Masques et tests : bilan de la gestion de la crise de Covid-19 en Tunisie

Commande de tests RT-PCR, de tests sérologiques, fabrication de masques… Depuis le début de la crise, les autorités n'ont cessé de faire des annonces. Alors que le nombre de cas locaux augmente et que le gouvernement a annoncé de nouvelles mesures restrictives, l’heure est aux résultats. En clair. 
Par | 11 Août 2020 | reading-duration 15 minutes

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Les masques grand public ont été l’un des principaux sujet de la crise du Covid-19. Plusieurs semaines après la fin du confinement général, les stocks des masques en tissu débordent. Les entreprises, livrées à elles-mêmes pour prévoir les quantités d’équipements de protection individuelle, n’ont pas vu venir la saturation du marché national et international. Depuis, elles tentent d'écouler leurs stocks. L'annonce du gouvernement rendant obligatoire le porte du masques dans certains lieux pourrait éventuellement permettre de les réduire.
“Au vu du volume produit chaque semaine, je pense qu'il y a quelques millions de masques qui sont en train de roupiller ici”, estime un chef d’entreprise textile.

“Ça s'est passé dans le monde entier”, continue-t-il, “même ceux qui se sont organisés pour exporter des quantités énormes ont eu, du jour au lendemain, des annulations de comman de”. Les entreprises, touchées de plein fouet par la crise, comptaient sur la fabrication de masques et autres équipement de protection individuelle (EPI) pour “faire tourner les usines et payer les salaires”, en attendant de reprendre leur production initiale. 

Des masques par millions 

Crédit photo : Fethi Belaid/AFP

Février 2020. Avant même que le premier cas actif ne soit déclaré sur le territoire, Chokri Hamouda, alors responsable au sein du ministère de la Santé annonce la couleur, “l’usage des masques par des personnes en bonne santé ne sert à rien”. Un mois plus tard, le pays se place en confinement, sans pour autant que les masques grand public ne soient envisagés. La demande est alors réelle, mais les autorités ne l’ont pas anticipée et les stocks mettront du temps à être constitués. 

Il faut encore attendre quelques jours pour que le ministère de l’Industrie, principale administration impliquée dans la fabrication de masques, ne se décide à consulter les entreprises concerné·es pour envisager la marche à suivre et estimer le nombre de masques à fournir pour la population. La Fédération tunisienne du textile et de l’habillement (FTTH) n’attend pas le feu vert des autorités pour mobiliser ses partenaires et entamer la production de masques et d’équipements de protection individuels (EPI). 

“On avait des entreprises qui étaient spécialisées dans les équipements médicaux”, détaille Nejib Karafi, directeur de la FTTH, “mais il n’y avait que 10 à 20 entreprises à tout casser qui ne faisaient que ça au début de l'année”. À travers la page Facebook de la Fédération, il demande aux entreprises souhaitant et pouvant produire de se manifester. Immédiatement, de nombreuses entreprises ont répondu à l’appel. 

Malgré cette volonté, les entreprises doivent se confronter à de nouvelles difficultés, liées au confinement qui vient alors d’être mis en place. “Si vous me procurez les matières premières, je suis prêt à contribuer à l’effort national”, répond un·e chef·fe d’entreprise au directeur, “C’est impossible pour moi maintenant de faire venir les ouvriers, il n’y a pas de transport public”, rétorque un·e autre. 

Au même moment, le ministère de l’Industrie publie un communiqué détaillant les mesures que les usines doivent prendre pour assurer une continuité de production tout en protégeant au mieux leurs employé·es d’une éventuelle contamination au Covid-19. Il est demandé aux entreprises de contribuer à l’effort national et de produire localement.

À l’échelle nationale, le secteur textile tunisien est principalement exportateur. Les entreprises échangeant avec l’étranger ont alors insisté pour pouvoir exporter des masques pendant la crise sanitaire. “On peut honorer le marché local et nos engagements vis-à-vis de nos clients européens”, continue le directeur. L’annonce du gouvernement imposait un arrêt brutal des transactions internationales, ajouté à la fermeture des frontières. “On recevait la matière première, on ne pouvait pas ne pas livrer la commande”. Les entreprises exportatrices ont alors été incitées à faire des dons, “environ 10% pour chaque transaction”

Sans avoir plus de recommandations, le secteur textile commence à s’organiser, en se renseignant sur les normes de masques agréées à travers le monde. “On a commencé à produire, gratuitement. C’était d’abord pour notre personnel, les municipalités, la garde nationale, la police, les hôpitaux…”, énumère Néjib Karafi.

