Le vendredi 27 septembre 2024 a été un tournant pour les habitant·es de la banlieue sud de Beyrouth. Avant ce “jour tragique”, la région avait encore un semblant de normalité. Cependant, à la suite des multiples attaques de l'armée d'occupation israélienne, de nombreux·ses résident·es ont quitté Beyrouth, tandis que d'autres se sont réfugié·es dans des quartiers voisins, redoutant une extension de l'offensive israélienne.
Malgré tout, la vie continuait dans les banlieues : les magasins et restaurants restaient ouverts, les marchés de fruits et légumes étaient toujours animés, des jeunes parcouraient les rues en moto, et les lumières des maisons illuminaient encore la nuit. Mais le 27 septembre, vers 18h15, tout a basculé.
La scène de panique déclenchée par cette frappe est sans précédent pour les habitant·es, depuis la guerre de 2006. La violence de l'attaque, au cours de laquelle Israël a déployé plus de 80 tonnes d'explosifs, a secoué tout Beyrouth et ses environs, laissant tous·tes ceux et celles qui ont ressenti l'explosion en état de choc. Tout le monde pensait que la frappe avait eu lieu à proximité, jusqu'à ce que les informations révèlent qu'il s'agissait d'une attaque visant un centre de commandement du Hezbollah.
Les habitant·es ont rapidement rassemblé quelques affaires et sont parti·es sur-le-champ, n’emportant qu’un petit sac, croyant revenir chez eux dans un ou deux jours. Ceux et celles qui avaient choisi de rester ont rapidement changé d'avis. Dès la nuit tombée, le porte-parole de l’armée israélienne a commencé à diffuser des ordres d’évacuation, à la fois par des messages envoyés aux zones visées par les bombardements et par la publication de vidéos.
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“Il y a actuellement 778 centres d’accueil qui hébergent 118 000 personnes”, déclare Najib Mikati, le Premier ministre par intérim du Liban. Il ajoute : “Le nombre de déplacés est probablement beaucoup plus élevé et pourrait atteindre un million de personnes”. Ces individus ont fui, au cours des derniers jours, le sud et l'est du pays ainsi que la banlieue sud de Beyrouth.
“Il s’agit peut-être du plus grand déplacement de population qu’ait connu la région et le Liban”, déclare Najib Mikati
De nombreux déplacé·es ont réussi à trouver un logement dans des régions telles que le Mont-Liban, Tripoli, Akkar et le nord du pays. Cependant, la majorité n’a pas pu faire face aux loyers exorbitants, qui varient de 1 000 à 2 000 dollars par mois, sans compter les dépôts de garantie et les paiements anticipés requis, ce qui les a contraints à se diriger vers les centres d’accueil.
Hawraa Hazimeh, une jeune femme d’une vingtaine d’années, raconte qu’elle a dû fuir à deux reprises : d’abord du sud vers le quartier de Bourj Al Barajina, au sud-ouest de la banlieue, puis vers Beyrouth-Ouest. “Nous sommes partis victorieux et nous reviendrons victorieux”, déclare Hawraa, assise sur le trottoir de l’Université internationale libanaise (UIL), située dans la zone de Salim Salam, avec sa famille.
“Depuis le 8 octobre dernier, jour où la résistance libanaise a ouvert un front de soutien pour Gaza, j’ai préparé mon sac, consciente que cette guerre serait difficile et longue contre l’ennemi israélien. Nous sommes prêts à mener cette guerre jusqu’à notre dernier souffle. Nous savons que des martyrs tomberont, mais leur sang portera la victoire”, explique-t-elle. “Il ne fait aucun doute que ce que nous vivons est douloureux… mais nous sommes convaincus que nous triompherons, comme en 2006.”
“Nous reviendrons victorieux, même si la guerre dure longtemps... Nous sommes avec la résistance et nous la soutiendrons, quoi qu'il arrive..”
