Elle est âgée de 19 ans quand son père tombe gravement malade du cœur. Sur les conseils de sa tante, elle trouve alors un emploi auprès d’une famille à Tunis, comme femme de ménage. On lui propose un salaire de 250 dinars par mois et le logement.
« A l’époque, j’étais très satisfaite du salaire et des conditions de travail. Mais on ne se sent pas libre lorsqu’on vit chez son employeur. »
Halima vit également mal le fait d’être séparée de ses proches. Très vite elle se met à épargner dans le but de faire venir sa famille auprès d’elle à Tunis. Quelques années plus tard son projet se concrétise. Elle s’arrange avec un propriétaire pour acheter un terrain à crédit et y construire une maison. Elle fait alors venir ses parents, ses frères et ses soeurs. Aujourd’hui, elle achève la construction du 2ème étage. Pour cela, elle doit se lever tous les jours à 4h30 du matin et finir ses journées à 21h.
Le foyer familial se compose de sa mère, ses deux soeurs, son petit frère, ainsi que son deuxième frère avec sa femme et leur petite fille. Le père de Halima est décédé quelques années après leur installation, laissant Halima comme responsable naturelle de la famille, étant la seule à avoir un emploi.
Voici un résumé de ses entrées et sorties d’argent mensuelles :
Le crédit de la maison et les travaux pour agrandir l’espace habitable est ce qui coûte le plus cher à Halima. En tout, cela lui revient à 400 dinars par mois. N’ayant pas de compte bancaire, elle s’est arrangée avec le propriétaire et les ouvriers pour leur verser la somme en espèce tous les mois.
Halima dépense tout le reste de son salaire pour le quotidien des membres de la famille. Elle leur déconseille de manger dehors afin d’éviter de grosses dépenses en nourriture. Souvent, c’est elle qui prépare les repas. Elle s’organise pour cuisiner la veille en faisant les courses de fruits et légumes au marché et s’en sort pour 300 dinars par mois, pour tout le monde. De son côté, elle ne prend qu’un repas par jour : le dîner.
« Je tiens grâce au café, je n’ai pas besoin de manger la journée, je suis bien trop occupée. »
Halima travaille du lundi au dimanche. Elle a plusieurs employeurs et gère son temps en fonction des besoins de chacun. Généralement, elle commence ses journées par le ménage d’une pharmacie qui lui assure un revenu mensuel de 400 dinars par mois, mais aucune sécurité, car elle n’a toujours pas de contrat ni de sécurité sociale et n’en a jamais fait la demande.
Elle enchaîne ensuite avec deux ou trois maisons chez des particuliers pour une rémunération variant entre 150 et 250 dinars chacun. Ses employeurs lui offrent en outre des choses utiles qui lui évitent certaines dépenses.
« J’arrondis mes fins de mois avec des cadeaux: de la vaisselle, des sacs à main, des médicaments parfois, des vêtements aussi… »
Ses différents lieux de travail se trouvent dans la même zone, à 3 km de chez elle. Elle s’y rend tous les jours à pieds. Lorsqu’elle rentre après 21h, elle prend un taxi sans dépenser plus 4,500 dinars par semaine soit en moyenne 18 dinars par mois.
Pour les dépenses inattendues et rares, elle a une tirelire qui contient son épargne et l’argent que lui verse son frère marié, lorsqu’il travaille. En moyenne, il lui donne 100 dinars par mois.
C’est elle qui gère le portefeuille familial peu importe les rentrées et sorties d’argent. Elle paie les soins médicaux de sa sœur atteinte de diabète, les cigarettes de son frère, les couches de sa nièce.
« Personne ne sait gérer l’argent dans ma famille. Ils me font confiance, ils savent que je pense au bien de tout le monde. J’aimerais quand même qu’ils apprennent à être plus responsable. »
Halima ne dépense rien en loisirs, ses moments de détente et de plaisir sont le temps passé en famille, à la maison, particulièrement depuis qu’elle a une nièce.
Aujourd’hui voilà ses pôles d’entrées et de sorties d’argent :
Zone grise
L’absence d’un contrat de travail et de sécurité sociale n’inquiète pas plus que cela Halima. Ce qui la préoccupe, c’est la fatigue.
« Je suis fatiguée mais je sais que plus je travaille mieux je m’en sors. Quand je suis malade, je pense à la fin du mois, à ma famille, au crédit de la maison… »
Pour se réconforter, elle se souvient de l’époque où elle travaillait dans les champs d’oliviers et de pommes.
"Mon ancien boulot à la campagne était encore plus difficile. On travaillait dans le froid, on devait marcher longtemps avec du bois sur le dos pour nous chauffer en hiver, parfois en plein ramadan. Le ménage c’est quand même plus facile."
Futur
Malgré une routine de travail intense depuis 15 ans, Halima espère que sa vie va changer. Alors qu’elle n’y croyait plus, elle vient de faire la rencontre d’un homme de son âge. “Mon rêve est de me marier et d’avoir un enfant, un seul ce serait formidable” . Ensemble, ils parlent d’avenir et de finances.
« Je l’ai prévenu dès notre rencontre que je n’arrêterai jamais de travailler, c’est important pour moi. »
“Il gagne moins bien sa vie que moi mais tant qu’il est travailleur, cela ne me gêne pas. Si on se marie, on ouvrira un compte bancaire et on dépensera 50-50 sans vivre au dessus de nos moyens” .
De son côté, son prétendant la prévient qu’il n’est pas propriétaire et qu’il n’a pas les moyens d’organiser un mariage. Il ne sait pas encore que Halima, grâce à l’épargne réalisée tous les mois, sera en mesure de l’aider.
Halima ne craint pas l’avenir, elle s’imagine même exercer un autre métier.
“Dès que je pourrais, je passerai mon permis et deviendrais chauffeur privé. Il y en a qui gagnent très bien leur vie comme ça ou bien j’ouvrirais mon business, inch’allah”.
Ce qui préoccupe le plus Halima c’est l’avenir de sa mère et de sa sœur malade. Elle se demande aussi comment le reste de la famille va réagir à l’annonce de son mariage. A bientôt 40 ans, tout le monde était convaincu qu’elle resterait auprès d’eux, comme leur ange gardien.
“Si je pars, je m’organiserais pour envoyer un mandat à ma mère de 200 dinars par mois, au moins” .