Aux frontières, une accélération brutale des procédures de rétention
Ces nouveaux mécanismes s'accompagnent aussi d'un renforcement massif des capacités d'enfermement : les migrant·es pourront aussi être enfermé·es dans un centre de rétention pour une durée pouvant aller jusqu'à six mois. Afin d’examiner les demandes d’asile, les instances européennes visent la création de 30 000 places supplémentaires en centres d’accueil avec pour objectif de traiter les dossiers de 120 000 personnes par an. Ces efforts semblent bien minimes face au nombre réel de demandeurs.ses d’asile - près d’un million de personnes en 2024.
Ces chiffres traduisent surtout une volonté de systématiser la détention aux frontières et les expulsions, même pour les familles ou les mineur·es. Pour les associations de défense des droits humains telles que Amnesty International, ce pacte “entraînera une régression de la législation européenne relative à l’asile dans les décennies à venir, ne fera qu’accroître les souffrances et exposera encore plus de personnes au risque de subir des atteintes aux droits humains à chaque étape de leur parcours.”
Le pacte introduit un mécanisme dit de "solidarité obligatoire" entre États membres. Chaque pays de l’Union européenne devra chaque année participer à l'accueil d'au moins 30 000 personnes réfugiées ou verser une contribution financière de 20 000 euros par personne non relocalisée. Une manière, selon la Commission, de répartir l'effort migratoire de manière équitable à travers le continent.
Mais cette logique de compensation monétaire suscite de nombreuses critiques. Derrière l'apparente flexibilité, certains y voient surtout une façon pour les États les plus hostiles à l'accueil - comme la Hongrie ou la Pologne - de s'exonérer de toute responsabilité réelle. Pour La Cimade, "l'accueil devient une transaction, non plus une obligation morale et juridique".
L’externalisation des expulsions comme nouvelle la stratégie
Dans la continuité des accords déjà signés avec plusieurs pays du pourtour méditerranéen, la Commission européenne entend désormais formaliser la création de centres de retour en dehors de l'espace communautaire. Ces structures permettraient d'accueillir les personnes déboutées du droit d'asile en attente de renvoi, tout en transférant la gestion de leur sort à des pays tiers.
Cette logique d'externalisation franchit une nouvelle étape avec la redéfinition du concept de "pays tiers sûr". Désormais, une demande d'asile pourra être jugée irrecevable si la personne a transité par un État considéré comme offrant une protection suffisante.
Le pacte prévoit également des mécanismes de crise, activables en cas d'"afflux massif" ou d'"instrumentalisation des migrant·es" par un pays tiers. Ces clauses permettent d'allonger les durées de détention, de restreindre les garanties procédurales, et de flexibiliser le traitement des demandes. "Ce pacte n'améliore pas la situation, il institutionnalise la violence déjà à l'œuvre aux frontières de l'Europe", alerte l'ONG Statewatch.
La Tunisie, au cœur d'un dispositif contesté
Le 16 avril 2025, la Commission européenne a officiellement proposé l'ajout de la Tunisie à la liste des pays tiers sûrs. Une mesure justifiée par le faible taux de reconnaissance des demandes d'asile déposées par des ressortissant·es tunisien·nes dans l'Union - à peine 4% en 2024. La proposition de la Commission européenne s'inscrit dans la continuité du partenariat stratégique entre l'UE et la Tunisie, visant à renforcer la coopération en matière de gestion des flux migratoires. Ce partenariat, formalisé par un mémorandum d'entente signé en juillet 2023, prévoit notamment la facilitation des expulsions de ressortissants tunisiens en situation irrégulière dans les États membres de l'UE.
Mais cette décision, aux apparences techniques, suscite une vague de critiques de la part des ONG et d'observateurs indépendants. Car sur le terrain, la situation des droits humains en Tunisie demeure préoccupante. Les violences envers les personnes migrantes, en particulier subsahariennes, sont largement documentées. Plusieurs enquêtes ont dénoncé des expulsions collectives vers le désert libyen, des passages à tabac, ainsi qu'un discours politique ouvertement xénophobe. Même la médiatrice de l'Union européenne, Emily O’Reilly, a remis en question l'accord migratoire signé avec Tunis en 2023, pointant un manque total de transparence et d'évaluation des conséquences sur les droits fondamentaux des migrant·es.
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Pour le Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux (FTDES) la Tunisie "n'est ni un pays d'origine sûr, ni un lieu sûr pour les personnes secourues en mer". L’organisation argumente par le fait que le pays ne dispose d'aucun cadre légal de protection pour les personnes migrantes ou réfugiées. En mer, les opérations de "sauvetage" menées par les garde-côtes tunisiens se soldent souvent par des refoulements illégaux ou des détentions arbitraires. Ces pratiques constituent une violation du droit international maritime et des droits humains fondamentaux.
Pourtant, malgré ces signaux d'alerte, l'Union européenne persiste à présenter la Tunisie comme un partenaire fiable, apte à gérer les flux migratoires. Une délégation implicite de la violence et du contrôle, au nom de la sécurité des frontières européennes.
Un pacte qui fragilise les droits humains
Si le pacte ne doit officiellement entrer en vigueur qu'en 2026, plusieurs pays - dont la France, l'Allemagne et la Grèce - ont déjà commencé à appliquer certaines mesures, notamment les procédures d’expulsions accélérées à la frontière. Ainsi, des expulsions express ont été rapportées, notamment dans les zones méditerranéennes. En début d’année, la Cour européenne des droits de l'homme a même condamné la Grèce pour avoir procédé à des refoulements illégaux : l’une des plaignant·es, avait été arrêtée puis détenue avant d'être contrainte, avec d'autres exilé·es, de monter à bord d'un canot pneumatique et repoussée, en pleine nuit, vers la rive turque. La machine est donc déjà en marche, avant même que les garde-fous promis ne soient installés.
Malgré un discours qui se veut rassurant de la part des instances européennes, le nouveau pacte consacre la continuité d’un paradigme : celui d'une Europe qui privilégie la fermeture à la solidarité. En confiant la gestion des frontières à des pays comme la Tunisie, en durcissant les procédures aux dépens des droits fondamentaux, l'Union se dégage de sa responsabilité historique. Le droit d'asile, jadis pilier de la construction européenne, paraît aujourd'hui relégué au second plan face aux impératifs sécuritaires.
Pour plusieurs organisations de défense des droits des migrant·es comme la Cimade, ce pacte représente "une réforme cruelle, coûteuse et inefficace qui risque de créer toujours plus de souffrances et de multiplier les désastres humanitaires aux frontières."