Hawra, comme tant d'autres, est allongée à même le sol du centre d'accueil, où l'organisation fait défaut en raison de l'absence de soutien de la part de l'Etat libanais. Seules les initiatives sociales et individuelles parviennent à structurer un peu ces lieux. Des jeunes hommes et femmes travaillent sans relâche pour aider les déplacés, récoltant des fonds, achetant et vendant des marchandises. Ces campagnes spontanées témoignent de la solidarité et de l'engagement de la société civile face à l'inaction du gouvernement.
“Nous ne savons pas quand nous allons mourir”, confie Fatima Haider à 7iber, vêtue de noir avec sa famille en deuil après l'assassinat du secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah. Comme beaucoup de déplacés, elle garde près d'elle quelques sacs contenant des produits de première nécessité. “Nous avons fui la région de Borj-El-Shemali après que l'ennemi a bombardé notre maison, sous prétexte qu'il y avait des armes de guerre à l'intérieur, mais en réalité il n'y avait que des civils”, explique-t-elle.
Fatima raconte également le périple de leur déplacement vers Beyrouth, dans le quartier de Bir Hassan. “Nous avons passé près de 16 heures sur la route, épuisés, sans rien. A peine installés dans la zone, nous avons dû fuir à nouveau à l’aube de samedi, sous le bruit des bombardements et des destructions. 23 membres de ma famille se sont entassés dans deux voitures. Nous avons passé la première nuit sur un rocher à Raouché, avant de nous rendre à l'université internationale de Beyrouth en quête d’un abri”. Malgré tout, Fatima insiste que même si la guerre venait à durer, “nous resterons aux côtés de la résistance, nous avons foi en elle, et nous triompherons si Dieu le veut”.
La situation n’est pas différente à l’école publique “Al Banat Thaniya”, dans le quartier de Msaytbeh, où le nombre de déplacé·es a atteint environ 450, un chiffre que l’établissement, en raison de sa petite taille, ne peut pas accueillir. Dans chaque salle de classe, on trouve quatre à cinq familles regroupées, partageant un espace exigu.
Les déplacé·es dans un centre d’accueil à Msaytbeh, Beyrouth. Photo de Batoul Suleiman.
La cour de l'école est remplie de gens assis sur des bancs et à même le sol, tandis que les enfants courent et se bousculent au milieu de la foule. Un ballon par-ci, un narguilé par-là, et une mère qui cherche désespérément son enfant au milieu du tumulte. Lorsqu'elle l'aperçoit enfin, elle le gronde : “Je t'ai dit de rester près de moi, je ne peux pas te perdre”. Le linge est étalé aux fenêtres, et dès que quelqu'un arrive avec un carton ou un sac, les parents se pressent autour de lui pour récupérer la marchandise à distribuer.
“Nous ne nous attendions pas à ce que la guerre éclate aussi rapidement et qu'elle atteigne Beyrouth”, déclare Zaineb Aboud, mère de deux enfants âgés de moins de cinq ans. “J'habite à Ain El-Sikkeh et, lorsque les bombardements se sont intensifiés dans la banlieue, j'ai pris mes enfants ainsi que nos papiers d'identité et nous sommes partis”.
Elle ajoute : “Je ne crois pas que la guerre va se terminer bientôt. Même ici, je ne me sens pas en sécurité à cause du bruits des avions qui nous entourent. J’ai l’impression qu’à tout moment, un missile pourrait s’abattre sur le terrain de l’école et nous tuer tous, comme cela c’est déjà produit à plusieurs reprises à Gaza”.
Dans la chambre n°5 du premier étage de l’école, Najah Barakat réside avec ses enfants et petits-enfants, tous regroupé·es dans une seule pièce, séparée par une couverture au centre pour distinguer les hommes des femmes. gée de 70 ans, Najah déclare, la voix pleine de tristesse : “Nous avons quitté la banlieue le cœur brisé. Cela fait 30 ans que je vis à Haret Hreik. Nous sommes partis avec l’espoir de triompher aux côtés d’Al-Sayyed. Aujourd’hui, nous avons le sentiment d’être orphelins sans lui. Peu importe si nos maisons sont encore debout, cette fois, ils ont pris ce qu’on avait de plus cher”.
