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Wided, 51 ans, comptable dans une entreprise, 1400 dinars par mois


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19 Août 2023 |
Née et élevée en France, Wided rentre subitement en Tunisie, ne connaissant pas un mot d'arabe. Elle réussit à obtenir un diplôme de comptabilité dans un lycée tunisien, trouve un emploi et rencontre son mari. Mariée depuis 28 ans et mère d'une fille, Wided jongle entre sa vie de famille et son travail. Cependant, la situation du pays, et notamment la pénurie de médicaments, affecte sa situation financière.
Chaque matin, Wided* suit sa routine : café, préparation du déjeuner familial… Puis elle se prépare pour sa journée de travail. Elle se rend à pied vers son bureau, où elle occupe le même poste de comptable depuis 17 ans. Elle passe sa journée les yeux rivés sur l’écran, une calculatrice à portée de main, Wided assure la gestion comptable d’une entreprise, enregistre les dépenses et traite les factures.

Wided est née et a grandi dans une petite commune à l'est de la France, où ses parents avaient immigré avant sa naissance à la recherche de travail. Son père, originaire d'une petite ville du Sahel, travaillait comme contremaître dans une usine de textile, tandis que sa mère, ancienne enseignante de couture, se consacrait à l’éducation de ses filles. Wided a grandi avec cinq sœurs dans une grande maison de campagne. "Mes parents ne nous ont jamais fait savoir que nous avions des problèmes financiers. On rentrait en Tunisie tous les étés. C’est un luxe pour une famille nombreuse", se souvient-elle.

Alors qu’elle a environ 17 ans, le père de Wided décide de rentrer en Tunisie avec toute sa famille. "On commençait à grandir, mon père avait peur pour notre avenir dans un pays occidental. C'est un homme avec beaucoup de convictions, il voulait qu'on grandisse dans un environnement tunisien, avec des traditions et des valeurs tunisiennes".

Ce retour change tout pour Wided. “On ne parlait presque pas l’arabe, donc on était censées s'inscrire dans une école française, c'était le plan". Sauf que la santé de son père se dégrade subitement. Toutes les économies prévues pour leur éducation sont investies dans les soins du père de famille. Les filles doivent donc s’inscrire au lycée tunisien. 

L’adaptation est difficile. "J'avais automatiquement zéro en arabe. Une fois, quand on nous a dit, à mes sœurs et à moi, que nous avions un cours de maths le lendemain, nous nous sommes toutes présentées en tenue de sport, pensant que nous avions un cours de sport parce que les mots en arabe se ressemblaient beaucoup", se souvient-elle en riant. 

En France, la jeune fille avait d’excellentes notes et aspirait à de grandes ambitions : "Je voulais être médecin, chercheuse, faire de grandes études". Ce changement affecte son parcours scolaire, mais Wided réussit tout de même à obtenir son diplôme en comptabilité. 

Après le décès de son père et en l'absence de moyens financiers, elle se voit contrainte de trouver un emploi. Elle travaille alors comme comptable pour soutenir sa famille. C'est là qu'elle rencontre son époux. Aujourd'hui, elle est mariée depuis 28 ans et mère d'une fille. 

"La vie peut être imprévisible. Je n'aurais jamais pensé avoir cette vie, et c'est la meilleure chose qui me soit arrivée.”

Après la naissance de leur fille, Wided et son mari décident de se lancer dans leur propre projet. Pendant qu'il gère un service de taxiphone, elle travaille en tant que dactylographe. "Des étudiants arrivaient avec des montagnes de pages écrites à la main, et je m'occupais de la saisie et de la correction linguistique", raconte-t-elle. Cependant, avec la montée en puissance des téléphones portables et des ordinateurs, leur activité commence à se détériorer lentement. "De nos jours, personne n'a plus besoin de recourir à un taxiphone ou de solliciter de l'aide pour la saisie de leurs documents", constate-t-elle.

En plus de cela, le mari de Wided est atteint d'épilepsie depuis son enfance. Au bout de plusieurs années passées à travailler, il n'arrivait plus à supporter la charge. "Nous avons alors consulté notre fille et décidé, en famille, qu'il valait mieux qu'il arrête de travailler. La décision a été facile à prendre, car notre priorité était sa santé".

C'est alors qu'elle décide de trouver un emploi stable et de mettre en location les deux espaces commerciaux que le couple possède. La comptable travaille de 9 à 14h pour un salaire de 800 dinars. “J’aime mon travail. Je m’y suis habituée.” Les espaces commerciaux rapportent, quant à eux, 600 dinars par mois. 

En tout, Wided et son mari gagnent donc 1400 dinars par mois et gèrent leurs finances de manière équitable.

  Voici un aperçu de ses entrées et sorties d’argent mensuelles :    

Chaque semaine, Wiem se rend au supermarché pour faire ses courses. De temps en temps, elle se rend dans des friperies pour acheter des vêtements pour sa famille. La quinquagénaire dépense environ 100 dinars par semaine pour les achats. "Je l'avoue. J'aime cuisiner et je ne me prive pas. On dépense beaucoup d'argent pour la nourriture".

Wided prépare deux plats par jour et a un penchant pour la pâtisserie. Occasionnellement, elle cuisine également plusieurs plats pour sa fille, qui travaille désormais à Tunis et leur rend visite le week-end. “Ma fille jongle entre travail et études. Pour lui faciliter un peu les choses, je lui prépare quelques plats qu’elle emporte avec elle.”

"Avant, nos revenus suffisaient pour nous trois. Avec le coût élevé de la vie, il est de plus en plus difficile de joindre les deux bouts, même à deux", commente Wided. 

Voici le détail de ses entrées et sorties d’argent mensuelles :

Zone grise

Depuis presque un an, les médicaments du mari de Wided sont en pénurie dans toutes les pharmacies. Cela contraint la famille à importer ces médicaments de l’étranger. “Nous traversons une période extrêmement difficile. La pénurie de médicaments nous oblige à dépenser beaucoup d’argent.” Le couple dépense ainsi 200 dinars par mois.

Normalement, l’achat de ces médicaments des pharmacies tunisiennes est pris en charge par la Caisse nationale d’Assurance maladie. Cependant, les médicaments importés ne sont pas éligibles au remboursement. “Non seulement la pénurie nous oblige à dépenser plus d’argent que d’habitude, mais l'État ne nous rembourse pas”, s’exclame Wided.

  “Les pénuries de médicaments et d’aliments, les coupures d’eau en soirée et l’inflation rendent la vie en Tunisie insupportable. Je suis en colère, l’Etat ne fait rien pour remédier à la situation”, déplore la comptable. 

Futur

Aujourd’hui, le principal objectif de Wided est d’économiser de l'argent et de le consacrer à l'avenir de sa fille. "Elle pourrait obtenir une bourse ou trouver du travail, mais je veux mettre de l'argent de côté pour lui donner un coup de pouce". Elle voudrait surtout que sa fille parte vivre à l'étranger. "Je ne veux pas qu'elle continue à vivre en Tunisie. Je l'encourage constamment à chercher un emploi à l'étranger. Je veux qu'elle vive dans de meilleures conditions." 

En ce qui concerne son couple, Wided aimerait voyager avec son mari et obtenir son permis de conduire, "mais cela peut attendre. Ma priorité est ma fille. Je veux assurer son avenir, puis je commencerai à penser à mes propres projets”, annonce-t-elle.