L’accès aux familles de ces jeunes n’a pas été facile. Encore sous le choc, elles ont eu peur de compliquer la situation de leur enfants là-bas (surtout en Syrie) ou que le retour au pays leur soit interdit.
Au début, la situation est restée confidentielle, mais rapidement, les familles de Oueslatia sont sorties de leur silence pour protester contre les autorités régionales et les services de sécurité ; pour ne pas perdre leurs enfants et leur permettre de revenir en Tunisie.
La région a enregistré, dans la seule journée du 16 septembre 2014, le départ de cinq jeunes vers la Syrie, partis rejoindre des amis qui ont fait le voyage quelques temps auparavant.
Bilal Kaabi, 23 ans, un des 5 jeunes partis de #Oueslatia le 16 septembre 2014, a trouvé la mort le 18 octobre dans une opération kamikaze à Benghazi . Information confirmée quelques jours plus tard par la famille de Bilal. En effet, le grand frère de ce dernier a reçu un appel d’un individu de nationalité libyenne qui lui a confirmé que Bilal a mené une opération suicide et a trouvé la mort à la date annoncée aux alentours de 14h.
Au commencement
Les habitants de Oueslatia sont en deuil, car “le Djihad en Syrie, c’est emprunter le chemin de la mort”, disent-ils. Les familles ont vu l’attitude de leur enfants se transformer, non le jour de leur départ, mais trois ans plus tôt, ou plus.
Najah Abdaoui a perdu son frère (Walid Abdaoui) qui a rejoint son frère jumeau Khaled, parti il y a deux ans déjà en Syrie.
Walid a profité du départ de ses parents au Hadj, mi-aout 2014, pour voyager, accompagné de quatre de ses amis. Sa mère a essayé de le convaincre de rester, mais ses implorations n’y ont rien fait, explique Najah.
"C’est faux de croire que ceux qui partent combattre en Syrie font partie des jeunes marginalisés qui ne trouvent pas de travail en Tunisie. Mon frère Walid a récemment trouvé un emploi d’infirmier, dans le service des grands brûlés, dans un hôpital à Tunis… Il avait tout ce qu’il fallait ici et n’est pas parti pour l’argent. Il s’est égaré en croyant au Djihad au nom de Dieu", raconte Najah.
Elle poursuit:
D’abord, les habitudes de Walid ont commencé à changer et il ne rêvait plus que d’aller en Syrie. Alors, il a commencé à se rendre très souvent à la mosquée et à fréquenter les salafistes. Sa vision de la vie s’est transformée. Puis, comme il est infirmier, il est devenu très proche d’un dentiste qui a commencé, depuis un an, à rassembler autour de lui, tous les jeunes de la région qui fréquentent la mosquée.
Najah dit avoir trouvé sur son ordinateur des “traces” de contact entre Walid et l’une des personnes de l’organisation qui envoie les jeunes en Syrie.
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Le père de Walid était pleinement conscient que son fils allait se rendre en Syrie. Par prévention, il a prévenu les autorités sécuritaires de la ville de Kairouan. Il était d’autant plus inquiet lorsqu’il a appris que Walid avait reçu de l’argent d’un de ses contacts sur internet. Il a supplié Walid de tout arrêter.
Najah est la seconde personne à se rendre au poste de police, à Oueslatia, avec l’ordinateur qui comporte les “preuves” de communication entre son frère et un membre de l’organisation.
Malgré les faits, les autorités ne sont pas intervenues. Walid a pu quitter la Tunisie, laissant derrière lui, une famille affligée par la situation.
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Des mosquées hors contrôle
Quelles sont les raisons qui expliquent le départ des jeunes vers la Syrie ? Ils passent inévitablement par un certain nombre de mosquées sous le contrôle des extrémistes ou d’imams complices.
Plusieurs mosquées sont désormais hors du contrôle des autorités. A Oueslatia, on ignore ce qui se passe à la Grande mosquée, rebaptisée par ses occupants, « la mosquée d’El Hadiya ». Celle-ci reste jusqu’à aujourd’hui, une des 21 mosquées hors du contrôle de l’Etat, selon les sources officielles.
Nous avons essayé d’y pénétrer, mais les habitants nous l’ont déconseillé afin d’éviter toute confrontation avec les salafistes qui contrôlent complètement le lieu de culte.
Les habitants racontent des histoire curieuses à propos de la vie intérieure de cette mosquée.
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Pas moins de cinq familles de la ville, dont celle de Najah, ont porté plaine contre ceux qui endoctrinent et envoient les jeunes en Syrie. Elles ont cité divers noms. Les familles ont remis les preuves (échanges d’e-mails, témoignages, numéros de téléphones…) qu’elles détenaient aux autorités. Cependant, les services de sécurité ne sont pas intervenus pour y mettre fin, attestent plusieurs membres des familles. Contacté le ministère de l’Intérieur n’a pas voulu fournir d’explication sur la situation.
Adel Alfatayti, instituteur dans une école primaire à Oueslatia a été témoin de la dite propagande salafiste à la mosquée d’El Hadiya, où il a été menacé de mort et accusé d’infidélité. Il n’est pas seul dans ce qu’il considère comme une guerre contre les extrémistes car beaucoup d’habitants ont de la sympathie pour lui, confie-t-il.
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Le phénomène de départ des jeunes vers la Syrie continuera, à moins que l’Etat ne reprenne le contrôle sur toutes les mosquées où les jeunes sont endoctrinés, explique Adel avec conviction.
Les autorités sécuritaires, selon les témoignages de quelques membres des familles de victimes, ont fermé les yeux sur de nombreuses pratiques. Malgré leurs plaintes et réclamations, les familles n’ont reçu aucune réponse.
Pourtant plusieurs personnes soupçonnées d’avoir participé et encouragé les jeunes à quitter la Tunisie pour se rendre en Syrie, ont été arrêtées à Oueslatia, mais la mosquée d’El Hadiya échappe encore au contrôle de l’Etat.
Le chef de cabinet du ministère des Affaires religieuses, Abdessatar Badr, s’est exprimé à propos de la polémique qui entoure la mosquée « El Hadiya » et confirme qu’elle échappe totalement au contrôle de l’Etat.
La neutralisation des mosquées … pour quand ?
Mehdi Jomaa a assuré son engagement autour de la feuille de route pour le dialogue national. Son gouvernement a élaboré un plan pour reprendre le contrôle de l’ensemble des mosquées qui se soustraient à la supervision du Ministère des affaires religieuses avant les élections, pour préparer un environnement favorable à leur réussite, a-t-il précisé.
“Les mosquées sont des lieux de culte et non des lieux de violence”, a insisté le Premier ministre, qui refuse que les mosquées se transforment en “foyers d’intimidation”.
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Le gouvernement n’a pas tranché de façon claire la question, quant à la neutralité des mosquées.
Les familles de ces jeunes “victimes” avaient demandé aux autorités de la région d’intervenir contre la radicalisation et l’endoctrinement des jeunes, mais la situation semble rester hors contrôle.
La région de Oueslatia n’est pas la seule en Tunisie à être en proie au départ des jeunes vers la Syrie. Le phénomène, selon les données officielles avancées par le ministère de l’Intérieur, n’a épargné aucune région du pays. La capacité d’action et la responsabilité de l’exécutif tunisien sont mises en cause.