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Samir, 33 ans, dealer depuis dix ans, 2800 dinars par mois


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24 Juillet 2022 |
Cela fait dix ans que Samir est dealer : cannabis, champignons, MDMA, etc. Il vend de nombreux types de stupéfiants. Son quotidien se partage entre ses fournisseurs et ses client·es.

Entre deux livraisons, Samir choisit minutieusement son itinéraire pour éviter les caméras de surveillance. Sa journée de travail est répartie entre coups de fils avec ses fournisseurs, ses client·es et ami·es, ses déplacements à pied ou en taxi. Il note toutes ses dépenses sur un bout de papier. Depuis une décennie, il vit grâce au deal de toutes sortes de stupéfiants, du cannabis à la cocaïne.

Lorsque Samir commence à vendre des stupéfiants, il commence d’abord par fournir du cannabis et en petites quantités. Il en met une partie de côté pour sa consommation personnelle et pour ses ami·es.

Ces ventes lui assurent un complément de revenus. A l’époque, après s’être formé tout seul au montage sonore et à l’informatique, il collabore avec plusieurs radios tunisiennes sur des spots publicitaires en tant qu’éditeur de voix et mixeur de son. Mais sa rémunération ne suffit pas à subvenir à ses besoins.

En 2011-2012, la vente de cannabis devient la source principale de ses revenus. Le jeune homme réussit à monter tout un business : avec ses économies, il achète et revend des téléphones pour gagner plus d’argent, obtenir de plus grandes quantités de cannabis et agrandir son cercle de client·es

Peu à peu, Samir se renseigne sur le darknet pour tenter d’acquérir d’autres substances, pas ou peu disponibles en Tunisie. En naviguant sur ces marchés virtuels, il suit le cours des divers types d’acide, champignons hallucinogènes, MDMA, etc. Depuis 2014-2015, il a réussi à s’en procurer, élargissant alors sa marchandise et sa clientèle. 

“On peut avoir l’impression que je gagne beaucoup d’argent, surtout lorsque j’encaisse parfois le double de ce montant mais les dépenses sont tellement énormes que je ne récupère que des miettes”, commente Samir. “Il ne faut pas oublier que les sommes que je reçois des clients finissent par être versées à mes fournisseurs, je ne dois alors faire aucun faux pas.”

  Voici un aperçu de ses entrées et sorties d’argent mensuelles :    

Samir vit en couple depuis plusieurs années. Après avoir vécu cinq ans en concubinage avec sa compagne, il et elle ont décidé de se marier l’année dernière. D’un commun accord, il ne touche pas au salaire de sa femme Amira : le couple a créé une caisse commune pour les dépenses quotidiennes. Amira  travaille à distance : elle gère le projet d’un site de vente en ligne en partenariat avec une société française.

“Il n’y a pas de comptes entre nous, la personne qui fait le plus de rentrées d’argent paye le loyer qui s’élève à 800 dinars et les factures d’eau, d'électricité et d’internet”, détaille-t-il, “je ne connais pas beaucoup de couples qui fonctionnent ainsi”.

Pour les courses, Samir et Amira, achètent généralement quelques légumes, de la volaille, des œufs, du miel et des aliments pour leur petit-déjeuner. Le reste des repas sont pris à l’extérieur. Il et elle mangent des sandwichs ou partagent une pizza ou un plat lorsqu'ils commandent des bières. 

Samir boit en effet tous les jours. “Avec ma femme, on boit nos quatre à six bières chaque jour, sauf le dimanche où je me repose des bains de foule et me réorganise pour la semaine à venir”, explique-t-il. Ces dépenses leur reviennent à plus de 1000 dinars.

Au quotidien, les principales dépenses de Samir concernent le transport. Ce dernier réserve surtout des taxis via l’application Bolt afin d’être sûr d’être ponctuel. Cela lui coûte plus de 300 dinars par mois.

Ainsi, à part l’alcool et les cigarettes, Samir et Amira ne dépensent presque pas pour leurs loisirs. Depuis qu’il a vendu son matériel sonore, le jeune homme n’a plus de dépenses liées à ce loisir. Parfois, Samir consomme son bénéfice en substances.

Voici le détail de ses entrées et sorties d’argent mensuelles :

Zone grise

Il y a des journées entières durant lesquelles Samir ne reçoit aucun appel de la part de ses client.es. Il vend seulement un demi-gramme par hasard quand il rencontre une connaissance au café du coin et rentre chez lui. 

Pendant l’été par contre, Samir gagne généralement beaucoup plus. Mais cette année, la situation est plus difficile que d’habitude. “Cette période est assez serrée malgré la reprise des festivals, des soirées privées et des rave parties. Les gens peinent à jongler entre dépenses familiales et loisirs”, analyse-t-il, “aller à la plage coûte cher à présent avec le prix du carburant qui n’arrête pas d’augmenter. Du coup, les personnes qui consomment d’habitude des substances chimiques ne consomment plus que de l’alcool et du cannabis en ce moment”.

Même si Samir arrive à subvenir à ses besoins, l’instabilité de son activité rend les choses parfois difficiles. Par exemple, ni lui ni Amira n’ont accès à des carnets de couverture sociale. Au moindre imprévu de santé, le couple se retrouve alors en difficulté, comme cela a été le cas il y a quelques semaines : Amira a dû subir une intervention à la clinique, ce qui leur a coûté 1000 dinars. 

La période du confinement à cause du Covid-19 a également été compliquée. “Je n’ai pas travaillé et je suis resté à la maison. Je pouvais trouver des solutions mais le flou de la situation du confinement qui devait durer deux semaines tel que prévu mais qui a fini par s’étaler graduellement sur deux années, ont eu raison de nos économies car ma femme était également au chômage à ce moment-là.” Lorsque la crise du Covid-19 a éclaté, Samir et Amira prévoyaient alors de lancer leur propre projet de vente en ligne mais cela a été suspendu en raison de la situation sanitaire. 

Futur

Le jeune homme admet qu’avec des revenus similaires au sien, de nombreuses personnes pourraient vivre aisément. D’après lui, ses dépenses sont liées au stress qu’il vit au quotidien. Par ailleurs, Samir ne se fait pas d’illusions concernant les années à venir. “Quand on était enfant, on a beaucoup rêvé et voilà où on en est. Je n’ai plus de rêve, je vis au jour le jour. Le futur en Tunisie est très flou, notamment à cause des prix toujours en hausse”, raconte-t-il.

Ainsi, il n’aspire pas à gagner plus d’argent : il est persuadé qu’en gagnant même plus de 10.000 dinars, cet argent finirait pas perdre de sa valeur. Son seul objectif est de pouvoir faire face à d'éventuelles grosses dépenses imprévues.

Il ne tient pas non plus à agrandir le nombre de sa clientèle, il pense que ce qu’il gagne lui suffit. “Dealer, ce n’est pas frimer, all I need is money. Après tout, je vois des amis salariés qui dépensent tout leur argent pour aller boire et se défoncer et il leur arrive même de contracter des crédits pour le faire”.