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Ahlem, 38 ans, travailleuse du sexe, 400 dinars par mois


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05 Février 2023 |
"Je joue un rôle comme dans une pièce de théâtre, mais ce n'est ni la vie que je voulais avoir, ni le métier que je voulais exercer", déclare Ahlem, 38 ans et travailleuse du sexe.
Ahlem a grandi dans un quartier populaire de la capitale tunisienne, au sein d'une famille modeste. Son père travaillait dans un magasin de vente de fournitures et d'équipements sanitaires d'occasion, tandis que sa mère était femme au foyer. À l'époque, la jeune fille ignorait que, dans peu de temps, sa vie allait être bouleversée. 

La trentenaire a eu une enfance "ordinaire"“Comparé à aujourd’hui, nous étions considérés riches, nous avions toutes les choses nécessaires et essentielles”, déclare-t-elle.

Ahlem avait espéré poursuivre ses études, mais au début de ses années collège, elle a été contrainte de quitter l’école. “La maladie de mon père m’a obligée à abandonner mes études et de le remplacer dans son magasin. Il n’y avait personne d’autre pour subvenir à nos besoins. Mon père ne pouvait plus continuer à travailler.” explique la jeune femme.  

Après le décès de son père, le magasin a été définitivement fermé . La jeune femme a alors travaillé comme aide ménagère pendant un certain temps, puis est restée à la maison, sans emploi.  

Voici un aperçu de ses sorties et entrées d’argent mensuelles :

“Bien que ce domaine semble être un moyen facile de gagner de l’argent, la réalité est tout autre”, affirme Ahlem, qui a été exposée à une violence extrême dans le cadre de son travail. Au début de son expérience, l’un de ses clients l’a violemment agressé. Il lui a volé l’argent qu’il lui avait donné puis l’a frappée et étranglée. À force de le repousser et de crier, Ahlem a réussi à s'enfuir. “Lorsque je suis victime de telles agressions, je ne peux pas porter plainte, je serai évidemment condamnée puisque je suis une travailleuse du sexe, sans licence” explique-t-elle, soulignant qu’elle refuse de faire la fête et de consommer de l’alcool et de la drogue.

“Je fais ce travail pour ma fille, je souhaite qu’elle puisse poursuivre ses études.”  

La trentenaire essaie de gérer ses dépenses de manière réfléchie. Entre les besoins du ménage, les dépenses liées à l'éducation de sa fille, les cigarettes et les besoins de son mari, Ahlem se retrouve dans l'incapacité de s'acheter des choses pour elle-même.

Pour les produits d'hygiène et de soins, elle doit se contenter des marques les moins chères. Quant aux produits alimentaires, elle est obligée d'acheter des articles en vrac, dont la provenance est inconnue. Il en va de même pour les produits ménagers qu'elle achète en petites quantités.  

Voici le détail de ses dépenses et revenus mensuels :

Zone grise 

 "Je me sens comme un robot, je fais ce travail comme si j'étais une machine dépourvue de toute humanité", déplore la jeune femme.   

D'après son expérience, les défis à relever dans son domaine sont nombreux. Outre le risque d'incarcération et d'arrestation, sa présence dans des zones spécifiques l'amène souvent à entrer en conflit avec d'autres travailleuses du sexe qui se partagent l'espace.

Selon Ahlem, ce secteur, comme d'autres, est également touché par l'inflation et la hausse des prix : "Le nombre de clients diminue, parfois je négocie avec l'un d'entre eux et la conversation se termine parce qu'il n'a pas assez d'argent". La jeune femme en conclut que l'offre est bien supérieure à la demande.

D'autre part, Ahlem a constamment peur que sa famille découvre son travail. Face aux exigences de sa fille qui " commence à grandir et à savoir ce qu'elle aime, je suis gênée de ne pas pouvoir acheter ce qu'elle demande", avoue la mère, qui ne voit pas d'issue favorable à cette situation.

Chez elle, la situation est d'autant plus compliquée par les conflits constants avec son mari, qui tournent autour des difficultés économiques de la famille.

Futur

Compte tenu du contexte difficile dans lequel vit Ahlem, il lui est difficile d'envisager un avenir meilleur ou même la possibilité d'une réalité moins misérable. Cependant, elle s'accroche à l'espoir de trouver un autre travail qui lui permettrait d'offrir à sa fille et à elle-même une vie décente.  

Actuellement, tous ses espoirs reposent sur sa fille, qui réussit déjà très bien à l'école. Elle voit en elle la possibilité d'un avenir meilleur si elle  "poursuit ses études." C'est, selon elle, son "but dans la vie".