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Slah, 70 ans, retraité et gardien d’immeuble, 1450 dinars par mois



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16 Mai 2021 |
Comme tous les soirs, devant une résidence d’un quartier de l’Aouina, Slah*, 70 ans, est assis sur sa brique. Il salue les résident·es, scrute les inconnu·es, discute avec les un·es et les autres, s’informe des événements de la journée…Tous les jours, à partir de 17h, il prend sa place de veilleur de nuit.

Slah se souvient de ses parents, travailleur et travailleuse agricoles à la frontière algérienne. C’est en Algérie qu’il est né. Il grandit ensuite à Kasserine et abandonne l’école alors qu’il est encore un enfant.

“Nous n’avions pas d’argent”, témoigne-t-il. À peine adolescent, à l’âge de 14 ans, Slah commence à travailler pour aider sa famille. Il coupe du bois dans la forêt et le charge dans le train de Bir Kassâa pour une société sfaxienne. Il intègre ensuite cette même société pour y devenir convoyeur, à 18 ans. Il se souvient de son premier salaire : 9 dinars.  “J’étais si fier au volant de ma semi-remorque, j’avais réussi ma vie !"

Il restera 36 ans dans la même société, pour finir avec un salaire de 970 dinars et 1100 dinars avec les primes. Cela lui a permis d’acheter un terrain et de construire une maison à Dar Fadhal, en banlieue de Tunis. Ainsi, il n’a aucun loyer à payer, ni de dettes à rembourser pour la maison. “À cette époque, le terrain de 136 mètres carré m’a coûté 6000 dinars,  aujourd’hui le mètre est à 500 dinars ", constate-t-il.

A 55 ans, il prend sa retraite anticipée et touche 450 dinars .

"Quand j’ai pris ma retraite je pensais ne rien faire, me reposer enfin. Mais avec mes 450 dinars ce n’était pas suffisant. Et je me suis vite rendu compte que l’inactivité, ce n’était pas pour moi”, raconte-t-il

Très vite, il entend parler d’un recrutement massif de veilleurs de nuit dans les nouvelles résidences de l’Aouina rémunéré 300 dinars. Il se présente aussitôt pour le poste. Désormais, il travaille toutes les nuits et  gagne un salaire de 500 dinars non déclaré. 

Slah apprécie son travail : il a de bonnes relations avec ses collègues de la journée et les habitant·es de la résidence passent toujours le voir le soir pour lui dire bonjour ou avoir de ses nouvelles. Mais il avoue que cela n’est pas facile de rester toute la nuit éveillé dans sa voiture. Il affirme qu’il doit rester vigilant : d’après lui, en cette période de crise, “les gens sont prêts à faire n’importe quoi et peuvent devenir violents".

  Voici un aperçu de ses entrées et sorties d’argent :   

Slah a cinq filles et un garçon. Trois de ses filles sont mariées, l'une d'elles vit en Arabie Saoudite. D’abord partie pour travailler, elle est ensuite restée vivre là-bas avec son mari. Diplômée en agronomie, elle  a attendu très longtemps un emploi dans le service public en Tunisie mais sans succès. Depuis l’Arabie Saoudite, elle aide désormais sa famille en envoyant 500 dinars tous les mois.

 “En 2018, notre fille nous a offert un voyage à la Omra, ça a été le cadeau de notre vie !”, se souvient Slah.

Sa fille cadette vit encore à la maison. “Ma dernière fille a réussi le concours de la garde nationale mais cette année sa place a été prise par quelqu’un qui avait plus de pistons ! Elle est à la maison et elle fait du sport tous les jours pour garder la forme”, raconte son père.  Il prend en charge ses petites dépenses du quotidien, le téléphone, les habits, etc. Cela lui coûte environ 50 dinars par mois. Pour le reste de ses dépenses, elle est aidée par son frère et ses sœurs.

Son unique fils vit avec sa famille à l’étage de la maison familiale, aménagé “quand on pouvait encore espérer construire avec de petits moyens”. Il travaille en tant que livreur et fait aussi d’autres petites tâches ce qui lui permettent de gagner quelques extras en plus de son salaire. 

