






Essia Belhassen

Essia Belhassen

Syndicaliste féministe, puis membre fondatrice de l’Association Tunisienne des Femmes Démocrates (ATFD), Essia Belhassen s’engage très tôt pour l’égalité hommes femmes. Ecoutante bénévole depuis 1993, cette dernière s’appuie sur la solidarité entre collègues, ainsi que sur l’impact positif de son activité pour modérer les séquelles psychologiques engendrées par l’écoute des femmes victimes de violences. Sa principale revendication : faire valoriser son métier auprès des autorités.
Élevée à Tunis, Essia perçoit très jeune l’injustice dont sont victimes les femmes autour d’elle. “Je voyais souvent des femmes violentées par leurs conjoints, qui les frappaient chaque soir. Jeressentais que les femmes étaient opprimées et qu’on vivait dans une société patriarcale par excellence”, explique-t-elle.
À sa vingtaine, elle rejoint le club culturel Tahar Haddad où elle rencontre de nombreuses activistes féministes. Elle contribue ensuite à la fondation de l’ATFD et du centre d’écoute pour les femmes victimes de violences, créé en 1993.
“Mes engagements syndicaux ont causé trop de problèmes”
Embauchée au sein d’une entreprise, elle est indignée par les inégalités qu’elle remarque au quotidien. “Il y avait trop d’injustices : pas d’égalité salariale entre les hommes et les femmes. Beaucoup plus d’hommes étaient embauchés, une ou deux femmes seulement étaient prises. Avec toujours la logique des pistons, des faveurs…”, raconte-t-elle. Connue pour son militantisme au sein de l’ATFD, Essia intègre rapidement le syndicat de l’entreprise où elle était employée
Quelques années plus tard, avec son conjoint journaliste, elle publie un article soutenant l’UGTT, ce qui ne plaît pas aux autorités. “J’ai subi avec ma mère un harcèlement de la part de la police, qui me rendait visite tous les jours à la maison. C'était une souffrance”, décrit-elle. Elle doit alors s’exiler avec son conjoint de l’époque en France.
De retour en Tunisie, elle reprend son emploi au sein de la même entreprise. Néanmoins, elle est vite licenciée pour des raisons financières. Officieusement, ses supérieurs hiérarchiques lui expliquent que ses engagements syndicaux sont à l’origine de son renvoi. “On m’a clairement dit : tes engagements syndicaux nous ont causé de nombreux problèmes, donc il fallait que tu sortes", dit-elle.
Après la révolution, son dossier passe devant la justice transitionnelle, qui lui accorde le droit à des compensations pour les préjudices qu’elle a subis. Un droit auquel elle n’a jamais réellement eu accès. “C’est resté de l’encre sur du papier”, se désole-t-elle. C’est également en cette période qu’elle rejoint le bureau exécutif de la LTDH.
“SI ON NE FAISAIT PAS CE TRAVAIL, QUI AURAIT AIDÉ LES VICTIMES À OBTENIR LEURS DROITS ?”
Ecoutante bénévole depuis 1993 au centre de Tunis, Essia se consacre entièrement à cette activité en 2011. A ses débuts, elle suit de nombreuses formations avec des experts·es, sociologues, psychologues ou militants·es féministes, qui la forment à l’art de l’écoute. Aujourd’hui, elle prend en charge deux victimes par semaine, avec une équipe d’avocats·es, de juristes et de psychologues.
“Il n’y a pas une femme qu'on ne prend pas en charge. Que ce soit sur le plan légal, psychologique, administratif, pour trouver un métier, avoir un diplôme.... On fait toujours tout ce qui est de notre possible” , commente-t-elle, en expliquant que les membres de l’ATFD se coordonnent souvent avec d’autres associations pour subvenir aux besoins essentiels des femmes victimes de violence.
Les victimes reçues au centre de Tunis se présentent tout d’abord à l'accueil, où les informations préliminaires sur la situation sont saisies, avant d’avoir un rendez-vous avec une écoutante. Les quinze premières minutes de l’entretien, Essia tente autant que possible de rassurer les victimes et d’obtenir leur confiance. “Je reçois souvent des cas très difficiles, de femmes ou d’enfants même, battus avec des objets durs, brûlés…“, décrit-elle.
Être écoutante pour l’ATFD est une activité très gratifiante pour elle.
“C’EST DIFFICILE MAIS ON PARVIENT À DÉPASSER LES SÉQUELLES QUAND ON OBTIENT GAIN DE CAUSE”
Essia s’appuie sur ses collègues quand elle fait face à des situations difficiles psychologiquement. “Je suis souvent touchée par les affaires que j’écoute mais on est très solidaires. On essaye de gérer du mieux qu’on peut les angoisses et les séquelles psychologiques”, relate-t-elle.
“C’est difficile mais on parvient à dépasser [ces séquelles] surtout quand on obtient gain de cause”, poursuit-elle.
Chaque année, Essia voit une multiplication du nombre de femmes victimes de violences. Particulièrement sur ces dix dernières années selon elle. Ce grand nombre complique la prise en charge pour l’association.
“Les conditions d’écoute sont très difficiles. L’Etat doit nous fournir de plus grands locaux, pour qu’on puisse accueillir ces femmes”, dénonce Essia, “Mettre fin à ces violences relève de la responsabilité des institutions, des Ministères (...) Nous, on agit comme groupe de pression, pour pointer ces problèmes du doigt”, estime-t-elle.
Le faible effectif des écoutantes est également un autre problème au quotidien. L’association tente d’y remédier en formant une nouvelle génération d'écoutantes.
Pour Essia, les conditions de travail rendent cette activité peu attractive :“[L’écoute] est un travail qui devrait être payé, comme dans d’autres pays. Mais ici nous avons un grand manque de moyens”, dénonce-t-elle.