pointant le port de pêche marchand. Lui qui pêchait la seiche, n’en trouve plus sur les littoraux. Auparavant, les seiches posaient leurs œufs sur les rochers des côtes. Aujourd’hui, les pêcheurs industriels les attirent artificiellement. 

De même pour les poulpes, qui sont absents des estuaires et des bords de mer. “Avant, on travaillait tous les jours. Moi, chaque matin, je prenais un, deux ou trois poulpes sur la côte. Je gagnais de l’argent alors que je n’étais même pas encore monté dans le bateau ! Maintenant, les gros pêcheurs, ils en attrapent, mais nous, c’est fini”, se désole Mongi.

"Avant, tous les trois mois, on travaillait. Il y avait des seiches, des poulpes. Même quand il faisait beau, on trouvait du poisson. Aujourd’hui, les petites barques, c’est fini."

Le pêcheur n’achète même plus de nouveaux filets de pêche, devenus trop chers. “50 mètres de filet, ça coûte 100 dinars !”, explique Mongi. À côté de lui, c’est son ami qui raccommode les mailles usées par le temps. Pour cela aussi, l’écart se creuse. “Nous, on travaille avec dix filets, eux avec 400 ou 500”, énumère le pêcheur. Des conditions compliquées, qui s’ajoutent aux enjeux environnementaux. Mongi et ses pairs sont confrontés à la surpêche, à la pollution marine et aux fluctuations des prix du marché. Zone surexploitée, La Goulette s’appauvrit chaque année en produits de la mer.

Futur

Le pêcheur ne compte pas s’arrêter de travailler pour autant. Question d’obligation, certes, mais surtout par passion. 

“Pour moi, je suis le plus riche du monde. Je suis bien dans ma peau, j’ai la santé, une bonne vie”. 

Mongi ne s’imagine pas rester à la maison, ou bien exercer une autre activité. “Pendant trente ans, j’ai beaucoup bossé. Je commençais à six heures du matin, parfois je travaillais la nuit. Je fais ça, c’est dans mon sang”, Pour lui, la pêche n'est pas simplement un travail, mais une passion qui comble son quotidien. “Jusqu’à ce que je sois vieux, la mer”, promet Mongi.