“Al-Sayyed est avec nous par ses idées et son esprit, et nous triompherons grâce à lui”, ajoute la septuagénaire. Zainab, sa petite-fille, interrompt sa grand-mère en déclarant : “Nous reviendrons dans la banlieue victorieux, même si la guerre s’éternise”. Elle précise que, bien que quitter la banlieue où elle a grandi soit difficile, “la présence de la résistance nous apporte du réconfort. Nous marchons sur les traces de la résistance et nous resterons, peu importe la gravité de la situation”.
Dans la chambre voisine, Fatima Farhat, qui a fui le quartier de Chiyah dans la banlieue sud, une zone jugée comme relativement sûre car n’ayant été bombardée qu’une seule fois par l’occupation israélienne, décrit ce qu’elle a vécu le 27 septembre : “C’était horrible”. Elle prend une profonde inspiration, les larmes aux yeux, et ajoute : “J’étais à mon travail à Saint-Thérèse (à l’est de la banlieue), lorsque, tout à coup, le plafond s’est effondré sous la force de l’explosion, malgré la distance entre Haret Hreik et cette région”.
“On nous a aidés à sortir... Je n'ai pas pu rentrer chez moi pour récupérer quelques affaires. Mon fiancé m'a appelé, et nous sommes partis immédiatement avec ma famille vers Tayouneh. Nous avons passé la nuit sur la route, entendant chaque missile tomber sur la banlieue. Nous n'avons pas fermé l'œil ce jour-là.” Elle ajoute : “Je n'ai pas reçu mon salaire, et mon fiancé non plus... Nous survivons grâce aux aides qui arrivent à l'école, tout comme les autres personnes présentes ici.”
Alors que certain·es ont trouvé refuge dans des centres d'accueil pour échapper aux bombardements, d'autres dorment directement sur le bord des routes. À Ain El-Mreisseh, la façade maritime de Beyrouth, les conditions sont extrêmement difficiles. Le soleil brûle les visages des enfants étendus sur les trottoirs. Sans tentes ni aucun moyen de subsistance, chaque coin est occupé par une famille assise à même le sol, entourée de quelques valises. Certain·es ont emporté un petit réchaud à gaz et quelques ustensiles pour rendre leur quotidien plus supportable, tandis que d'autres n'ont pour seul bien que les vêtements qu'ils portent.
Des déplacé·es installé·es sur le trottoir, en face de la plage de Beyrouth. Crédits photo : Batoul Suleiman.
Reem Hamadeh, qui a fui le quartier de Hay El Sollem dans la banlieue, raconte : “Nous ne voulions pas quitter notre maison, mais les événements de vendredi nous ont contraints à partir. Nous sommes partis sans rien emporter, pas même nos papiers, et avons décidé de rester ici. C'est préférable à l'humiliation des centres d'accueil”.
Elle poursuit : “Que pouvons-nous faire? Je ne sais pas. La situation est difficile, les enfants pleurent sans cesse et nous ne pouvons rien faire, nous ne recevons que l’aide qui nous parvient… Que Dieu nous aide”. Sa fille, Nour Al-Ouyoun, l’interrompt en disant : “Nous nous lavons dans la mer, c’est à cela que nous sommes réduits. Et pour faire nos besoins, on se rend aux toilettes du McDonald’s en face de nous”.
“Grâce à Dieu, nous avons quitté la maison, car Israël l’a détruite cette nuit-là, nous avons vu notre maison s’effondrer devant nous”, raconte Nour. “ Nous avons essayé d’aller aux centres, mais la vie y est insupportable. Il n’y a ni toilettes, ni eau, ni rien. Sans parler du danger qui pèse sur ces centres, Israël peut les bombarder à tout moment”.
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