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Hela, 48 ans, plusieurs vies entre la Tunisie et la France, 3279 dinars par mois



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20 Décembre 2021 |
Partie à l’étranger il y a 16 ans, Hela vient de rentrer en Tunisie. Après un parcours professionnel éclectique, entre salariat et entrepreneuriat dans divers domaines, cette quadragénaire veut désormais la tranquillité, mais les difficultés financières guettent.

Confortablement assise dans son jardin avec piscine, Hela fait le point. “ Ça aurait dû être la meilleure période de ma vie, mais on en est loin”.

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Issue d’une famille de six enfants, de père tunisien et de mère espagnole, Hela grandit à Tunis. Sa grand-mère maternelle, arrivée d’Espagne à l’époque de la colonisation française, a épousé un Tunisien et a décidé de s’établir définitivement en Tunisie, malgré la pression familiale. A l’indépendance, la famille maternelle quitte le pays. “C’est un moment de rupture pour ma grand-mère, qui ne retournera jamais dans son pays d’origine”, explique Hela.

Adolescente, Hela passe le plus clair de son temps chez des ami·es, et quand elle le peut, à l’étranger. “Ce n’était pas la joie à la maison, je voulais fuir”, justifie-t-elle.

A vingt ans, elle est recrutée dans une agence de voyage, de laquelle elle deviendra plus tard actionnaire. “C’était la belle vie”, se souvient-elle, nostalgique. “J’accompagnais des groupes de voyageurs dans le monde entier, je gagnais ma vie tout en m’amusant”.

Au début des années 2000, terrassée par une déception amoureuse, la jeune femme décide de quitter la Tunisie et entreprend un DUT en logistique à Toulouse. Elle revend alors toutes ses actions pour lui permettre de subsister pendant sa reprise d’études. Arrivée en France, elle se met en colocation avec une compatriote tunisienne et entame “les années les plus insouciantes et marrantes” de sa vie.

A la suite de ses études, Hela décide de rester en France. Elle travaille et met de l’argent de côté avant de monter une affaire dans le bâtiment avec l’aide d’amis. C’est à cette même période qu’elle fait la connaissance d’Ali, le frère d’une amie, qui deviendra son mari. “Ma famille en Tunisie commençait à s’inquiéter : j’avais 38 ans et toujours pas d’enfants”, justifie-t-elle.

Hela fait alors table rase, vend son entreprise et part s’installer en Autriche avec son époux. “Je suis allée trop vite, j’ai vendu mon affaire sans régulariser mes impôts en France. A l’époque j’avais tiré un trait sur ce pays sans savoir que j’y retournerai un jour”.

A peine installée dans sa nouvelle vie, Hela déchante. Son mari, alcoolique, présente des comportements de plus en plus violents envers elle. “Il rentrait complètement saoul le soir, cassait tout. Un jour, alors que j’essayais de fuir, il m’a séquestrée”. Elle est terrorisée et renonce à partir. Deux ans après cet épisode, sa mère décède et malgré les menaces, elle parvient à regagner la Tunisie et à se réfugier chez ses proches.

Commence alors une longue procédure de divorce, qui n’aboutit qu’au bout de trois ans. Il lui faut cependant verser une compensation financière à son ex-conjoint, sous prétexte que c’est elle qui a demandé la séparation. “J’étais ruinée, j’avais tout laissé en Autriche, même mes habits”, se souvient-elle douloureusement.

Hela a besoin d’argent et décide de retenter sa chance en France. Elle retourne à Toulouse où elle travaille comme caissière, le temps de se remettre à flot. Elle atteint presque la quarantaine et fait le point :

“Je voulais des enfants, mais j’avais tiré un trait sur les hommes”, raconte-t-elle.

Elle renoue alors avec un ami de longue date qui accepte de l’accompagner en Espagne pour tenter de concevoir un enfant par le biais de la procréation médicalement assistée. La technique échoue, et Hela renonce au bout de la deuxième tentative.

Faute d’enfant, elle décide, depuis l’étranger, de se lancer dans la construction de deux maisons en Tunisie, à Boumhel en banlieue sud de Tunis, avec l’aide de l’héritage de sa mère et d’un petit commerce qu’elle vient d’ouvrir en France. Elle rencontre alors Christian, militaire français à la retraite, qu’elle épouse sur-le-champ. Le couple s’installe en Tunisie, dans l’une des maisons de Hela et vit de la retraite de Christian, 1000 euros soit 3.279 dinars par mois. “C’est suffisant pour bien vivre en Tunisie”, commente Hela.

Voici un aperçu de leurs dépenses :

Les travaux des maisons battent leur plein, et elle travaille d’arrache-pied pour les mener à bien. “ A cette époque, je me suis sentie très seule. Christian ne parle pas un mot de Tunisien, et n’entend rien au bâtiment, il n’a pas pu m’aider”. Elle découvre alors un problème de taille qui vient compliquer l’avancée des travaux : les terrains sur lesquels sont érigées les maisons ne sont pas constructibles, ce qui rend le raccordement au réseau de distribution d’eau impossible. Hela parvient à négocier avec le cafetier d’en face : “j’ai raccordé mon réseau au sien, et en contrepartie je prends en charge sa facture d’eau qui est d’environ 120 dt par mois”.

“La vie au soleil” dont Hela avait rêvé prend peu à peu forme. Le couple a ses habitudes : le lundi, courses pour toute la semaine, tous les soirs apéro au bord de la piscine avec amis et famille, et de temps à autres week-end à l'hôtel. Elle décore, lui bricole. Mais malgré tout, le couple bat de l’aile.

Voici le détail de ses dépenses et revenus mensuel·les :

Zone grise

“Mes beaux-parents ont passé plus de trois mois chez nous. C’est là que les choses ont basculé”, se souvient Hela. “Christian s’est mis à tout calculer, il avait l’impression que je le dépouillais financièrement, alors qu’on a toujours tout partagé”, relate-t-elle amèrement.

Le couple a récemment décidé de se séparer. A la déception que Hela doit digérer s’ajoute l’angoisse de ne plus avoir de rentrée d’argent.

Je suis entièrement dépendante”, souffle-t-elle.

Rester en Tunisie est une option difficilement envisageable pour elle, au vu de la situation économique du pays. Elle a songé à retourner en France, mais sa carte de séjour arrive bientôt à expiration, et elle ne compte pas la renouveler. Elle a également tenté d’obtenir la nationalité espagnole, de par sa mère, mais celle-ci étant restée en Tunisie à l’indépendance, le passeport rouge vermillon lui a été retiré. “J’ai bientôt 50 ans, je n’ai plus la force de me battre”.

Futur

Hela tente progressivement de liquider ses biens. Elle vient de vendre un terrain à 180.000 dinars, acheté moins cher il y a quelques années. Elle projette également de vendre sa deuxième maison afin de tout réinvestir dans un projet de construction d’appartements à mettre en location.

“Je n’ai pas d’autre solution si je veux avoir une vieillesse tranquille”, soupire-t-elle. A bientôt cinquante ans, elle estime qu’il vaut mieux vivre seule que mal accompagnée. “C’est malheureux de s’en rendre compte aussi tard. Je n’ai jamais eu de chance en amour, mais maintenant je peux vivre sans”, conclue-t-elle, résignée.