Il participe aux grosses dépenses de la maison en donnant de l’argent quand les factures d’eau et d’électricité sont un peu plus élevées que d’habitude et en payant la moitié de l’assurance et de la vignette de la voiture de Slah, car il s’en sert aussi occasionnellement. À l’occasion, il aide son père si celui-ci n’a plus d’argent à la fin du mois ou doit faire face à une dépense imprévue. "Il aide comme il peut le pauvre, mais lui aussi a une famille à charge”, résume Slah.

Voici le détail de ses entrées et sorties d’argent mensuelles :

Slah a une routine bien établie. Quand il rentre de sa nuit de travail, il passe faire des courses en se basant sur une liste préparée la veille par sa femme. Puis il dort jusqu’au déjeuner. 

À part les courses, ce qui lui coûte le plus cher, ce sont les frais d’essence car lui et son fils utilisent la voiture quotidiennement.

"L’essence n’arrête pas d’augmenter ! Un jour, un plein coûtera autant que ma voiture !”, s’exclame-t-il, énervé.

Son fils lui a plusieurs fois conseillé de vendre son véhicule pour limiter ses dépenses mais Slah ne s’y résout pas, notamment parce qu’il lui sert d’abri pendant ses heures de travail.  

Quand il se rend occasionnellement à Kasserine pour rendre visite à la famille qui lui reste, il réussit à voyager à moindre frais. “Je me débrouille pour amener de la marchandise, ce qui me permet de rembourser à peu près les frais d’essence”. 

C’est sa fille cadette qui s'occupe d’acheter des vêtements pour toute la famille aux fripes et dans les petites boutiques du quartier. Slah lui donne environ 150 dinars par mois et elle en profite pour acheter des nappes ou des draps pour la maison. Parfois, quand sa sœur en Arabie Saoudite lui envoie de l’argent ou pour certaines occasions, elle se fait plaisir et achète des vêtements neufs dans les boutiques du centre-ville ou dans les grandes surfaces . “Cela lui fait plaisir mais pour ma femme et moi, les fripes nous suffisent largement”, considère Slah.

Au quotidien, Slah affirme qu’après avoir passé sa vie à travailler, il n’a pas pour habitude de sortir, ou d’avoir des loisirs.  "Mon seul loisir , c’est la marche et c’est encore gratuit !” dit-il en riant. Plutôt que d’aller au café, il préfère faire le tour de son quartier et prendre des nouvelles des résident·es. Il en profite pour récupérer son petit-fils au jardin d’enfants et rentre. En général, il bricole un peu ou passe du temps avec sa famille en attendant sa nuit de travail. “Je m’occupe moi-même de l’entretien de la maison pour  éviter des coûts supplémentaires”, explique-t-il. Il s’est aussi mis à la peinture.

Zone grise

Il y a peu près dix ans, la femme de Slah a eu une attaque cardiaque et est restée paralysée du côté droit. Depuis, elle a besoin de médicaments - qui coûtent 90 dinars par mois - et de visites tous les deux mois chez son médecin. La retraite de Slah étant considérée comme minimale, sa femme bénéficie du carnet blanc qui leur donne accès à la  gratuité des soins dans les hôpitaux. Mais elle doit en plus se rendre chaque semaine chez son kinésithérapeute, à 25 dinars la séance. Avec l’assurance maladie de son mari, la séance revient à 10 dinars.  

"Depuis l’épidémie du coronavirus, je ne l'emmène plus à l’hôpital car j' ai peur qu’elle l’attrape là-bas mais je continue à lui acheter les médicaments et à l’emmener chez le kiné”, témoigne Slah.   

Futur

Quand on le questionne sur son avenir, Slah pense avant tout à ses enfants. Il se fait principalement du souci pour sa fille cadette. “J’ aimerais bien qu’elle se marie avec quelqu’un de bien mais je veux surtout qu’elle arrive à obtenir son poste à la Garde nationale”, espère-t-il. 

En ce qui le concerne, Slah n’a de projet particulier. “À 70 ans je n’ai plus vraiment de projets à part la santé. Dieu merci, j’ai un toit sur la tête et nous avons fait notre pèlerinage", considère-t-il. “Tout ce que je veux, c’est que mes enfants arrivent à vivre et faire grandir leurs enfants la tête haute”.