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Mylow, 25 ans, Graffiti Artist passionnée, 2241 dt par mois


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22 Janvier 2023 |
Figure dans le milieu du graffiti en Tunisie, Mylow est une artiste aux multiples talents. Elle est aussi DJ, peintre, et entrepreneuse. Mylow est passionnée mais elle vit dans une certaine instabilité.

En combinaison intégrale et baskets blanches, le tout harmonieusement tâché de peinture, Mylow se tient en équilibre sur un échafaudage instable installé en pleine rue de Tunis. Sur le mur, elle détaille le visage d’une femme entourée de personnages, de fleurs et d’animaux multicolores avec sa bombe de peinture, ou "pompe à retouche. “J’aime vraiment le portrait féminin, les lettres qui sont géométriques et pleins de couleurs,” commente Mylow avec un grand sourire.

Cette façade lui a pris une semaine et lui a rapporté 1500 dinars. L’organisation qui commissionne la graffeuse, ou "Graffiti Artist" en anglais, lui a aussi fourni le matériel. Mais selon Mylow, “ce n’est jamais suffisant” et elle amène toujours ses propres bombes. 

C’est son troisième projet rémunéré en deux mois : “Il y a plus de trucs que d'habitude”, commente Mylow. En général, l’artiste n’a que quelques projets de façade par an et craint de ne plus avoir de projets jusqu’à la fin de l’année.

Mylow fait du graffiti dans l’urbanisme tunisien depuis qu’elle a 15 ans. Elle adore dessiner et son ami graffeur Droum remarque rapidement son talent : “Il m’a dit ‘tu sais dessiner, pourquoi tu n’essayerais pas de faire des lettres ou des graffitis ? Moi, je peux te corriger’,” raconte Mylow, “et voilà. J'ai commencé mon premier mur avec lui et il m'a vraiment accompagné”

La passion pour le dessin a commencé dès le plus jeune âge. Vers quatre ans, elle dessine déjà sur un des murs de sa maison, que sa mère garde intacte.

 “Maman repeignait toute la maison, sauf ce mur là (…) L’art s’est éveillé tôt chez moi.”

Avant de consacrer sa carrière aux graffitis, Mylow étudie les sciences juridiques et obtient sa licence, mais réalise rapidement que ce n’est pas la carrière qu’elle souhaite poursuivre.  “Dès le début, je n'ai pas voulu travailler dans un bureau classique. Ce n'était pas mon style.”

Elle change de voie et s’oriente vers des études d’illustration et animation 2D, puis de stylisme et modélisme, et poursuit même un diplôme en management culturel : “Dès que je me sens coincé dans un endroit, je change d'études”, plaisante-t-elle. Finalement, elle décide de rester à son compte et de vivre principalement de son art, malgré les risques et l’instabilité.

Au début de sa carrière, Mylow travaille la nuit par peur de se faire prendre. Le graffiti n’est pas illégal en lui-même mais peut-être considéré comme du vandalisme et elle ne veut pas d’ennui avec les autorités. Aujourd’hui, elle travaille plus rapidement, donc elle peut se permettre de graffer pendant la journée. Le plus souvent, Mylow peint sur les murs et les toits, et même parfois les trains, son support préféré.

Quelques années plus tôt, elle s’est notamment rendue dans la gare de la place de Barcelone pour peindre un train avec des amis, en pleine journée. “On devait faire le train pendant qu'il était parqué dans la station. (…) Tu n'as pas beaucoup de temps et il y a du monde partout. Et il y a même un poste de police là-bas...donc ça fait vraiment peur”, raconte-t-elle

Pour échapper aux autorités, le groupe doit peindre très rapidement avant de traverser les rails en courant pour se cacher. A d’autres occasions, les ami·es se rendent aussi dans des dépôts pour peindre des trains stationnés. S’ils se font prendre, ils se cachent dans les wagons occupés par des chiens errants.

“Il y a vraiment une montée d'adrénaline énorme avec le graffiti. C'est pour cela que tu ne peux pas arrêter. Personne ne s'arrête. (…) C'est une addiction.”

Voici un aperçu de ses sorties et entrées d’argent mensuelles :

Mylow peint la plupart de ses murs pour le plaisir. Plusieurs fois par mois, elle traverse Tunis à pied à la recherche d’un coup de foudre pour une façade à graffer : “Tu sors toujours faire les murs gratuits. C’est un devoir”, commente-t-elle, “sinon tu n’es pas un graffiti artist !” Le graffiti est un mouvement contre-culturel dans l’espace public, qui s’oppose à l’élitisme du monde de l’art : “le graffiti, c'est quelque chose de social, c'est gratuit, c'est pour les gens, c'est contre les musées”, estime Mylow.

