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Chahira, 33 ans, cheffe de projet dans une ONG, 2200 dinars par mois


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23 Juin 2023 |
Cheffe de projet dans une organisation internationale, Chahira a fait de sa vocation un véritable métier. Mais l’incertitude qui règne depuis des années  dans le domaine se fait plus palpable avec le contexte politique actuel. Entre resserrement du budget et solutions à trouver, la jeune femme n’est pas sereine pour l’avenir. Plongée dans son porte-monnaie. 
"Dans ce monde, je veux apporter un changement, transformer les mentalités, laisser un impact, aussi petit soit-il". Pour Chahira*, 33 ans, travailler dans le monde associatif est une vocation. Cela fait près de 12 ans maintenant qu'elle est dans le domaine, et le contact avec l'être humain reste pour la jeune femme une source d'énergie et surtout, de fierté. "J'ai même arrêté mes études pour participer à la société civile", déclare-t-elle. Ce monde lui demande en effet un grand engagement, pour lequel elle n'hésite pas à s'y consacrer pleinement. 

L'association où Chahira travaille œuvre à faciliter l'éducation citoyenne et politique des individus, essentiellement pour les jeunes et les femmes. Elle se charge d'organiser des évènements artistiques visant à favoriser l'expression citoyenne et surtout, leur cohabitation. “Que ce soit par le rap, la danse, le théâtre ou encore le cinéma, la culture est un outil essentiel”, explique la jeune femme.  

Ses invités venant d'horizons différents, chacun ayant sa propre culture, normes et préconceptions de la vie, il s'agit pour elle de les faire cohabiter ensemble, afin que "chacun puisse sortir de son cocon." "Je ne cherche pas à les endoctriner avec une certaine idéologie prédéfinie, mais à instaurer une discussion entre eux, et les faire accepter les uns aux autres.” 

“Le simple fait de discuter a un grand impact sur notre société et sur le changement des mentalités."

Pour que ces évènements aboutissent, Chahira s'y consacre à plein temps. Elle prépare d'abord ses réunions à distance, et se lance ensuite dans des rencontres avec ses partenaires dans la société civile, principalement des activistes. N'étant pas matinale, et bénéficiant d'une certaine liberté dans son travail, primordiale pour elle, elle déclare travailler parfois entre "14h et 3h du matin." Elle se charge de tous les aspects des projets qu'elle organise, que ce soit dans la planification, la communication ou encore la comptabilité. Les grandes décisions du projet se font en revanche avec son supérieur hiérarchique.    

Sur le plan financier en revanche, Chahira dit ne pas avoir le sens de l'organisation.  "Si sur le plan professionnel mon budget est très bien organisé, sur le plan personnel c'est un vrai chaos", reconnaît-elle. La jeune femme se laisse souvent aller aux imprévus et aux petits plaisirs de la vie. Entre cadeaux pour ses proches, cafés et restaurants, elle n'arrive pas à économiser à la fin du mois. Or, elle qui a prévu de faire des implants dentaires s'élevant à 16.000 dinars, une économie dans son budget reste pourtant primordiale.  

Voici un aperçu de ses sorties et entrées d’argent mensuelles :

"Pour que je fasse mes implants il faut que j'économise 500 dinars par mois, qui partent généralement dans des futilités. Alors parfois, dès que je perçois mon salaire, je donne directement 500 dinars à ma dentiste, comme une avance. Je sais très bien que si je les garde pour moi je vais automatiquement les dépenser", anticipe Chahira. 

En plus de cette opération dentaire, la jeune femme veut économiser en vue de son mariage prévu l’année prochaine, ce qui marque un tournant pour elle. "Généralement quand j'économise, c'est pour des études, certains projets, mais je n'ai jamais réellement pensé à économiser pour construire une famille", détaille-t-elle.

Mais ses dépenses au quotidien lui prennent déjà une bonne partie de son budget. Chahira vient de déménager d’une colocation et son nouveau logement lui coûte aujourd'hui deux fois plus cher que l'année précédente. Mais pour elle, l'indépendance n'a pas de prix. "J'ai déménagé depuis longtemps de chez mes parents, mais je n'ai jamais vraiment vécu seule. J'ai pris la décision cette année. Il faut que j'affronte mes responsabilités. Maintenant, je fais attention d'éteindre les lumières derrière moi parce que je sais très bien que la facture d'électricité ne va pas être divisée par deux."  

Voici le détail de ses dépenses et revenus mensuels :

Zone grise 

Le salaire de Chahira s’élève à 2200 dinars par mois. Malgré son investissement, elle n’est pas dupe et se doute que ses homologues dans d'autres associations gagnent le double.  

"La moyenne, pour un chef de projet dans d'autres associations, est de 3500 dinars par mois et ça peut monter jusqu'à 4000. Mais j'accepte car je sais qu'il n'y a pas de budget. C'est aussi, et surtout, une question de valeurs. Je me sacrifie pour mes valeurs. Je sais que les 1500 ou 2000 dinars en plus peuvent servir à financer d'autres projets pour l'association.” 

Pour combler son solde négatif, Chahira a alors souvent recours aux dettes ou aux facilités. "Au lieu de payer mes lunettes d'un coup, je préfère payer 250 dinars par mois”, donne-t-elle en guise d’exemple.  

Si Chahira est passionnée par la vie associative, elle sait que ce domaine n'est pas très sûr. Pour financer les projets, il lui faut un bailleur de fonds. Ces derniers donnent cependant un budget pour une durée limitée. "Généralement ils donnent un montant pour toute une année. Une fois cette année finie, il faut trouver un autre bailleur de fonds sinon c'est le chômage. J'essaie d'anticiper mais ce n'est pas évident". Chahira a même dû parfois recourir à d'autres emplois, notamment dans la télécommunication, pour combler ses vides financiers. 

En outre, la situation politique actuelle n'est pas non plus d'une grande aide. La société civile et ses financements étant régulièrement diabolisés, Chahira se sent de plus en plus gênée de travailler avec des bailleurs de fonds étrangers. 

"Le problème ne vient pas tant du fait qu'il y a moins de bailleurs, mais plutôt du fait de travailler avec eux. Je ne veux pas être accusée d'ingérence étrangère ou toute affaire de complot", s’inquiète-t-elle. 

Dernièrement, elle déclare avoir eu affaire à la police pour la première fois depuis des années dans le domaine. Ces derniers lui ont en effet posé plusieurs questions sur le projet qu'elle mène.

Futur 

Ayant un diplôme dans le développement personnel, Chahira souhaite trouver son plan B dans le domaine du coaching ou du consulting. Ayant déjà un peu pratiqué cette activité, elle souhaite en faire une vraie source de revenus pour compenser ses soldes négatifs, et surtout, pour financer ses implants dentaires et sa future vie de famille.  

Elle pense également à faire du courtage et bénéficier d’une commission pour tout bailleur de fonds trouvé : “Au niveau de l'éthique je sais que c'est critiquable, mais il faut vraiment que je trouve des solutions."