Elections 2014 : Garder un oeil sur les finances

Des élections démocratiques et transparentes ne peuvent se faire que si les comptes sont clairs. Analyse du rapport de la Cour des comptes des élections de 2011 et de ses recommandations pour 2014.
Par | 10 Novembre 2014 | reading-duration 15 minutes

Alors que de nombreux dépassements ont été remarqués lors de la campagne et du scrutin des élections législatives on parle encore peu d’une partie importante du contentieux électorale : celle qui concerne le financement de la campagne.

Il faut du souffle et des finances pour partir à la conquête du Parlement ou de la Présidence. Cette année encore, comme en 2011, le financement des partis politiques ainsi que le financement de la campagne électorale étaient encadrés. La subvention publique pour la campagne législative s’élève en 2014 à plus de douze millions de dinars (12 400 770 dinars) contre un peu plus de huit millions en 2011.

L’expérience de 2011 a montré qu’il a été utile de repenser les principales conditions favorables à un déroulement plus équitable et transparent de la campagne.

La question du financement a posé problème en 2011, comme en témoigne le rapport de la Cour des comptes. Celle-ci a fait une liste de recommandations, toutes n’ont pas été instaurées dans la loi électorale de 2014. Retour sur la campagne de 2011 et sur ses mauvais comptes pour mieux comprendre l’encadrement mis en place en 2014.

Un citoyen attend son tour pour voter, dans la cours de l’école de la rue de Marseille, à Tunis, le 26 octobre dernier. Crédit image: Kais Zriba

Législatives 2011 : Des élections aux frais du contribuable

Dans son rapport général sur les résultats de contrôle du financement des élections de 2011, la Cour des comptes a relevé certaines défaillances. La représentation parlementaire de 2011 a été, dans certains cas, élue aux dépens des contribuables.

Ce que disait la loi

En 2011 le décret-loi précisait que chaque parti ou liste de candidat devait ouvrir un compte en banque unique et que le financement de la campagne par des ressources étrangères et des personnes privées était interdit. La loi encadrait également l’octroi d’une aide publique à chaque liste. Si la barre des 3% des suffrages exprimés n’était pas dépassée la moitié de la prime devait être remboursée.

Décret-loi n° 2011-35 relatif à l’élection d’une assemblée nationale constituante

Art. 52 Loi électorale

Chaque parti ou chaque liste de candidats doit ouvrir un compte bancaire unique, réservé pour la campagne électorale, soumis au contrôle de la Cour des comptes. Le rapport de la Cour des comptes relatif au financement de la campagne électorale est publié au journal officiel de la république tunisienne.

Le financement de la campagne électorale par des ressources étrangères quelle que soit leur nature est interdit. Le financement des campagnes électorales par les personnes privées est interdit.Le financement de la campagne électorale par des ressources étrangères quelle que soit leur nature est interdit. Le financement des campagnes électorales par les personnes privées est interdit..

Aricle 53
Loi électorale

Une prime au titre d’aide publique au financement de la campagne électorale est attribuée à chaque liste, et ce sur la base d’un montant pour chaque mille électeurs au niveau de la circonscription électorale, 50% de l’aide est répartie à égalité entre toutes les listes candidates, et ce avant le début de la campagne électorale. Les 50% restant sont distribués au cours de la campagne électorale. Toute liste n’ayant pas obtenu au moins 3% des suffrages exprimés au niveau de la circonscription électorale doit restituer la moitié de la prime.
Le plafond de dépenses électorales et les procédures de décaissement des aides publiques sont fixés par décret.

Article 70
Loi électorale

La commission centrale de l’Instance supérieure indépendante pour les élections vérifie le respect par les vainqueurs aux élections des dispositions relatives au financement de la campagne électorale. Il peut décider d’annuler les résultats des vainqueurs s’il lui est avéré qu’ils n’ont pas respecté lesdites dispositions. Dans ce cas, il sera procéder de nouveau au décompte des résultats sans tenir compte de la liste dont les résultats ont été annulés.

Article 77
Loi électorale

Il est interdit à tout candidat de recevoir d’une partie étrangère, des aides matérielles directes ou indirectes. Toute violation de ces dispositions entraîne :
1- la condamnation du concerné à une peine d’emprisonnement d’un an et à une amende de deux mille dinars,
2- la perte automatique, dès le prononcé du jugement de condamnation, de la qualité de candidat ou de la qualité d’élu après la proclamation des résultats du scrutin. Le droit de poursuite sur la base du présent article se prescrit à l’expiration de deux ans à compter de la date de proclamation des résultats des élections.

