Wadji a une scolarité plutôt difficile. Il quitte le lycée en 4ème année et passe le bac en candidat libre mais ne parvient pas à l’obtenir. En parallèle de ses études, il commence à travailler dès ses 15 ans en tant que “mekess”*. “J’ai commencé à faire du commerce très jeune. Dès que j’ai eu de l’argent de côté, j’ai commencé à acheter tout un tas de choses pour les revendre”, explique-t-il.
Malgré ses petits boulots, sa famille s’inquiète pour son avenir et il décide de s’inscrire au concours de la Garde nationale. Wajdi doit alors passer une série d’épreuves. Après six mois d’entraînement et une formation spécifique pour intégrer la brigade d’intervention de la Garde nationale, il atteint le grade de caporal et est envoyé dans le sud de la Tunisie. Sa mission principale : préserver “l’ordre public” pendant des événements ou des manifestations. “Après la révolution, c’était du grand n’importe quoi, on ne savait même pas comment faire notre travail !”, affirme-t-il.
Au bout de quatre ans, il demande son transfert dans sa région d’origine et retourne chez ses parents, dans une ville frontalière à moins d’une centaine de kilomètres de la frontière algérienne.
Au quotidien, Wajdi fait du “24/48h” : c'est-à-dire qu’il travaille 24h et puis se repose 48h , sauf dans les cas exceptionnels où il peut enchaîner plusieurs jours d’affilés. Dans ces moments-là, lui et ses collègues s’arrangent pour dormir quelques heures dans le commissariat ou dans les voitures. Mais ils sont dans l’obligation de rester sur le qui-vive, n'ont pas de plage horaire pour manger et ont très rarement accès à un endroit pour se laver.
Dans le cadre de son travail, Wajdi est amené à rencontrer et à parler avec beaucoup de monde, surtout sur la route. À force de rencontres, il dit s’être lancé progressivement dans le “transport”. “Je ne fais pas de contrebande, j'emmène juste de la marchandise d’un point à un autre. Pour la plupart ce sont des marchandises légales avec les papiers de douane en règle, on va dire que je fais de la distribution”, dit-il, sûr de lui.
Voici un aperçu de ses dépenses et revenus mensuel·les :
Wajdi se décrit comme “courtois et correct” avec les gens qu’il interpelle sur la route. Grâce à cela, il raconte avoir rencontré plusieurs personnes à qui il propose de transporter de la marchandise n’importe où "tant qu’elle est légale”. Mais il avoue à demi-mot que ce n’est pas toujours le cas. “Parfois c’est vrai que la marchandise n’est pas forcément légale, mais j’évite la plupart du temps”, assure-t-il.
Il mène ses activités durant ses jours de repos. Après ses 24 heures de travail, Wajdi rentre se reposer quelques heures avant de retourner à la frontière pour charger la marchandise - généralement des pièces de voiture et des moteurs - dans sa fourgonnette. Cela lui arrive aussi d’acheter de la marchandise et de la revendre par lui-même. Généralement, il les livrent ensuite vers le souk d'El Jem ou plus au Sud, parfois jusqu’à Sfax ou ses environs. Occasionnellement, il lui arrive d’aller jusqu’à la capitale. Sur la route, Wajdi ne craint pas les contrôles.
“Nous sommes collègues après tout !”, commente-t-il.
En comptant sa prime trimestrielle, le salaire de Wajdi s’élève à environ 1300 dinars par mois. Grâce à ses activités annexes de "transport", il gagne environ 3000 dinars mensuels supplémentaires. “Les bons mois, je peux gagner jusqu’à 6000 dinars ! Mais parfois, ça tombe à 2000 dinars”.
Voici le détail de ses dépenses et revenus mensuel·les :
En 2013, Wajdi a contracté un crédit en prévision de son mariage, des travaux à faire dans sa future maison, pour compléter l’achat de sa voiture, etc. “Sinon je n’aurais jamais fait de crédit”, dit-il en soupirant. Le couple se marie l'année suivante et s'installe dans une maison. Deux ans plus tard, Wajdi devient père d’une petite fille.
La famille fait souvent des promenades ou des sorties au restaurant. Wajdi fait en sorte “qu’elles ne manquent de rien”. Sa femme, professeure, n’est pas encore titulaire donc il tient à lui donner environ 200 dinars par mois.
Quant à lui, il sort régulièrement après le travail, en allant au bar avec ses amis ou en sortant faire du sport. “Je n’ai jamais fumé, je mange bien… Mon seul écart, c’est l’alcool !” confie t-il. Wajdi tient à faire beaucoup de sport et il a même inscrit sa fille avec lui à la salle. “Ma fille est comme moi, très sportive, quand on la regarde on la croit toute chétive mais elle est très robuste comme son papa !”, commente-t-il avec fierté.
Zone grise
Wajdi est monté en grade il y a 3 mois et est censé gagner, d’après lui, 100 dinars supplémentaires. Mais pour l'instant, son salaire n’a toujours pas été augmenté.
Son objectif est de mettre encore plus d’agent de côté qu’il ne le fait actuellement. “Je travaille quand même tous les jours et c’est très fatigant quoi que je fasse, je devrais pouvoir mettre plus de côté mais je n’y arrive pas”, dit-il, frustré. Son crédit doit s’achever en 2024 et il aimerait en prendre un autre pour acheter une maison. “Après tout, la maison dans laquelle nous vivons n’est pas à nous et en plus, elle est vieille.”
Il s’inquiète aussi pour sa femme qui attend sa titularisation de professeure depuis plusieurs années. “Elle fait parfois parfois des remplacements mais elle s’ennuie beaucoup à la maison. Surtout que l’année prochaine, notre fille sera à l’école !”, explique-t-il. De plus, son épouse à quelques soucis de santé, ce qui met en suspens leur projet d’agrandir la famille pour l’instant.
Futur
À l'avenir, Wajdi compte avant tout acheter une nouvelle maison. Il n’envisage pas de faire construire de bâtiment : dès qu’il pourra prendre un crédit immobilier, il compte emménager immédiatement avec sa famille. Il voudrait aussi dans quelques temps acheter une voiture à sa femme, pour qu’elle soit plus indépendante, surtout quand il est loin au travaille ou sur la route.
Wajdi et son épouse espèrent avoir au moins deux autres enfants. Quand Wajdi pense au futr, cela se résume en quelques mots : “je veux que mes enfants vivent bien ! s’ils vont bien alors j’irai bien”, conclut-il avec un sourire.