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Samar, 22 ans, opératrice de nuit dans un centre d'appel, 1400 dt par mois


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12 Novembre 2023 |
En recherche d’indépendance, Samar*, jeune étudiante, a commencé à travailler dans un centre d’appel nocturne pour pouvoir louer un appartement et dépenser son argent comme elle l’entend. Mais en plus des horaires difficiles, les conditions de travail imposées par ses employeurs ont des conséquences sur ses études et son rythme de vie.

Il est environ 22h lorsque Samar* commence à se préparer pour partir au travail. Dans son appartement, ses trois colocataires, étudiantes comme elle, finissent leurs devoirs avant d’aller se coucher. Mais pour Samar, c’est une nuit de travail qui s’annonce.

“On commence à 23h et on finit généralement à 7h”, explique l’étudiante en ingénierie informatique, qui cumule cet emploi à ses cours de licence. Toujours souriante, Samar presse le pas pour arriver à l’heure. Sans quoi, elle pourrait se voir amputée d’une partie de son salaire. “Si on arrive plus d’un certain nombre de fois en retard, on ne touche pas la prime d’assiduité”.

Opératrice dans un centre d’appel de nuit dans une ville du Sahel, une grande partie de la rémunération de Samar est basée sur ce type de primes. Son salaire mensuel fixe est de 400 dinars, alors que le reste de l’argent qu’elle gagne dépend de ses performances. “Mieux tu travailles, plus tu es payée… C’est pour ça que c’est si fatigant.” 

"Des fois on doit faire des heures supplémentaires, finir après 7h, ou bien travailler pendant nos jours de repos, si nos statistiques ne sont pas assez bonnes et qu’on a pas gagné assez d’argent.” 

Samar a commencé à travailler il y a quatre mois. Elle explique qu’elle voulait toucher assez d’argent pour pouvoir “prendre son indépendance” et quitter le foyer familial. L’étudiante avait auparavant réussi à gagner de l’argent avec des petits boulots, notamment en travaillant en tant que modèle. “Ça ne payait pas assez : 50 dinars le shooting ! Et je n’avais plus le temps pour aller passer les castings.”

En s’investissant ainsi dans son travail nocturne, à un rythme de quatre jours de travail espacés par deux jours de repos, elle parvient à gagner en moyenne 1400 dinars de salaire mensuel. Néanmoins, ses dépenses restent élevées et elle ne parvient pour l’instant pas à économiser. 

Voici un aperçu de ses sorties et entrées d’argent mensuelles :

“Quand j’ai commencé à travailler, je pensais que je pourrais mettre de côté”, déplore Samar, “mais ma mère avait raison : la vie coûte trop cher !”. Originaire de Monastir, Samar entretient des rapports parfois complexes avec sa famille. Son père, vivant de petits boulots, ne lui envoie pas d’argent. Sa mère s’est quant à elle opposée à son emménagement en-dehors du foyer familial.

“Ma mère m’a dit qu’elle m’aiderait financièrement si j’arrêtais de travailler et que je rentrais à la maison”. Mais pour Samar, hors de question d’abandonner son indépendance fraîchement acquise. Sa mère, qui dans le domaine pharmaceutique, l’aide malgré tout en lui fournissant gratuitement des médicaments en cas de besoin. Elle lui cuisine aussi des petits plats que Samar emporte lorsqu’elle rend visite à sa famille, de temps en temps.

Cela lui permet d’économiser une certaine quantité d’argent pour les courses. “J’achète seulement de l'eau et quelques snacks, donc pas plus de 100 dinars par mois”. Par contre, la jeune fille consacre une somme bien plus importante aux sorties avec ses ami·es dans les restaurants, cafés ou bars de la ville : près de 200 dinars par mois. 

Voici le détail de ses dépenses et revenus mensuels :

Avec ce salaire, Samar consacre “environ 200 dinars par mois” à l’achat de vêtements. Un autre poste de dépense important concerne le maquillage et les produits de beauté, pour lesquels elle débourse près de 250 dinars chaque mois. Elle reconnaît avoir du mal à maîtriser ses nouvelles capacités financières. 

“J’ai toujours ma carte bancaire avec moi… c’est facile de payer avec ou bien d’aller tirer de l’argent dès que j’en ai besoin”, reconnaît-elle. 

De plus, Samar n’est pas véhiculée : elle doit donc consacrer “presque 100 dinars par mois” aux transports entre son domicile, son travail, son université et ses sorties en ville.

Fumeuse, Samar dépense aussi 60 dinars mensuels en cigarettes. En ajoutant à cela sa contribution au loyer de la colocation, 140 dinars par mois, ainsi que l’argent qu’elle donne à sa famille ou qu’elle utilise pour “dépanner” ses amis, les comptes de Samar finissent chaque mois presque vides. 

“J’ai fini le dernier mois avec 10 dinars sur mon compte en banque. Et la seule raison, c’est parce que la banque m’empêche de les retirer”, déclare la jeune femme, sourire aux lèvres. 

Pour parvenir à rééquilibrer son budget et pouvoir épargner, Samar veut se forcer à réduire ses dépenses. “ Je pense que maintenant, chaque mois, j’essaierai de mettre 500 dinars sur un compte bloqué dans une autre banque.” 

Zone grise

Samar a commencé à travailler au début du mois de juillet, durant les vacances scolaires. Mais avec la reprise des cours, et malgré la proximité de son nouveau logement avec de son lieu de travail, force est de constater qu’elle ne parvient plus à étudier sereinement. 

“Parfois, même si je finis à 7h du matin, je suis simplement trop fatiguée et je veux dormir. Donc je rate les cours du matin, ce qui est une mauvaise chose.” 

En plus des horaires difficiles, les conditions de travail de Samar sont aussi loin d’être idéales. “On nous laisse seulement cinq minutes de pause toutes les heures, mais en fait on ne les prend pas”, explique la jeune femme. Au bureau, pas de distributeurs d’eau ou de possibilité de se restaurer à proximité. Elle doit donc veiller à ne pas oublier ses provisions pour tenir toute la nuit.

Surtout, sans vouloir révéler la nature exacte des activités du centre d’appel, Samar explique être en contact avec des personnes dans des situations complexes. “C’est fatiguant mentalement, ils ont tous des problèmes différents”, se plaint-elle. “ C’est aussi pour ça qu’on doit rester vraiment concentré.” 

Futur

Samar explique que cette situation doit rester provisoire. “Je continuerai jusqu’à ce que je sois trop fatiguée”, assure la jeune femme. Elle est par ailleurs consciente que son contrat, qui arrive à expiration à la fin de l’année scolaire, ne sera probablement pas renouvelé par son employeur.

“On est principalement des jeunes, des étudiants”, explique Samar, “ et la plupart ne sont pas renouvelés au bout du premier contrat”. La jeune femme s’inquiète aussi pour ses performances professionnelles : chaque mois, les employés sont évalués par leurs managers. “En ce moment, je ne me débrouille pas super bien”, déplore Samar. La menace du licenciement est donc omniprésente. 

“On doit toujours améliorer nos résultats. S’ils ne voient pas de progression, alors je vais me faire virer”, s’inquiète Samar. 

La jeune femme espère surtout qu’elle parviendra à épargner dans les prochains mois, pour préparer la suite de ses études. Samar souhaite pouvoir terminer sa formation par un Master à l’étranger, “mais ce sera surtout une question d’argent”, explique-t-elle. “Si j’arrive à économiser de l’argent, je l'utiliserai pour préparer mon départ.”