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Abderrazek, 23 ans, gérant du bar d’un hôtel au Qatar, 3562 dt


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27 Novembre 2022 |
Abderrazek arrête l’école et commence à travailler très tôt. Dès son adolescence, il rêve d’immigrer en Europe mais n’y parvient pas. Il se tourne alors vers le Qatar, en espérant économiser suffisamment pour atteindre la destination de ses rêves, le Canada.
Posté derrière le bar, une boisson à la main, Abderrazek alterne entre regarder le match et répondre aux réclamations des client·es. Les yeux rivés sur la télévision, il mélange un cocktail tout en espérant voir le Japon gagner contre l’Allemagne. 

Originaire de Kairouan, Abderrazek grandit au sein d’une famille nombreuse. Très tôt, il comprend que le système éducatif n’est pas fait pour lui et arrête l’école en 9ème année après un redoublement. “ Mes parents, comme toutes les familles en Tunisie, ont voulu que je continue jusqu’au bac, pour ensuite devenir policier ou gendarme et avoir un salaire fixe. Mais je n’ai pas voulu”, explique-t-il. Le jeune homme préfère se tourner vers les métiers du service. Il décide alors de poursuivre ses études à Sousse. Cuisine, restauration, hôtellerie, Abderrazek accumule les formations. “ J’ai ensuite vu des amis travailler dans des bars et j’ai voulu essayer. Ça m'a plu”, narre-t-il. 

Peu à peu, il se spécialise en préparation de cocktails et création de menus. Au départ, il travaille dans des hôtels, puis dans plusieurs restaurants. Après quelques mois, il se retrouve au chômage et doit alors retourner dans sa ville natale, où il enchaîne les petits emplois précaires dans des cafés.     

Pendant ce temps, ses rêves d’émigration s’intensifient. Abderrazek voudrait aller au Canada ou dans les pays d’Europe du Nord. Avec une soeur en Italie et un frère en Allemagne, sa famille le pousse à quitter le pays, même par voie irrégulière. “ Je n’étais pas convaincu mais je devais sortir de la Tunisie. J’étais désespéré, alors j’ai essayé deux fois, mais on a été rattrapés. Après j’ai laissé tomber”, décrit-il. 

“Mon rêve c’était le Canada, mais il faut un compte bloqué, un visa… J’ai entendu dire que le Golfe s’était vraiment développé ces dix dernières années. J’ai donc pensé à y aller et essayer”, raconte-t-il. 

Au fil de ses recherches, il tombe sur le Qatar, un pays où les emplois dans le secteur du tourisme abondent et où le visa est facilement accessible aux Tunisien·nes. 

Abderrazek obtient alors rapidement son visa. Automne 2020, à l'âge de 19 ans, il s’envole pour le Golfe avec 2000 dinars en poche. “ Une somme qui n’a même pas tenu une semaine”, admet-il en rigolant. S’ensuivent alors plusieurs mois de chômage et de difficultés financières. 

“Ici tu ne peux pas travailler sans papiers. Il te faut une entreprise qui se porte garante de toi, une carte d’identité…Chaque jour, je payais l’équivalent de 15 dt en amendes car j’avais dépassé la durée de mon visa”, explique-t-il. 

Le jeune homme habite alors avec huit autres hommes dans une même chambre, qu’il compare à une prison. De temps en temps, sa sœur lui envoie quelques centaines d’euros, qui peinent à couvrir ses dépenses pour plusieurs mois. 

“La vie au Qatar est très chère [...] Il m’arrivait parfois de manquer de nourriture ou de tabac. Mais j’ai su patienter [...] C’est une expérience que j’ai vécue avec légèreté, parce que c’est moi qui l’ait voulue”, raconte-t-il. 

