“Une vie entre parenthèses : nos histoires avec le cancer”, la nouvelle production d’inkyfada podcast

“Ca n’arrive pas qu’aux autres”. Il y a 12 ans, quand Olfa a appris qu’elle était atteinte d’un cancer, elle n’a pas été surprise. Comme si elle le savait déjà, “instinctivement”. Emna, diagnostiquée l’année dernière, abonde en son sens. “Le corps sait”. Au micro d’inkyfada podcast, ces deux femmes échangent et racontent comment le cancer a suspendu leur vie pendant quelque temps, et comment il ne les a jamais vraiment quittées depuis.
Par | 20 Octobre 2022 | reading-duration 5 minutes

Disponible en arabe
Octobre rose. Les publicités et messages de soutien s’étalent sur de nombreuses devantures. Chaque année, durant tout un mois, une campagne de mobilisation autour du cancer du sein s’organise, pour témoigner, raconter, et sensibiliser - parfois maladroitement - aux risques de la maladie et l’importance du dépistage.

À cette occasion, Inkyfada Podcast a souhaité donner la parole à des personnes directement concernées. Olfa et Emna ont chacune eu un cancer. Elles discutent de leurs expériences respectives et apportent leurs témoignages. Elles reviennent sur l’importance du corps médical, les relations avec leurs proches ou encore l’importance de l'acceptation et l’image de soi. Leur échange, à la fois entrecoupé de rires et chargé d’émotions, témoigne avec spontanéité de ce sujet douloureux. 

Le parcours médical

11 ans séparent le diagnostic d’Olfa et d’Emna. La première a été diagnostiquée le 13 mars 2010, alors qu’elle était étudiante. La seconde a découvert son cancer du sein en 2021. Immédiatement, cette dernière s’en remet aux médecins. “Ils ont ta vie entre les mains”, admet-elle.

Tout un parcours médical commence, entre chimiothérapie, radiothérapie, rendez-vous de suivi. Emna et Olfa insistent sur le fait que le rôle du corps médical est alors capital. “J’ai été très chanceuse”, témoigne Olfa. “C’est moi que le médecin mettait en priorité, il répondait à mes attentes. Il était concentré sur moi et non sur ce qui allait m’arriver”.

Dans leur échange, Emna et Olfa désignent le corps médical comme un véritable “système de soutien”. Emna salue la “bienveillance et l’humanité” des oncologues l’ayant pris en charge et particulièrement le médecin l’ayant suivi. 

“Je lui dois la vie. Il l’avait entre ses mains et il en a pris soin”.

Après le diagnostic d’un cancer, le processus de soin s’enclenche très rapidement. Entre le moment où Emna a appris qu’elle était atteinte d’un cancer du sein et sa première séance de chimiothérapie, il s’est écoulé quatre jours. “Il faut à la fois aller très vite et c’est en même temps une longue procédure”, décrit cette dernière.

Rapidement, l’enjeu de l’argent se pose. Pour Olfa et Emna, qui s’estiment privilégiées, il a été possible d’avancer les frais attendant un remboursement de la CNAM, mais c’est loin d’être le cas de tout le monde. “Parfois, la CNAM refuse, des gens font des recours et embauchent des avocats”, raconte Emna. Ce qui retarde les soins et entraîne une perte de temps précieux pour la prise en charge. À cela s’ajoute le coût du traitement et les risques de pénurie, qui concernent de nombreux médicaments. 

Mon cancer et les autres

“Quand tu as un cancer, il y a plusieurs types de personnes : ceux qui s’enfuient, ceux qui restent et ceux qui en font trop”, résume Olfa. Pour vivre au quotidien avec la maladie, le rôle des proches est essentiel. Certain·es sont d’un soutien énorme mais tout·es ne savent pas toujours comment réagir. Dans le podcast, les anecdotes s’enchaînent : de la mère d’Olfa qui tient absolument à lui faire manger des petits pains au point de l’en dégouter, à la réaction touchante du fils d’Emna quand celle-ci perd ses cheveux, l’entourage est présent à chaque étape.

Mais la découverte du cancer a parfois un impact négatif sur les relations avec autrui. Emna rappelle qu’un couple sur deux ne survit pas à l’arrivée d’un cancer. Dans les cercles plus larges, elles soulignent toutes les deux que les individus posent souvent des questions indiscrètes, sans mesurer la portée de leurs paroles. “Ils posent la question pour eux, pas pour moi”, dit Emna, tranchante, “c’est leur rapport à la mort et à la maladie qui s’exprime”.

Pour cette dernière, la pitié et les comportements des autres sont avant tout "autocentrés". Elle donne un “exemple tout bête” : les messages d’anniversaire. “Pour mon anniversaire, j’ai reçu des messages de gens qui ne me voyaient qu’à travers la maladie. Qui disaient en gros ‘J’espère que tu vas vivre’”, raconte-t-elle. “‘Joyeux anniversaire', ça suffit !”

“Les gens ne se rendent pas compte que je vais peut-être passer une semaine à ruminer sur une phrase qu’ils ont pu me dire, sans mesurer leur maladresse et à quel point cela est blessant”.

“L’entourage comprend jusqu’à un certain point”, estime Olfa. Pour elle, les personnes importantes sont “finalement celles qui ne te voient pas à travers le spectre de la maladie”.

L’acceptation de la maladie… et de soi

Dès le diagnostic jusqu’à la rémission, et même plus tard, la relation à la maladie est un enjeu important pour les personnes atteintes d’un cancer. Olfa raconte ainsi que pendant son traitement qui a duré quatre mois, son corps était comme “dans une bulle”. “Et moi, je m’observais, depuis l'extérieur de cette bulle”.

Le difficile rapport au corps, devenu objet du corps médical, se traduit jusque dans l’intimité du couple et l’évolution du désir, abordé sans tabou. Mentalement, il faut lutter contre la solitude qu’entraîne le diagnostic et la culpabilité du survivant après la rémission. “On se dit : ‘Pourquoi moi ?’”

Dès le début, Emna s'est prise en charge psychologiquement, pour apprivoiser cette “vie avec l’angoisse”. Pour Olfa, le processus a été plus long. Il lui a fallu 12 ans pour envisager une thérapie et mesurer qu’elle n’avait pas pleinement accepté sa maladie. 

"J’ai passé 12 ans engourdie (...). Et j’ai mesuré que je n’avais jamais fait le deuil de la personne que j’étais avant mon cancer. Je n’ai pas eu le temps de lui dire au revoir”, reconnaît-elle.

Elle a ainsi vécu le cancer comme une cassure, une coupure dans l’évolution de sa vie. “Mais ce n’est peut-être pas une cassure”, répond Emna doucement. "Ça fait partie de nous car le cancer ne part jamais vraiment”. 

Écoutez l’intégralité de “Une vie entre parenthèses : nos histoires avec le cancer”, exclusivement sur inkyfada podcast