“Il n’y avait pas de contrôle. Celui qui a fabriqué pour ses ouvriers, a copié des tutoriels, ou fait des recherches, sans forcément vérifier, ce n’était pas obligé. Le contrôle concernait uniquement ceux qui voulaient vendre sur le circuit réglementaire”. 

En avril, les autorités s’emparent enfin du sujet et annoncent vouloir inonder le marché avec 30 millions de masques lavables vendus au prix subventionné de 1,850 dinars. En parallèle, des soupçons de corruptions pèsent sur une première attribution d’un marché de deux millions de masques, attribué à Ortho-Group, entreprise détenue par Jalel Zayati, député d’el-Badil Ettounsi.

“Au final, il n’y a pas eu de marché, même les deux millions de masques n’ont pas été fabriqués”, commente un chef d’entreprise textile. 

Afin de contrôler le circuit et d’assurer une distribution dans tout le pays, la Pharmacie Centrale (PCT) est désignée pour assurer la distribution de ces équipements grand public. À ce moment-là, les masques lavables n’étaient que très peu voire pas présents sur le marché. “Ils étaient disponibles dans les entreprises”, défend Nejib Karafi, “mais personne ne voulait travailler avec la PCT. Il fallait passer par un bon de commande, attendre la confirmation… Et puis ils sont connus pour payer au minimum 6 mois après…”

Les entreprises homologuées par l’État se sont alors mises en contact avec les syndicats pharmaceutiques. Le 6 mai, la décision tombe. Les masques en tissu ne passeront pas par la PCT. L’organisme public n’a jamais acheté un seul masque en tissu, soutient le directeur de la Fédération.

En excluant l’intermédiaire, les choses s’accélèrent enfin, mais trop tard. Alors que les besoins de la population semblent couverts, la vente des masques se généralise enfin, en étant disponibles notamment dans les supermarchés. Le gouvernement, n’ayant pas attribué de marché, n’a pas contrôlé la quantité de masques produite, laissant les entreprises en fabriquer à leur guise, avec des prix qui varient selon les points de vente. 

Le 11 août, le gouvernement a annoncé plusieurs mesures rendant le port du masque obligatoire dans certains lieux à risques ou à forte fréquentation comme les aéroports ou les centres commerciaux. 

Tests, la fausse priorité

Crédit photo: page facebook de l’institut Pasteur

Autre grand sujet de la crise sanitaire, les tests RT-PCR et sérologiques ont fait l'objet de nombreuses communications de la part des autorités. Mais en interne, “la situation est… catastrophique”, lâche un chercheur en biologie, au téléphone, en parlant des moyens mis en place pour effectuer les tests RT-PCR. À l’Institut Pasteur de Tunis (IPT), seule une dizaine de personnes s’épuise, sans relâche, à effectuer ce type de test depuis le début de l’épidémie. La réouverture des frontières le 27 juin dernier - augmentant la crainte d’une nouvelle vague - n’a pas laissé aux équipes le temps de se reposer.

“Il ne faut pas croire ce que l’on a dit”, continue le chercheur, agacé, “les personnes ont travaillé 24h sur 24 !”. Ce sont seulement quelques semaines après la fin du confinement qu’une organisation de travail plus claire a été mise en place, permettant aux équipes de procéder à des roulements. Mais l'accalmie est de courte durée. Fin juin, la Tunisie rouvre ses frontières, afin d’essayer de limiter la casse dans le secteur du tourisme. “Avec la reprise du tourisme, on m’a prédit un nombre de nouveaux cas énorme par rapport au taux actuel”.

À Tunis, l’institut Pasteur était le premier centre de dépistage habilité à tester les personnes allant dans un pays qui nécessite la présentation d’un test négatif pour y venir. Dans la précipitation, une entrée “spéciale Covid” est créée, afin d’essayer d’organiser l’attente des personnes. Avec la chaleur écrasante de l’été, les futur·es voyageurs·ses s’entassent à l’ombre, en attendant leur tour. Les mesures de distanciation sociale sont alors bien vite oubliées. 

