Ghar El Melh, littéralement "la grotte du sel", est un miroir reflétant des siècles d'histoire. Autrefois place maritime importante sous l'Empire ottoman, la lagune est aujourd'hui un refuge pour une faune et une flore diversifiées. Malgré les menaces
de la pollution et l'ombre grandissante du changement climatique, des hommes et des femmes ont appris à vivre avec cet écosystème fragile qu’il a fallu apprendre à maîtriser en respectant son rythme.
“L’histoire de ce territoire, marquée par les forts ottomans, les mosquées, l'église et le sanctuaire bien connu de Sidi Ali El Mekki, dessine une toile culturelle inestimable. La pêche traditionnelle, son vieux port, les saveurs culinaires locales
contribuent à ce patrimoine vivant”, dépeint le photographe Skander Khlif.
Chaque photographie est une fenêtre sur la vie quotidienne dans la lagune, mettant en lumière l'interaction entre les habitant·es et leur environnement naturel. Des barques colorées flottant sur des eaux calmes de la lagune à la plage de Sidi Ali Al Mekki,
où la route s’arrête face à la Méditerranée. Mais cette série de Skander Khlif, réalisée entre mars et octobre 2023, est aussi un appel à la prise de conscience. Confrontée aux défis du changement climatique et à l'activité humaine, la lagune
de Ghar El Melh, est un écosystème dont la préservation est cruciale.
“Explorer Ghar El Melh, c'est comprendre le dialogue entre le passé et le présent, et participer à la préservation d'un écosystème unique. Garder Ghar El Melh intacte est un devoir commun pour les futures générations”.
Photo en tête d'article : un agriculteur observe le niveau de l’eau sur sa “gattaya”. Inquiet par le manque de pluie depuis des mois, l’attente est longue et les perspectives de récolte de cette année sont préoccupantes. Mars 2023.
Ghar El Melh est une petite ville qui se trouve à mi-chemin entre Tunis et Bizerte. Située entre la lagune et les Jbel Ennadhour et Eddmina, la route qui mène à ce petit paradis propose un panorama incroyable jusqu'à la Méditerranée et la plage de Sidi Al Mekki.
La lagune de Ghar El Melh, située au nord de la Tunisie (dans le Golfe de Tunis), est
caractérisée par une superficie de 28,5 km², une faible profondeur et une faible communication avec la mer.
Les cultures Ramli communément appelées "gattayas" sont des systèmes agricoles où les sols cultivables sont des étendues aménagés et reposant sur une fine gestion de la variation du niveau de la mer qui surplombée par une fine lame d’eau douce.
Le battement occasionné par cette marée sert à l’irrigation des cultures.
Cette agriculture, dont la technique consiste à aménager des terres cultivables, sur la sebkha, est unique au monde. Elle remonte au XVIe siècle au moment de l’occupation andalouse au XVIème et XVII ème siècle. C’est une méthode d’agriculture qui repose sur un système d’irrigation naturelle. Aujourd’hui menacée par les effets du changement climatique, seule une poignée d’agriculteur·trices continuent de pratiquer cette agriculture traditionnelle.
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[Gauche] Plusieurs types de légumes - haricots, oignons, ail - sont cultivés et reconnus pour leur qualité nutritive et écologique. 350 familles bénéficient de cette technique de culture.
[Droite] Deux agriculteurs sur leur parcelle agricole. Il suffirait que la lagune de Ghar El Melh se soulève de seulement un mètre au-dessus du niveau de la mer pour se transformer en une baie, ce qui compromettrait les écosystèmes déjà fragiles,
le paysage naturel mais aussi toute l’économie de la région.
Pour limiter les parcelles des “gattayas”, des techniques ancestrales sont transmises, utilisant notamment des roseaux noués avec une précision millimétrique pour protéger les récoltes des pluies.