Mais c’est aussi une passion qui coûte chère. Un mur simple, avec des lettrages sans trop de couleurs, lui coûte 150 dinars de pompes à retouche. Sans compter l’équipement de protection. Pour vivre de son art, elle admet qu’elle doit quand même prendre des commissions, “mais tu n’oublies jamais vraiment la rue”, ajoute-t-elle. Dès que Mylow est payée, elle achète plus de matériel pour peindre. “Comme ça, j'ai toujours des ressources pour graffer dans la rue.”

Le plus souvent, elle fait des murs avec la communauté de street artists tunisienne, son ‘crew’. Selon Mylow, ils et elles sont moins d’une centaine à travers le pays, et la moitié habitent dans la capitale. Certains font des lettrages, de la calligraphie, d’autres dessinent… Malgré les tensions entre les artistes de différents styles, la communauté tunisienne d’art urbain reste très soudée.   “Lorsqu'on sort, on s'invite tous, on fait la rue. On est une communauté solidaire par rapport à l'urbanisme tunisien. (…) On s'invite à dix, douze, et chaque jour viennent d'autres personnes.”

C’est aussi un milieu très masculin. À sa connaissance, Mylow serait une des quatre femmes graffeuses de Tunisie, mais à ses débuts, elle était la seule.

Voici un aperçu de ses sorties et entrées d’argent mensuelles :

La deuxième grande passion de Mylow est la musique. Elle est DJ et enregistre, avec trois amies productrices et musiciennes, des compositions originales qu’elles interprètent en concert en Tunisie et en Suisse.  

Cette passion aussi lui coûte chère : “Pour la musique, c'est vraiment compliqué. Tu as besoin de caméras, d'enceintes. Par exemple, je joue des vinyles et maintenant avec le Mac, je dois acheter des logiciels aussi”, énumère-t-elle. 

Tous les deux mois, elle achète aussi des aiguilles pour sa table de DJ. Mylow accumule les projets. Elle fait des expositions et du mapping, la projection de lumières sur des bâtiments au rythme de sons. Elle coordonne des festivals de graffitis. Elle a même créé son propre festival d’art urbain, dédié aux quatre mouvements du hip-hop : rap, deejaying, graffiti et break dance.

Zone grise

Les projets de Mylow lui permettent tout juste de gagner sa vie et de trouver une forme de stabilité. “À un certain moment, être multidisciplinaire ce n’est pas un choix, c’est pour survivre. Je crains pour ma vie d’ici 15 ans”, confie-t-elle. Elle habite dans un appartement avec son partenaire qui travaille aussi à son compte. Le premier payé s’occupe des factures et du loyer. Il et elle se partagent les dépenses des courses et des besoins de leur chat Chala.

Mylow se considère économe. Ses dépenses tournent autour de ses nombreuses activités professionnelles. Sa seule faiblesse est le shopping. Une partie de chaque salaire y passe : “Parfois j’essaye de me contrôler, mais c’est très difficile", reconnaît-elle.

L’instabilité financière préoccupe Mylow, surtout au sujet de ses soins médicaux. Enfant, elle était asthmatique et aujourd’hui sa bronchite chronique exige des tests mensuels. Elle ne les fait plus, parce qu’elle a perdu sa carte d’accès aux soins. Cette année, elle a souffert d’une crise d’asthme sévère, visiblement provoquée par l’exposition continuelle à la peinture et aux odeurs fortes : “Ça craint pour moi. Il faut que je m’occupe de ce problème. La dernière fois que j'avais de l'oxygène, tout ça, je me suis dit qu'à ce rythme, dans cinq ans, je ne pourrai plus graffer. Ça c'est un peu grave quand même”, s’inquiète Mylow. 

Futur

Mylow rêve de créer un espace culturel. Quand elle était plus jeune, elle passait ses pauses dans un café qui avait l’atmosphère d’une ancienne usine. “J'aime beaucoup les anciens bâtiments”, s’enthousiasme-t-elle. 

Elle est très Inspirée par La Factory, l'atelier d'artiste de l’Américain Andy Warhol à New York et rêve de créer quelque chose de similaire. “Ça m'impressionne beaucoup et je voudrais le faire moi-même", rêve-t-elle.

Mais ce projet ambitieux demande beaucoup de ressources. En attendant de pouvoir créer un espace physique, Mylow prépare une plateforme en ligne, Nwadher, qui contient un annuaire d'artistes, des cours en ligne. Elle a aussi un podcast qui parle du hip-hop et des petites expériences de sa vie très remplie.