Après avoir été refusé à plusieurs emplois en raison de son niveau d’anglais, Abderrazek décide de prendre des cours de soutien. Avec l’arrivée de la pandémie, il réfléchit à quitter Doha. “ J’ai voulu rentrer en Tunisie, mais ma mère m’a convaincu de rester encore un mois. J’en ai profité pour étudier l’anglais”, relate-t-il. 

Quelques semaines plus tard, il obtient son premier emploi en tant que serveur. Un an plus tard, il décide de prendre des vacances d’un mois en Tunisie. Entre ses sorties, le billet d’avion et l’argent qu’il donne à ses parents, la quasi-totalité de ses économies disparaissent. De retour au Qatar, il décroche le poste qu’il occupe encore actuellement, en tant que responsable du bar dans un hôtel.  

Voici un aperçu de ses sorties et entrées d’argent mensuelles

Abderrazek habite aujourd’hui dans un appartement dans un quartier réservé aux employé·es de sa compagnie. Son transport vers son lieu de travail et ses repas les jours de travail sont également pris en charge par l'hôtel. 

“Je travaille de 16 ou 17h jusqu’à 1h du matin. Je vis donc surtout la nuit", détaille-t-il. À la fin de sa journée, Abderrazek profite des quelques heures de tranquillité pour appeler sa famille et ses ami·es en Tunisie. Il ne s’endort en général que vers 5 ou 6 heures du matin. 

Les jours de repos, il sort avec ses ami·es, soit à la plage, soit dans un café. “ C’est vrai qu’ici les gens sont plus conservateurs qu’en Tunisie. Il faut savoir vivre en suivant leur système et leur mode de vie”, témoigne-t-il.  

Voici le détail de ses dépenses et revenus mensuels

“Je suis très dépensier, surtout pour les vêtements”, admet-il. Abderrazek consacre ainsi presque 500 dt de son budget mensuel à l’achat de nouveaux vêtements. Malgré toutes ces dépenses, il parvient à épargner. “ J’essaie d’économiser un certain montant, mais il m’arrive souvent des imprévus, que ma famille ou mes ami·es me demandent de l’argent, à cause d’une maladie par exemple. Parfois je peux économiser jusqu’à [l’équivalent de] 1700 dt et parfois je dépense tout”, explique-t-il.  

Il envoie également de l’argent à sa famille, de manière assez aléatoire, en fonction des besoins. Outre ses parents, qui vivent de la faible retraite de son père, il prend également en charge les dépenses de sa petite sœur, encore étudiante à Hammamet. 

Addict aux cigarettes, Abderrazek fume presque un paquet par jour, ce qui lui coûte 539 dt par mois. Les jours de repos, il ne cuisine pas et préfère commander sa nourriture en ligne. Les quelques courses qu’il fait sont réservées aux produits d’entretien et d’hygiène personnelle, à hauteur de 88 dt. 

Pour les transports, il prend généralement le bus, pris en charge par son employeur, mais il lui arrive souvent de le rater. “ Ça m'arrive plusieurs fois par mois”, reconnaît-t-il. Ces incidents expliquent la majeure partie des 150 dt qu’il dépense sur le transport. 

Zone grise 

En quatre ans, Abderrazek est rentré une seule fois en Tunisie. Il envisage d’y aller une seconde fois cet hiver. Aujourd’hui, sa vie au Qatar le satisfait, mais il ambitionne toujours d’aller ailleurs.

“Ici, je peux faire tout ce que j’ai envie de faire [...] C’était une bonne expérience et j’ai réussi à gagner de l’argent. Mais je commence à me sentir bloqué”, reconnaît-il. 

Futur 

Abderrazek rêve toujours d’immigrer au Canada, ou au Nord de l’Europe. Pour cela, il espère économiser un certain montant, afin de décrocher un emploi et d’y aller légalement. 

“Je veux juste atteindre un certain budget après je m’en irai. Je veux aller au Canada, en Suède ou en Espagne. J’ambitionne de vivre en Europe et d'être bien payé. Je veux essayer de le faire, même si ça finit par être une déception”, insiste-t-il.