Mais dans la pratique il a été difficile de faire respecter les normes édictées, comme en témoigne le rapport de la Cour des comptes

Dépôt des documents comptables

Le décret-loi n°2011-91 précisait que toutes les listes candidates aux élections à l’ANC, devait fournir à la Cour, “ dans un délai ne dépassant pas 30 jours à partir de la date de la proclamation des résultats définitifs des élections, des documents consistant notamment dans les relevés du compte bancaire unique ouvert au titre de la campagne électorale, la liste détaillée des manifestations, activités et rencontres réalisées au cours de la période de la campagne et des copies originales des états synthétiques des ressources et des dépenses engagées ou payées à ces occasions signées par le président du parti ou la tête de la liste des candidats.” Dans les faits, l’engagement a été peu tenu, compliquant la tâche de la Cour. Or sans ces documents difficile de procéder à la traçabilité des dépenses de la subvention publique et de déterminer le plafond des dépenses. Le cas le plus significatif de cette infraction à la loi électorale et celui de la « Pétition populaire pour la liberté, la justice et le développement » qui s’est abstenue de déposer sa comptabilité dans les circonscriptions de Nabeul 1, Nabeul 2, Bizerte, Sousse, Béja, Mahdia, Kebili, Kasserine et Italie. Le même parti n’a pas présenté la liste synthétique de ses dépenses à la Cour des comptes dans les circonscriptions de Sfax1, Médenine, Gabès. Le Forum démocratique pour le Travail et les Libertés, le parti de l’ancien président de l’ANC, par exemple, n’a pas fourni une liste détaillée de l’ensemble de ses activités et manifestations dans 33 circonscriptions.

Décaissement public et remboursement de 50% de la subvention publique

Les élections mettant en place l’Assemblée Nationale Constituante ont montré que le financement public est nécessaire. Il a permis de donner une chance aux citoyens, dont les capacités financières sont limitées.

Sur un échantillon de 600 comptes bancaires ouverts, le constat a été fait que 74% des listes se sont entièrement financées avec l’argent public.

Pendant les élections de 2011, le financement public s’est élevé à 8 396 000 dinars, dont la moitié versée à des listes électorales qui n’ont pas présenté leur comptabilité 30 jours après la proclamation définitive des résultats du scrutin comme l’annonce la loi électorale.

Ainsi sur les 818 comptes répertoriés, seules 263 comptabilités ont été présentées à la Cour, dont 66 après les délais impartis. Et sur les 153 listes ayant eu un siège à l’ANC, elles sont 101 a avoir présenté leur comptabilité.

Dans une interview accordée à Réalités, Mme Fadhila Gargouri,la présidente de chambre à la Cour des comptes, déclare que ” 500 arrêts de la Cour des comptes portent sanctions pour des candidats qui n’ont pas déposé leurs comptes. Les sanctions consistent en des amendes qui varient entre 700 et 5000 dinars…

Nombre des listesde candidats Nombre des comptes Comptes présentés Comptes présentés dans les délais Comptes présentés après les délais Taux de présentation des comptes % 3/2 Taux de présentation des comptes dans les délais % 4/3 Taux de présentation des comptes hors délais 5/3
Parties politiques 883 77 39 23 16 50.65 58.97 41.03
Listes indépendantes 739 739 223 174 49 30.18 78.03 21.97
Coalition 40 2 1 0 1 50.00 0.00 100.00
Total 1662 818 263 197 66 24.08 74.90 25.10
Tableau tiré du rapport de la cour des comptes .
Parties politiques Listes indépendantes Coalition Total
Nombre des listesde candidats 883 739 40 1662
Nombre des comptes 77 739 2 818
Comptes présentés 39 223 1 263
Comptes présentés dans les délais 23 17 0 197
Comptes présentés après les délais 16 49 1 66
Taux de présentation des comptes % 3/2 50.65 30.18 50.00 24.08
Taux de présentation des comptes dans les délais % 4/3 58.97 78.03 0.00 74.90
Taux de présentation des comptes hors délais 5/3 41.03 21.97 100.00 25.10
Tableau tiré du rapport de la cour des comptes .

Toujours selon le rapport de la Cour des comptes, 911 listes électorales ont bénéficié de 2 977 000 dinars sans obtenir un taux égal ou supérieur à 3% des voix exprimées. La moitié de cette somme aurait donc dû être remboursée comme le prévoyait la loi électorale. Bien que la loi prescrive des sanctions aux contrevenants, une partie de l’argent public n’a pas été remboursée. Difficile de savoir à combien s’élève cette somme, puisque malgré les nombreuses sollicitations le ministère des Finances n’a pas voulu répondre.

