Au cœur de la Tunisie, une tradition persiste depuis des générations : les combats de béliers. Cette pratique ancestrale, profondément enracinée dans la culture tunisienne, suscite un engouement indéfectible parmi les habitant·es. Même si ces combats tendent à disparaître ailleurs, la tradition persiste en Tunisie, rassemblant toujours de plus en plus de passionnés.
Chaque année, des éleveurs se lancent dans une quête acharnée pour capturer des béliers sauvages, spécialement des espèces renommées comme les Gharbi et les Fernani. Ils investissent leur temps, leur énergie et leur argent dans l'élevage de ces animaux, les préparant pour de futurs combats. Pendant une période allant d'une à deux années, ces béliers sont élevés dans des écuries ou même dans des garages improvisés appelés "Marbet", où ils développent leur force et leur résistance.
Bien que ces combats soient une tradition enracinée dans la culture tunisienne, il est essentiel de reconnaître que cette pratique n'est pas sans susciter des débats et des préoccupations parmi les défenseur·ses des droits des animaux. Ces dernier·es soulignent que les combats de béliers impliquent des confrontations violentes entre les animaux, ce qui peut entraîner des blessures graves, voire la mort des béliers participants.
Aujourd'hui, les combats de béliers continuent d'attirer de jeunes passionnés, déterminés à perpétuer cette tradition authentique. Ces combats vont bien au-delà d'un simple spectacle, ils offrent une fenêtre ouverte sur une tradition ancestrale qui persiste avec fierté, témoignant de l'attachement des Tunisien·nes à leurs racines culturelles.
Chez Mongi, ancien éleveur de bélier de combat, une photographie de son ancien champion nommé Messi est accrochée dans le box, appelé Marbet, dans lequel il nourrit les béliers. M’Hamdia, mai 2023.
Élevés dans les montagnes de Kasserine ou les plaines de Sidi Bouzid, Mongi vient d’acquérir ce nouveau bélier dit « sauvage ». Son nom lui sera donné après la première tonte qui a lieu 15 jours après l’acquisition par le propriétaire. M’Hamdia, mai 2023.
Le moment crucial arrive lorsque les combats de béliers, connus sous le nom de "Mesyeba", sont organisés. C'est un spectacle impressionnant où deux béliers se font face, cornes contre cornes, dans une lutte intense pour la suprématie. La règle est simple mais impitoyable : le bélier perdant est exclu des combats futurs. Son destin est souvent scellé : il est soit vendu à un boucher, soit sacrifié lors d’un festin de couscous, symbole de célébration et de partage.
Les béliers victorieux acquièrent quant à eux un statut spécial. Après leur septième victoire, ils sont reconnus comme des finalistes et participent à des matchs gala qui couronnent les champions nationaux de chaque espèce. En l'absence d'une fédération officielle, chaque année apporte son lot de nouveaux champions, ajoutant une certaine dose d'incertitude et de rivalité dans le monde des combats de béliers.
Amine est en train d'entraîner Fteta, son bélier, dans un quartier populaire de M’Hmadia, situé à une quinzaine de kilomètres au sud de Tunis.. Contrairement à celle de la race Gharbi,le bélier Fernani est plus petit. Les combats durent plus longtemps pouvant aller jusqu’à 50 coups entre béliers contre une quinzaine pour les Gharbi, plus puissants. M’Hamdia, mai 2023.
Une chaîne attachée au sol, appelée « Madwer », est présente dans chaque « Marbet » pour attacher les béliers. Les passionnés se nomment « Rbatt » signifiant «attaché » (à un bélier) pour exprimer le fait qu’ils pratiquent le combat ou l’élevage. Chaque bélier est attaché dans un box pendant une année le temps qu’il prenne du poids avant de commencer l'entraînement des combats. M’Hamdia, mai 2023.
Un bélier dit “sauvage” attaché dans le marbet de Mongi qui a élevé des béliers et participé à des combats pendant plus de 20 ans. M’hamdia, mai 2023.
Saifeddine, habitant de M’hamdia, s’amuse avec un bélier dans le box d’un éleveur. M’hamdia, mai 2023.
Chaque éleveur possède ses méthodes et astuces particulières. Ils maîtrisent l'art de l'élevage et de la préparation, en utilisant des aliments spécifiques tels que l'orge, la fève et la paille pour renforcer leurs animaux . Chacun détient une recette secrète, transmise de génération en génération, qui confère à leurs béliers une force et une vitalité uniques.
Les béliers de combat sont nourris avec un certain régime alimentaire composé d’orge, de fèves et de pailles. L’objectif est de prendre du poids pour développer la masse musculaire pendant les entraînements. M’hamdia, mai 2023.
Matériels utilisés pour le nettoyage des boxs qui doivent être nettoyés une à deux fois par jour. Les passionnés se reconnaissent par l’entretien irréprochable des lieux de vie des béliers. Mourouj, mai 2023.
Parmi ces fervents passionnés se trouve Bilel, un serveur de 35 ans, originaire de Mourouj, qui a consacré sa vie aux combats de béliers. Depuis son enfance, il nourrit une passion profonde pour cette activité.Il a commencé à élever des béliers dès l'âge de 20 ans, juste après avoir décroché son premier emploi. Pour lui, élever un bélier et participer aux combats vont au-delà d’une simple passion, surpassant même son intérêt pour le football.