À l’intérieur, les équipes s’affairent. Le personnel est complètement débordé”, commente un chercheur en biologie, “certaines personnes n’ont pas arrêté de travailler depuis le 25 mars”. Début juillet, le constat est sans appel pour le directeur de l’institut Hechmi Louzir, “l’équipe commence vraiment à fatiguer, les volontaires aussi”. La structure, sous la tutelle du ministère de la Santé, a demandé à renforcer ses équipes, face à la charge de travail à laquelle elles doivent faire face. “On a recruté des doctorants et des post-doc, et on a encore des demandes en cours auprès du ministère”, détaille le directeur.

Tout comme pour les masques lavables, le gouvernement a tardé à prendre des mesures pour les tests. Plusieurs semaines après la réouverture des frontières, le gouvernement décide d’impliquer le secteur privé dans la gestion des prélèvements. Cette mesure permet de donner un meilleur accès aux tests sur l’ensemble du territoire. “Et dans le cadre du programme national, les régions ont été rattachées aux différents lieux d’analyse”, continue le directeur, “l’Institut Pasteur fait, par exemple, toutes les analyses du Grand Tunis et de Jendouba”. 

Mais cette mesure, nécessaire, arrive presque trop tard. L’ouverture des frontières ajoute une nouvelle charge de travail aux équipes, déjà épuisées, qui analysent les prélèvements. Car en plus des cas suspects ou du dépistage de personnes en provenance de zones à risque, de nombreuses personnes doivent se faire dépister avant de pouvoir se rendre dans un autre pays. Initialement, seul l’institut Pasteur proposait ce dernier service. “Depuis, une circulaire du ministère de la Santé a été adressée à d’autres centres dans les régions”, commente Hechmi Louzir, directeur de l’institut, “mais ils ont mis du temps à l’appliquer”. Il explique ce retard par les mesures engendrées par cette circulaire : les prélèvements se font désormais dans des lieux dédiés, “chez les gens, ou dans les centres spécifiques”. 

Des tests sérologiques, également appelés tests rapides, sont également disponibles pour toute personne souhaitant savoir si elle a été en présence du virus. “On ne le demande ni pour les voyageurs, ni pour les malades”, commente le directeur. “Les tests sérologiques ne servent réellement que pour faire des études épidémiologiques”, défend le chercheur en biologie, “ça aurait pu être fait au début, mais avec l’ouverture des frontières, ça va fausser les données”. 

Durant toute la durée de l’épidémie, le gouvernement a annoncé diverses commandes de lots de tests et de réactifs. “La PCT a été mandatée à un moment donné pour être la structure qui achète les kits de diagnostics”, se souvient le directeur, “mais il existe d’autres circuits”, comme les représentant·es pharmaceutiques ou les compagnies fabricantes de réactifs elles-même. 

“En mai, certains tests rapides sont arrivés, mais ils n’étaient pas fiables”, confie le chercheur, en évoquant la commande de 400.000 tests rapides effectuée par la PCT. À ce moment-là, les autorités venaient d’exprimer leur volonté de tester à plus grande échelle. La sensibilité du lot reçu n’était pas assez performante, elle induisait des doutes quant à la fiabilité du résultat. Contactée à plusieurs reprises, la Pharmacie Centrale n’a pas souhaité répondre aux questions d’inkyfada. 

À l’institut Pasteur, les biologistes n’ont jamais été en manque de tests, soutient leur directeur. “Il y a eu parfois des difficultés à s'approvisionner, mais on a jamais eu de manque et a chaque fois qu'on a eu besoin de réaliser des tests sur des gens suspects ou des contacts, on a toujours pu le faire.” Depuis, il estime que l’établissement possède des quantités suffisantes, permettant aux équipes de travailler sans encombre matérielle.

Et pour cause, la principale difficulté dans la politique de test réside ailleurs. “C’est devenu un facteur dépendant des ressources humaines”, reconnaît le directeur de l’institut. Début juillet, l’institut prélevait entre 300 et 400 tests PCR journaliers et analysait également les prélèvements effectués dans le cadre du programme national, soit leur rendement maximal.

Malgré la recrudescence du nombre de cas, le directeur de l’institut Pasteur estime que ce n’est pas une reprise de l’épidémie. “C’est plus un rebond qu’une deuxième vague”, minimise Hechmi Louzir, jugeant que le taux de contamination locale reste faible. Selon lui, les structures et organisations sont désormais capable d’appréhender la gestion de nouveaux cas. “Il faut juste éviter qu’on soit débordés”, conclut-il, tout en insistant sur l’importance des gestes barrières et du port du masque.