Écrit Par

Disponible en arabe

Moufida, 51 ans, aide ménagère, 800 dinars par mois


Écrit Par

Disponible en arabe

08 Janvier 2023 |
“Si les subventions sont levées, je ne pourrai pas survivre”, déclare Moufida en réaction à l’annonce faite par le gouvernement selon laquelle les subventions seront progressivement supprimées dans un avenir proche. 

Moufida* est aide ménagère dans une entreprise à Tunis. Elle touche un salaire de 800 dinars et se bat pour subvenir aux besoins de sa famille. Depuis plusieurs mois, elle et ses enfants sont privé·es* d’eau courante, après que la Société nationale d’Exploitation et de Distribution des eaux (SONEDE) a coupé leur accès en raison de plusieurs factures impayées.

Née dans un quartier populaire au cœur de la capitale, le père de Moufida était travailleur journalier et sa mère aide ménagère. Leur situation financière était difficile et s’est aggravée avec l’âge et la maladie de ses parents qui sont devenus incapables de travailler.  

Moufida a quitté l’école très tôt, sans avoir appris à lire ou à écrire. Avant ses 18 ans, elle a épousé un homme dont les conditions financières étaient similaires aux siennes. Elle a donné naissance à son premier enfant à l’âge de 19 ans, puis a eu un deuxième plusieurs années plus tard. Pendant ce temps, elle a commencé à travailler comme aide ménagère. 

Après son mariage, la situation de Moufida ne s’est pas améliorée. “Mon mari est devenu alcoolique et chaque fois que nous recevons de l’argent, il le gaspille”, se plaint la quinquagénaire. Cela l’a poussée à demander le divorce et à prendre  entièrement en charge ses deux enfants. "Leur père les a complétement abandonné" déclare-t-elle.  

Par la suite, Moufida s'est remariée. Son second époux l'aidait à subvenir aux besoins de sa famille, y compris ceux de son père, devenu invalide à la suite de trois attaques cérébrales consécutives.

Ses parents, âgés et malades, emménagent chez elle. Au même moment, son mari sombre dans la dépendance et l'a soumet à des violences verbales, physiques et économiques. Elle décide alors de se séparer de lui. 

Suite au décès de son père, la mère de Moufida, atteinte d’épilepsie, subit un accident qui la laisse en situation de handicap. Moufida doit prendre en charge les frais médicaux et les soins nécessaires à la santé de sa mère, en plus de ses autres responsabilités quotidiennes.

Voici un aperçu de ses sorties et entrées d’argent mensuelles : 

Les deux fils de Moufida ont abandonné l’école. Ils n’avaient ni les moyens financiers, ni la volonté de finir leurs études. Ils ont essayé de trouver du travail ou d’apprendre un métier pour améliorer la situation de la famille, mais n'ont pas trouvé d'emploi. Finalement, l’un d’eux a appris le métier de coiffeur dans la boutique d’un ami et l'exerce occasionnellement à domicile pour les jeunes du quartier et les voisins. 

“Les difficultés et le chômage ont fait de l'immigration un refuge et un exutoire pour mes deux fils, face aux épreuves que nous traversons.”

Après avoir décroché un travail dans une entreprise, Moufida trouve une certaine stabilité. Elle touche un salaire mensuel et bénéficie de la sécurité sociale qui lui permettra au moins de subvenir à “[ses] besoins futurs car on ne sait jamais ce que la vie nous réserve.”

Cependant, ce salaire ne suffit pas à subvenir aux besoins d’une famille de trois personnes, dont une femme âgée, handicapée et aveugle. 

Moufida consacre la majeure partie de son salaire pour payer le loyer d’une maison “délabrée et presque effondrée”, et dont l’humidité les expose à des maladies respiratoires. Ensuite, la quinquagénaire donne la priorité aux traitements de sa mère. Elle a d'ailleurs du mal à retrouver certains médicaments, souvent en pénurie. 

Lorsqu’elle fait ses courses, Moufida s’efforce de ne pas dépenser beaucoup d’argent. Elle se limite aux choses essentielles pour les repas, l’hygiène et la propreté de la maison. Pour ce qui est des vêtements, elle fréquente les friperies et n’achète que si les prix ne dépassent pas trois dinars. 

Voici le détail de ses dépenses et revenus mensuel·les :

Zone grise :  

Moufida ne voit pas comment sa situation financière pourrait s’améliorer. L’idée que ses fils soient tentés de migrer la préoccupe. Elle a réussi à les dissuader d’entreprendre une migration irrégulière, mais elle ne sait pas combien de temps elle pourra les empêcher de le faire. D'autant plus que cette situation s'aggrave avec la hausse des prix qui l’oblige parfois à partager une bouteille d’huile avec sa voisine pour éviter d’avoir à payer le prix, d’emprunter souvent de l’argent et de s’endetter.  

“Parfois je me dis : ‘nous mourrons ici et nous mourrons aussi en mer. Quelle est la différence ? Si je n’avais pas la responsabilité de ma mère malade, j’aurais pris la mer avec mes enfants pour quitter ce pays.” 

D’autre part, Moufida est en conflit avec le propriétaire de la maison, qui refuse de lui fournir un contrat de location, mais veut tout de même augmenter son loyer tous les ans. De plus, comme elle n’a pas de machine à laver et que son réfrigérateur est en panne, la quinquagénaire est obligée de laver ses vêtements à la main et d’acheter quotidiennement certains aliments. Cette situation entraîne une fatigue accrue, tant mentale que physique pour Moufida.  

Futur   

La quinquagénaire nourrit l’espoir d’une baisse des prix et d’une amélioration de sa situation financière. Elle essaie d’ailleurs d’encourager son fils à renouveler son passeport et à suivre une formation professionnelle qui lui permettrait d’acquérir une compétence recherchée à l’étranger. Ainsi, il serait en mesure de voyager et d’émigrer de manière légale depuis la Tunisie.

Moufida espère que la vie ses enfants sera meilleurs, "ce qui améliorera automatiquement la [sienne]." Pour elle, "quitter le pays" est la seule option pour améliorer sa condition et celle de sa famille.

  “Je confie mon sort à Dieu, dans l’espoir qu’une solution se présente.” conclut-elle.