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Baya, le confinement en télétravail, 1100 dinars par mois


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23 Mai 2020 |

D’habitude, Baya passe ses journées derrière son ordinateur dans son bureau, téléphone à la main, enchaînant les rendez-vous. Avec l’annonce du confinement pour endiguer l’épidémie du Covid-19, elle a dû passer en télétravail et en a profité pour retourner chez ses parents dans les environs de Nabeul. “Je ne voulais pas rester seule dans mon studio. Ici, je peux profiter de ma famille tout en travaillant.”

Fille d’une enseignante et d’un entrepreneur, Baya se destinait d’abord à un métier plus créatif. Suivant ses dispositions pour le dessin et la photographie, elle quitte la maison familiale dès l’obtention de son baccalauréat pour aller étudier le design dans la capitale. 

Mais la formation ne correspond pas à ses attentes et elle l’abandonne au bout d’un semestre pour se lancer dans l’apprentissage de l’allemand, avec pour projet de partir en Allemagne. "À l‘époque, j’avais beaucoup d’amis qui partaient faire des études à l’étranger. Je me disais qu’en allant en Allemagne, j’aurais un avenir plus sûr", raconte la jeune femme. 

Soutenue par ses parents, elle entreprend alors avec succès toutes les démarches nécessaires. Cependant, le moment venu, Baya renonce à partir. “Je n’avais que 19 ans, je n’ai pas osé franchir le pas. J’avais peur de vivre si loin de ma famille", explique-t-elle, sans regret à présent.

Baya se souvient bien de la période difficile qu’elle traverse ensuite : “J’étais complètement perdue, je ne savais pas vers quoi m’orienter.” Sur les conseils de son père, elle intègre finalement un cursus d’Administration des affaires dans une université anglophone de la capitale. “C’était très important pour moi de choisir une filière générale ouvrant beaucoup de portes. Ça s’est révélé être le bon choix.”

Sa licence en poche, Baya retourne à Nabeul, attendant de trouver un travail. Mais chez ses parents, elle ne tarde pas à s’ennuyer.  "J’avais mes amis à Tunis, l’habitude de sortir, d’être active… Mon père me disait de patienter, qu’il m’aiderait à trouver quelque chose… Mais moi, je ne voulais pas attendre, je voulais coûte que coûte trouver du travail !"

Après seulement deux mois de recherche, Baya décroche son premier emploi dans un centre de langues basé à Tunis. 

“J’ai eu beaucoup de chance. Généralement, si tu n’as personne pour te pistonner, c’est la galère.” 

Cela fait six mois maintenant qu’elle y travaille en tant que “chargée de clientèle”. Intermédiaire entre les professeur·es et les élèves, elle gère le planning des cours et des examens, assure le suivi des demandes et devis, centralise les doléances des client·es et réalise les enquêtes de satisfaction. 

C’est le côté relationnel de son travail que Baya apprécie le plus. “Communiquer avec les parents, les élèves, rencontrer des professeurs de toutes nationalités, m’a permis de sortir de ma timidité et de prendre de l’assurance”, se félicite-t-elle. Mais elle déplore qu’il y ait “beaucoup de pression et peu de reconnaissance”. 

Pour ce premier emploi, Baya a bénéficié d’un contrat CIVP (Contrat d’Initiation à la Vie Professionnelle). Avec cette formule, elle gagne 1100 dinars par mois dont 900 dinars sont versés par la société et 200 dinars d’indemnités de l’État. 

 “Ça c’est la théorie, car à ce jour l’État ne m’a fait qu’un seul versement !” souligne-t-elle, indignée.

Elle travaille 40 heures par semaine, du lundi au vendredi et "normalement un samedi sur trois".  “Mais comme il nous manque un commercial, le roulement est plus fréquent et on travaille un samedi sur deux maintenant”, ajoute-t-elle. 

Depuis qu’elle vit dans dans la capitale, Baya n’hésite pas à multiplier les sorties avec ses proches et va régulièrement en salle de sport ainsi qu’en institut de beauté. Mais pendant le confinement qu’elle passe à Nabeul, certaines de ses dépenses ont été revues à la baisse.

Voici un aperçu de ses entrées et sorties d’argent :

À la suite de son embauche, Baya est d’abord hébergée chez une tante avant de trouver un studio à l’Aouina, grâce à son père. “Comme il connaît le propriétaire, le loyer ne coûte que 450 dinars. Sinon ce serait plus cher…” Son père règle le loyer et ses factures. Elle doit simplement payer 25 dinars par mois pour son abonnement téléphonique qu’elle utilise aussi pour internet. 