Ali Garsi, instituteur à la retraite, est aussi un agriculteur engagé pour des pratiques plus écologiques dans la région de Ghar Mellah. Ali Garsi, fervent défenseur des cultures lagunaires, a affirmé à l’agence TAP, que « le niveau de la mer a augmenté ces dernières années d’une manière inhabituelle. Ceci est perceptible à travers les eaux qui submergent, de temps à autre, les cultures ».
Les agriculteur·trices sont très attaché·es aux variétés locales, échangées régulièrement en petites quantités sous forme de graines : courges “boutebssi”, melons, pastèques, haricots blancs, tomates, piments, etc.
Utilisé initialement comme garnison et comme prison, le fort Borj El Loutani, dans le centre de Ghar El Melh accueille, depuis 2013, le centre “Dar El Bhira”, premier Centre national des zones humides en Tunisie.
Dans le centre de Ghar El Melh, mosquée et église se côtoient entre deux ruelles, rappelant la richesse multiculturelle et historique de ce territoire.
[Gauche] Vue sur le Borj Lazarit, l’un des trois forts de Ghar El Melh, situé à l’entrée de la ville. Il fut édifié en 1659 sous le règne de Hammouda Pacha Bey. Les trois forts datent de l'époque ottomane. A l’origine, ils servaient de bagne pour les esclaves faits prisonniers par les corsaires lors d'attaques en mer.
[Droite] Le vieux port, témoin de l'histoire et de la pêche artisanale essentielle à Ghar el Melh. Ce port était autrefois le port de la première base militaire de Tunisie
Café historique de Porto Farina su le vieux port de Ghar El Melh.
Le vieux port, situé au cœur de Ghar el Melh, demeure le foyer de la pêche artisanale, où chaque capture raconte une histoire. La pêche industrielle, quant à elle, s'est installée dans le nouveau port, sur la langue de sables à l’entrée de la lagune.
A la sortie de Ghar El Melh, un restaurant accueille les visiteurs sur le lac, avec en fond le vieux port de pêche, appelé « kechla ». Le vieux port, niché entre les trois forts, est entouré d’ateliers d’époque destinés notamment à la réparation et à la fabrication de barques et pour l’entreposage et l’entretien des engins de pêche.
La pêche se fait grâce à quatre outils principaux : les filets droits type trémail, les palangres de fond, les nasses à anguilles et l’épervier. La pêche à l’épervier n’est pas réglementaire dans la lagune mais perdure pourtant en l’absence de contrôle et de sanctions. Le calendrier de la pêche suit celui des flux migratoires des poissons, dont on dénombre une vingtaine d’espèces.
“C'était évidemment beaucoup mieux avant. La mer a changé”, témoigne un pêcheur.
Khaled est forgeron, son atelier est installé dans les ateliers d’époque d’origine ottomane. Il s’occupe principalement de la réparation et de l'entretien des bateaux de pêche traditionnels.
Youssef, pêcheur chevronné, donne vie à son bateau avec la technique ancestrale locale, façonnant des barques plus légères destinées à naviguer dans la lagune. Il y a des années, à l’époque de Ben Ali, Youssef a perdu un doigt lors d’un accident sur un grand bateau de pêche.
”Sans assurance maladie, j’ai galéré !”, s’exclame-t-il. “Aujourd'hui, la situation est peut-être plus difficile pour nous mais au moins je peux m'exprimer et raconter mon histoire sans crainte”.
De nombreux palmiers importés du sud ont été plantés autour de la lagune de Ghar El Melh. Leurs grandes feuilles sont utilisées pour soigner et protéger les cultures.
Localement, les habitant·es de la région, utilisent l'appellation "Coco Beach" pour désigner la région touristique du littoral qui s’est fortement développée depuis quelques années. Chaque été, des restaurants de plage font leur apparition pour accueillir les milliers de touristes du reste du pays venu·es profiter de la mer pendant la saison estivale.
Au printemps, contrairement à la période estivale, la plage de Sidi Ali Al Mekki, sur laquelle veille le célèbre tombeau du saint du même nom, redevient un endroit paisible et calme où la faune et la flore locale retrouvent leur territoire.
Plage de Sidi Ali Al Mekki au printemps.