Mongi, âgé de 48 ans et résidant à M'hamdia, a quant à lui une vision différente. Il a élevé des béliers et participé à des combats pendant plus de 20 ans. Pour lui, la véritable passion réside dans l'élevage des béliers, dans la transformation d'un mouton sauvage en un bélier de combat. Il accorde une grande importance à l'art de choisir un bon bélier sauvage, bien plus qu'au résultat des combats. Selon Mongi, chaque bélier est voué à une destinée inévitable : la boucherie ou le partage de sa viande entre amis et famille. Ce qui compte avant tout pour lui, c'est d'avoir toujours un bélier à ses côtés, en prenant soin de lui au quotidien.
Mongi montre les dents de son nouveau bélier. Pour identifier l'âge du mouton, il faut observer sa dentition du bas de la mâchoire. Le prix d’un jeune bélier varie entre 1800 et 2000 dinars. Ceux qui cumulent entre 5 et 7 victoires peuvent aujourd’hui être vendus autour entre 30.0000 à 35.0000 dinars. M’hamdia, mai 2023.
Bilel , 35 ans, surnommé « Bamboutcha » dans une petite partie de la maison familiale où il garde ses deux béliers. Passionné depuis l’âge de 20 ans, il consacre sa vie au combat de bélier en parallèle de son métier de serveur à Mourouj. Mourouj, mai 2023.
Les colliers sont principalement utilisés pour décorer les béliers pendant les combats. Le look est déterminant pour à la fois effrayer l’adversaire et pour susciter l’engouement du public pendant les combats. Sidi Bouali à Sousse, juin 2023.
Saifeddine est en train de charger son bélier pour se rendre sur les lieux de son premier combat à Mourouj. Seuls les gagnants pourront continuer de combattre d’autres béliers. M’hamdia, mai 2023.
Un camion transportant de la paille sur l'autoroute de Tunis vers Hammamet. La paille est l’aliment principal du bélier. Hammamet, juin 2023.
Saifeddine avec son bélier avant son premier combat à Mourouj, banlieue sud de Tunis. Les combats de bélier sont organisés sur les réseaux sociaux. Chaque éleveur poste des photos de son bélier et de son palmarès. Les propriétaires ayant la même race de bélier et un nombre de combats gagnants équivalents s’organisent entre eux pour préparer un combat. Mourouj, mai 2023.
Combat entre les béliers Derwich (à gauche) et Ladraa (à droite) à Mourouj. Quand un bélier perd, il est directement vendu à un boucher présent sur les lieux du combat. Les propriétaires peuvent perdre plus de la moitié de l’argent investi dans leurs béliers. Mourouj, mai 2023.
Haykel, éleveur depuis une quinzaine d'années à Sidi Bou Ali à Sousse, a une motivation bien spécifique : la victoire. Sa passion est de remporter les combats. Il suit attentivement les groupes Facebook dédiés et dès qu'il repère une photo d'un bélier champion avec plusieurs victoires à son actif, il contacte directement le propriétaire pour organiser un combat, dans le but de gagner et d'envoyer ensuite le bélier à la boucherie. Pour lui, la défaite est inenvisageable. Ses nombreux trophées attestent de son succès et lui valent une réputation de champion, surnommé le "Real de Madrid" dans la région de Sousse. Il se targue d'avoir remporté des victoires tant en Tunisie qu'en Algérie.
Main de Fatma peinte au Henné un bélier. Cette pratique est répandue pour protéger les béliers contre le mauvais œil. M’hamdia, mai 2023.
Haykel dit « Soussa » pose avec son bélier nommé Prince, qui cumule 7 victoires, dans sa ferme de Sidi Bouali dans le gouvernorat de Sousse. Haykel revendique fièrement avoir plusieurs champions ayant 7 ou 8 victoires à son palmarès. Sidi Bou Ali, juin 2023.
Haykel, élève des béliers pour le combat depuis une quinzaine d'années à Sidi Bou Ali. Seule la victoire l’intéresse. Il expose fièrement ses nombreux trophées dans son écurie qui compte une trentaine de têtes. Sidi Bou Ali, juin 2023.
Des trophées remportés par les béliers de Haykel sont exposés dans son écuries avec une photographie de son champion de 2023 dans la catégorie Gharbi. Les combats de béliers sont officiellement interdits depuis la dissolution de la Fédération Tunisienne des combats de bélier à la fin des années 80 mais cette pratique reste très ancrée dans les milieux populaires. Sidi Bou Ali, juin 2023.
Ces témoignages viennent enrichir le tableau des combats de béliers en Tunisie, démontrant que cette tradition séculaire revêt de multiples facettes et répond à des motivations variées. Pour plusieurs, ces combats de béliers ne sont pas simplement une compétition, ils incarnent la fierté et l'identité tunisienne. Cette tradition séculaire est profondément ancrée dans le tissu social du pays, renforçant les liens entre les différentes communautés locales et préservant un héritage culturel traditionnel.
Saifeddine, pose avec devant le public avant un combat à Mourouj. Pour son premier combat, son bélier sera déclaré perdant et vendu très rapidement à un boucher venu assisté au combat. Mourouj, mai 2023.