Comptes en banque et transferts des fonds sur les comptes personnels

Selon le rapport de la Cour des comptes : “ Le nombre de comptes bancaires réservés à la campagne électorale, selon le site Internet de la Banque Centrale de Tunisie actualisé au 17 Octobre 2011, s’est élevé à 557 comptes dont 60 comptes revenant à des partis et 497 comptes revenant à des listes indépendantes.” En réalité ces 557 comptes bancaires déclarés représenteraient 77% des comptes ouverts, selon les données de l’ISIE. Il s’avère qu’il n’est pas toujours évident pour les listes de gérer un compte en banque. Cela a donné lieu à des dépassement tels que des transferts des fonds sur les comptes personnels des têtes de listes ou de personnes non candidates dans leurs listes.

Financement privé

En l’absence d’une définition juridique du financement privé, la Cour des comptes a considéré que les sources légitimes de financement des campagnes électorales pour les partis politiques est la subvention de l’État et la contribution du parti et des candidats membres des listes. En ce qui concerne les listes indépendantes, elles se sont limitées à la subvention de l’Etat et aux contributions des candidats membres des listes. Le rapport de la Cour des comptes fait état de partis politique ayant reçu des financements privés comme le «  parti de l’avenir » qui a reçu, de la part de parties privées, la somme totale de 40.000 dinars. Le même type d’irrégularité a concerné le Parti du Néo-Destour. D’autres partis politiques comme le «  parti Réformiste Destourien » ou «  Les régions pour la Tunisie de Demain » ont, eux aussi, commis des infractions à la législation sur le financement privé. D’autres listes ont bénéficié d’avantages en nature, considérés comme un financement privé. La Cour des comptes explique ne pas avoir été toujours en mesure de retracer la personne à l’origine du don. Et surtout, il n’y avait pas de sanction prévue contre ces listes, lorsque l’infraction était découverte dans le contrôle des comptes définitifs, réalisé à postériori par la Cour des comptes.

Financement étranger

L’article 77 du décret-loi électorale prévoyait, en cas d’infraction à l’interdiction de financement étranger, une peine d’emprisonnement et une amende deux mille dinars, " outre la perte automatique, dès le prononcé du jugement de condamnation, de la qualité de candidat ou de la qualité d’élu après la proclamation des résultats du scrutin.” Lors de son contrôle la Cour des comptes a agi à deux niveaux : elle a investigué au niveau des Douanes en s’intéressant à l’importation des devises sous forme de billets de banque et au niveau de la Banque Centrale de Tunisie et des banques en s’intéressant aux opérations de change et aux transferts financiers bancaires et à leur suivi. Des investigations longues et difficiles à mener. La Cour des comptes n’a pas pû tirer de conclusions formelles quant “ à la possibilité d’identification de fonds importés de l’étranger à des fins électorales.” Selon le rapport il existe des lacunes dans le système de surveillance des transactions financières inhabituelles, d’où la difficulté de suivi.

Dépenses électorales

Le contrôle de la Cour des comptes vise, également, à s’assurer que la réalisation de toutes les opérations liées à la campagne s’est fait depuis le compte en banque unique et qu’il y a eu respect du plafond de la dépense électorale. Or faute de dépôt des documents comptables par tous les partis, la Cour des comptes n’a pas pu réaliser entièrement son contrôle. Sur l’échantillon de comptabilité étudié la Cour a dénombré de nombreuses irrégularités comme une mauvaise numérotation des documents, l’absence de classement chronologique, la non inscription de toutes les opérations, l’existence de divergence entre les pièces justificatives et les registres… de nombreuses autres irrégularités ont été comptabilisées par la Cour des comptes.

L’ISIE est en charge du bon déroulement des élections. Crédit image: Kais Zriba

Les sanctions prescrites par la loi

La loi électorale de 2011 prévoyait des sanctions, mais elles ne semblent ni dissuasives ni appliquées. « Il convient de signaler à cet égard le problème lié à la fixation du montant de la sanction financière que la Cour des comptes peut infliger aux partis et aux listes qui ont commis des infractions liées au défaut de présentation des comptes. Considérant le caractère pénal des dispositions du décret-loi n° 2011-91 dans le domaine des sanctions financières, l’interprétation ne peut être que restrictive et au bénéfice de l’auteur de l’infraction, ce qui ne permet pas à la Cour des comptes de doubler le montant maximum lorsqu’elle constate qu’un parti a commis plus d’une infraction dans plus d’une circonscription électorale », explique le rapport de la Cour des Comptes.