"C’est mon père également qui m’a offert ma voiture et qui prend en charge l’assurance automobile”, ajoute-t-elle. Baya l’utilise pour aller au travail, sortir avec ses ami·es et rendre visite à sa famille un week-end sur deux. Ses déplacements au quotidien représentent environ 250 dinars d’essence par mois.

Baya fait ses courses en supermarché et dépense environ 100 dinars par semaine. Dans la mesure du possible, elle essaie d’amener ses repas au travail pour éviter de déjeuner à l’extérieur, préférant garder son argent pour ses loisirs.

Sociable, Baya aime passer du temps avec ses ami·es. Que ce soit au restaurant, au café ou au cinéma, elle sort une à trois fois par semaine et dépense environ 250 dinars par mois, auxquels s’ajoutent 150 dinars d’abonnement mensuel à une salle de gym. "Le sport, c’est sacré pour moi. J’essaie d’y aller le plus souvent possible car j’ai vraiment besoin de me défouler après le travail", insiste-t-elle. 

Coquette et aimant bien s’habiller, Baya consacre au minimum 150 dinars par mois à l’achat de vêtements. Depuis qu’elle travaille, elle ne trouve plus le temps d’aller aux friperies. "Là aussi, c’est mon père qui m’aide. Il surveille les promotions de grandes marques sur des sites français et les fait venir en Tunisie pour toute la famille.” Même pendant le confinement, Baya continue à se faire plaisir et de commander ses vêtements en ligne, attendant que ses proches vivant en France lui apportent plus tard. 

Côté bien-être enfin, Baya n’hésite pas à s’acheter des crèmes en tout genre et à s’épiler en institut. “Je dirais que je dépense 100 dinars par mois… Je sais me faire plaisir, mais j’adapte mes achats en fonction de ce qui me reste sur le compte", dit-elle en souriant. 

Étant retournée chez ses parents pendant le confinement, les dépenses de la jeune femme ont considérablement baissé : plus de sorties avec ses ami·es, plus de soins en institut, plus de sport. Elle a proposé à ses parents de contribuer aux dépenses du foyer mais ces dernier·es ont refusé et elle ne dépense plus rien pour les courses. Cette situation lui permet de faire des économies mais se connaissant, Baya pense qu’elle les dépensera rapidement quand la situation reviendra à la normale.

Voici le détail de ses entrées et sorties d’argent mensuelles :

La zone grise

Diplômée et salariée, Baya n’en reste pas moins dépendante de ses parents qui compensent les écarts de ses dépenses, surtout compte tenu des versements aléatoires de l’État. Elle est pleine de reconnaissance envers sa famille qui la soutient dans son parcours. "Sans mon père, je ne sais pas comment je ferais pour m’en sortir !”, s’exclame-t-elle.

C’est pour ne pas se retrouver seule dans son studio pendant le confinement qu’elle a fait le choix de retourner chez sa famille à Nabeul, d’où elle continue à travailler à distance. Avec la fermeture provisoire du centre de langues en mars, elle et ses collègues ont dû faire face à une masse de travail considérable. "Entre l’annulation des cours et la mise en place des classes virtuelles, il a fallu gérer tous les clients d’un coup.” Même si l’activité s’est nettement réduite depuis, "pas question de lever le pied pour autant, ma supérieure m’appelle plusieurs fois par jour”, plaisante-t-elle. 

La jeune femme s’estime chanceuse et reconnaît que la crise n’a pas eu de conséquence néfaste sur sa vie . "Ça me brise le cœur de penser à tous ces gens qui n’arrivent pas à joindre les deux bouts. C’est déjà difficile en temps normal, alors dans la situation actuelle…"

“Ici, si tu ne travailles pas, tu meurs de faim !”

Futur

De cette longue période de confinement, Baya retient surtout le bilan qu’elle tire actuellement de son expérience professionnelle. Considérant ce premier emploi comme un tremplin, elle envisage de revenir sur son idée initiale : aller en Europe pour poursuivre ses études.

“En Tunisie, on a toujours cette idée que quelqu’un qui a étudié à l’étranger est plus compétent.”

“Beaucoup d’universités tunisiennes ont des partenariats avec l’Espagne. Je pourrais peut-être faire un master à Barcelone… ou développer un jour ma propre entreprise, qui sait ? Mon père m’encourage dans ce sens et m’a déjà garanti qu’il m’aiderait", se plaît-elle à imaginer, confiante.