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Ayoub, 27 ans, technicien en maintenance industrielle, 720 dinars par mois


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17 Février 2023 |
Depuis son enfance, Ayoub nourrit une passion pour la mécanique. Bien qu’il travaille actuellement dans le domaine industriel, il n’est pas satisfait de sa spécialité. Au quotidien, il lui semble que le temps lui file entre les doigts. Il projette de continuer à se former, tout en rêvant d’émigration.

Attablé à un bureau chargé d’outils et de machines, Ayoub se penche, les yeux rivés sur une carte électronique, fer à souder à la main. Il finit sa dernière opération vers 19 heures et rejoint un collègue avec qui il rentre en covoiturage, avant de regagner son domicile, dans un quartier populaire à l’ouest de Tunis.

Dès l’enfance, Ayoub exprime un fort intérêt pour le domaine de la mécanique. Désireux de se spécialiser, il fait part de son souhait à ses parents, mais son père, ingénieur en électromécanique, le pousse vers une autre branche : la maintenance automatique et informatique industrielle. “ Je l’ai écouté, j’ai rempli le dossier d’inscription, et j’ai obtenu, en 2016, mon brevet de technicien professionnel en maintenance des systèmes automatisés utilisés sur les équipements industriels”, explique-t-il.

Ayoub ne veut pas s’arrêter là et passe donc un concours pour intégrer une autre formation. Il avance : "même si je n’étais pas attiré par ce secteur en particulier, je me suis dit qu’il valait mieux avoir le plus de compétences possible. Il devient finalement technicien supérieur en automatisme et informatique industrielle en 2019.

"Je suis entré dans la vie active assez jeune, et j’aimerais poursuivre d’autres formations. Mais pour l’instant, je dois me contenter de travailler et gagner de l’argent", regrette Ayoub.

Depuis décembre dernier, Ayoub est employé dans une entreprise de réparation de pièces industrielles, dans la banlieue sud de Tunis. Il travaille à plein temps du lundi au jeudi, mais dispose de ses après-midi le vendredi et le samedi. Il touche un salaire de 500 dinars et bénéficie d’un contrat CIVP (Contrat d’initiation à la vie professionnelle) qui lui donne droit à une aide mensuelle de 200 dinars versée par l’État. 

Voici un aperçu de ses sorties et entrées d’argent mensuelles :

Ayoub vit avec sa mère et ses deux frères dans la maison familiale. Après le décès de son père, toutes les dépenses du ménage sont prises en charge par sa mère, ce qui permet au jeune homme de n’y contribuer qu’une fois tous les deux mois. Cependant, cette situation ne lui convient pas, il souhaiterait gagner en indépendance mais admet : “ avec mon salaire actuel, je ne pourrais pas me permettre de vivre seul et de subvenir à mes besoins.” 

Ayoub se rend sur son lieu de travail en covoiturage, ce qui lui “épargne la galère des transports en commun et les dépenses des taxis.” Lorsque cela n’est pas le cas, ce qui n’arrive qu’une à deux fois par mois, Ayoub se plaint : “ je perds un temps fou.”

"J’attends sans savoir quand est-ce que le métro ou le bus va passer, alors que je pourrais travailler ou me reposer pendant ces moments-là. Si je prends un taxi, je paye avec l’argent destiné à mon déjeuner."

Atteint de la maladie de Crohn, Ayoub est diagnostiqué et hospitalisé pour la première fois il y a quelques années. " Sans les cotisations de mon employeur de l’époque, ce séjour à l'hôpital m’aurait coûté beaucoup d’argent” confie-t-il.

Rétabli depuis, il profite de ses après-midi libres en fin de semaine pour se rendre à l’hôpital une fois par mois et effectuer des analyses et des visites de contrôle. “J’attends des heures pour qu’on me donne des résultats de bilans par exemple, mais heureusement que mon emploi du temps me le permet et que je ne paye pas le prix plein”, déclare-t-il.

En effet, ses frais de santé sont actuellement pris en charge par son employeur et il bénéficie d’un demi-tarif. Il ne débourse donc que 22 dinars par mois pour ces examens. 

Voici le détail de ses dépenses et revenus mensuels :

Au quotidien, Ayoub consacre une dizaine de dinars par jour aux repas de sa pause déjeuner et aux “ deux cafés, un le matin et un le soir”, dont il “ ne peut pas se passer.

Le jeune homme profite de ses jours de repos pour faire les fripes, prendre des cafés avec des amis et une fois par mois, partir un week-end en camping.

Entre le matériel, qu’il renouvelle régulièrement, le coût des trajets pour se rendre sur les sites de camping et les courses alimentaires qu’il fait au préalable, Ayoub dépense 100 dinars par mois dans cette activité.

"C'est vrai qu'une grosse partie de mes économies y passe, mais j'ai besoin de ces moments pour oublier un peu mon quotidien et profiter de la nature", admet-il.

Ayoub dit qu’il ne compte pas, et reconnaît qu’il pourrait mieux gérer son argent et sacrifier certaines dépenses pour pouvoir mettre de l’argent de côté.

Néanmoins, il soutient : “mon travail est laborieux et relativement demandé et reconnu, pourtant je suis sous-payé. Je ne comprends pas cette contradiction, mais je n’ai pas le choix.” 

Zone grise

Bien que son travail actuel lui permette d’avoir un revenu stable, Ayoub regrette d'avoir cédé aux pressions familiales en se spécialisant dans un autre domaine que la mécanique, sa passion depuis tout petit. 

Par ailleurs, les conditions dans lesquelles il exerce peuvent être dangereuses pour sa santé. Le jeune homme manipule quotidiennement des produits chimiques et des appareils dangereux, sans équipement de protection individuelle.

" Je passe mes journées à respirer de l'acétone, et autres solvants. J'ai même perdu toute sensation au bout de mes doigts à cause de l’étain et du fer à souder", explique-t-il. 

Futur

Ayoub aspire à partir à l’étranger et pour cela, il se renseigne sur de nouvelles formations et se documente sur les pays qui recrutent de la main-d’œuvre en Tunisie dans son domaine. 

Son objectif est de postuler aux offres d’emploi proposées par des entreprises canadiennes qui embauchent des travailleur·ses étranger·es. "Je dois étoffer mon CV pour être sûr d’être pris, et cette fois je veux réellement étudier la mécanique. Si j’y arrive, j’aurais un bon niveau de vie là-bas, tout en faisant ce que j’aime”, espère le jeune homme.