Concrètement, la peine maximale édictée par le décret-loi plafonne la sanction à 5000 dinars, quelque soit le nombre d’irrégularités. Le parti qui n’a pas avancé ses comptes demeure non exposé à la sanction de chaque infraction qu’il pourrait avoir commise.

Pour ceux qui se sont représentés en 2014, l’ISIE a exigé une quittance fournie par la ministère des finances. Toute liste n’ayant pas payé ses dettes de 2011 n’a pas le droit de se présenter en 2014. Mais quel sort pour ceux qui ne se sont pas représentés en 2014 sans pourtant rendre l’argent public à l’état ?

En 2014 un nouvel encadrement du financement a été mis en place. Crédit image: Malek Khadhraoui

Quel encadrement en 2014 ?

A la suite de son expérience, la Cour des comptes a émis certaines recommandations légales à l’attention des autorités politiques. La nouvelle loi électorale 2014 a tenté de combler les lacunes de la loi précédente, notamment en matière de sanctions des contrevenants.

Recommandations

Dans son rapport, après les élections de 2011, la Cour des comptes a émis une série de recommandations suite à son expérience.

– Une définition claire de la dépense électorale et l’adoption des dispositions afin de permettre le rejet des dépenses et de demander le remboursement des montants et de ces dépenses ;  – Une définition claire du financement privé ;  – Une définition précise du financement étranger, une plus grande uniformité dans les procédures de suivies par la Banque Centrale  – L’ouverture d’un compte bancaire unique pour chaque liste ;; – L’allocation d’une subvention publique de manière proportionelle avec un montant minimun de soutien ;  – La reconsidération de l’octroi d’avance sur le financement public ;  – L’adoption d’un cadre comptable pour le financement des partis politiques et des campagnes électorales ;  – La récupération des excédents du financement public.

Sanctions :

– Porter sanction en cas de découverte d’un financement privé lors d’un contrôle à posteriori ;  – Sanctionner en cas de dépassement du plafond des dépenses électorales ;  – Rendre adéquate les sanctions avec les irrégularités ;  – Possibilité de récupération des montants ;  – Annulation des résultats.

La nouvelle loi électorale s’inspire des recommandations

La loi a repris certaines recommandations comme le fait de rendre obligatoire l’ouverture de comptes bancaires et de leur gestion, réalisé par un gestionnaire. Ainsi une liste électorale partisane ou indépendante ou de coalition, ne pourra pas bénéficier de la deuxième tranche de financement public qu’après la promulgation des résultats finaux des élections. Il y a également eu demande d’adoption d’un cadre comptable pour le financement et la campagne électorale. Pour le financement des recommandations ont été mise en place. Ainsi le montant de financement pour les souscriptions prend en considération le nombre des électeurs potentiels, le coût de la vie et l’étendue géographique de la circonscription qui génère un coût. Et enfin pour les listes contrevenantes, la nouvelle loi électorale a accentué les amendes financières par rapport à la loi 2011.

Toutes les recommandations n’ont pas été prises en compte

Mais certaines recommandations n’ont pas été prises en compte comme le fait de ne pas attribuer le financement public de façon préalable. La loi électorale 2014 reste très souple sur le recouvrements des dettes de l’élection 2011. L’ANC a demandé que le candidat présente un reçu du ministère des Finances pour la restitution de la seconde tranche, mais pas pour le règlement des amendes.

La société civile essaie de prêter main forte au processus de contrôle, car c’est toute une chaîne d’institutions et de mécanismes qui doivent garantir l’application du texte juridique.

En août, l’association I watch a organisé une conférence pour la signature d’une charte d’honneur. Il s’agit d’amener les partis politiques à s’engager sur le respect de l’Etat et de la non utilisation d’argent suspect. Aucun parti n’a assisté à la conférence. Pour les élections de 2014, certaines composantes de la société civile avouent qu’il est impossible de cerner toutes les infractions. La modestie de leurs ressources entrave leur action citoyenne. Il ne suffit donc pas de mettre en place un bon cadre juridique. Il est indispensable qu’il soit applicable via la vigilance des institutions de l’Etat, responsables du contrôle des dépenses de l’argent public et de la sanction en cas de violation des règles de financement de la campagne. La Cour des comptes devra donc redoubler de vigilance cette année.