Des urnes aux chiffres, décryptage du référendum du 25 juillet

La victoire du “oui” par 94,6% des voix au référendum constitutionnel cache d’autres chiffres. Grâce aux données publiées par l’ISIE, inkyfada revient sur le scrutin du 25 juillet.
Par | 28 Juillet 2022 | reading-duration 5 minutes

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Dans la soirée du 25 juillet 2022, moins d’une heure après la fermeture des bureaux de vote en Tunisie, Farouk Bouasker, président de l’ISIE s’avance sur l’estrade du Palais des Congrès de Tunis. Après avoir longuement remercié tous les acteurs de l’organisation du scrutin, il annonce face aux caméras de télévision et aux journalistes le résultat du référendum sur le projet de Constitution de Kais Saied : le “oui” l’emporte à 94,6%. 

Derrière ce score écrasant, le taux de participation suscite lui aussi une grande attention : le scrutin n’aura attiré que 27,54% des inscrit·es sur les listes électorales. Le lendemain, l’Instance supérieure publie de nouveaux chiffres dont un taux de participation rehaussé à 30,5%. En effet, 371.109 bulletins sont venu·es s’ajouter au total précédemment communiqué. Elle publie aussi les détails par gouvernorat avant de les corriger 24h plus tard dans une nouvelle publication.

Afin de mieux comprendre l’enjeu des résultats, inkyfada a réalisé plusieurs infographies grâce aux données du référendum.

71,9% des inscrit·es n’ont pas voté pour le “oui”

Pour Kaïs Saïed, les résultats du référendum sont une réussite. Son projet de nouvelle Constitution a été validé par 94,6% des votant·es. Un score certes impressionnant mais qui ne rend pas compte de l’ensemble des comportements électoraux des inscrit·es sur les listes de l’ISIE. En effet, les résultats entre le “oui” et le “non” ne considèrent que les suffrages exprimés.

L’abstention n’est donc pas prise en compte dans le calcul des résultats. Pourtant la majorité des électeurs et électrices inscrit·es ne se sont pas rendu·es aux urnes, que cela soit pour participer au boycott du scrutin comme appelé par plusieurs formations politiques ou pour d'autres raisons. Au total, 69,4% des inscrit·es se sont abstenu·es. 

À l’inverse, si l’on prend en compte l’abstention dans le calcul des résultats du référendum, seulement 28,1% des inscrit·es ont voté pour le “oui”, ce qui signifie que 71,9% des inscrit·es sur les listes électorales n’ont pas voté favorablement pour le projet constitutionnel de Kaïs Saïed.

Les votes blancs ne sont pas non plus comptabilisés dans le calcul des pourcentages du “oui” et du “non”, mais pour autant ils ne représentent que 1,99% des suffrages exprimés. Enfin, les votes nuls ne représentant qu’une infime minorité de 17.000 bulletins.

La participation, clé du scrutin

Si la victoire du “oui” était attendue, le taux de participation restait une donnée inconnue. De nombreux partis politiques avaient appelé à boycotter le scrutin, dont Ennahdha, principal formation représentée au parlement avant que ce dernier ne soit gelé, laissant présager une abstention forte. Pour autant, aucun quorum (minimum de participation pour que le scrutin soit considéré comme valide) n’avait été requis pour ce référendum.

Avec 30,5%, le taux de participation au référendum est le plus faible parmi tous les scrutins organisés depuis 2011. Jusque là, ce titre revenait aux élections municipales de 2018, lors desquelles seulement 33,7% des inscrit·es avaient pris part au vote.

Avant le scrutin, l’ISIE a pris la décision d’inscrire automatiquement les citoyen·nes en âge et droit de voter sur les listes électorales, soit un total de 9.278.541 personnes. C’est le plus grand nombre d’inscrit·es sur les listes électorales d’un scrutin depuis la révolution, juste devant les élections de l’Assemblée constituante de 2011 pour lesquelles 8.289.924 citoyen·nes s’étaient enregistré·es.

Pour analyser la participation, il est donc aussi intéressant de regarder le nombre total de votant·es aux élections : 2.830.094 personnes ont pris part au vote, ce lundi 25 juillet 2022. Avec cette donnée, le référendum n’est plus le scrutin à la participation le plus faible. Il reste toutefois second derrière les municipales de 2018 mais s’approche des dernières élections, les législatives de 2019, qui avaient rassemblé 2.946.628 votant·es.

Les résultats du projet constitutionnel de Kaïs Saïed similaire à ceux de son élection en tant que président de la République

Au final, bien que le taux de participation reste faible tout comme le nombre total de votant·es, Kaïs Saïed a réuni un nombre de personnes en faveur de son projet assez proche du nombre lui ayant permis d’accéder à la présidence de la République lors du second tour des élections de 2019. Lors de ce scrutin, il avait recueilli 72,7% des suffrages exprimés.  

Les détails du scrutin du 25 juillet, au cours de la journée et à travers le pays

Pour le référendum constitutionnel de 2022, l’ISIE a pris la décision de maintenir le scrutin ouvert jusqu’à 22h, à l’exception des bureaux de vote à l’étranger qui fonctionnaient selon des horaires propres ainsi que quelques bureaux sur le territoire national fermés plus tôt.

Au cours de la journée du 25 juillet, des estimations de la participation ont été communiquées par l’Instance, permettant de comparer aux scrutins des années précédentes pour lesquelles de telles informations sont disponibles.

Le 27 juillet 2022, l’ISIE a publié des données par gouvernorat permettant de se rendre compte de certaines dynamiques régionales. L’amplitude du taux de participation par gouvernorat va de 38,6% à Monastir, gouvernorat où les citoyen·nes se sont le plus déplacé·es aux urnes, à 11,1% à Tataouine où ces dernier·es se sont largement abstenu·es.

Le gouvernorat du Sahel qui a enregistré le plus haut taux de participation est le second en termes de proportion de vote pour le “oui” alors qu’à l’inverse, Tataouine, le gouvernorat où le taux de  participation a été le plus faible est aussi celui où le “non” a été le plus fort.

De manière similaire à Tataouine, le gouvernorat limitrophe de Medenine a enregistré le second taux le plus faible de participation (17,6%) ainsi que le 3ème plus haut taux de “non” (7,1%).

Des résultats contestés

Les premiers résultats par gouvernorat publiés par l’ISIE le 26 juillet ont été entachés de graves erreurs de cohérence, comme repérées par plusieurs observateurs et observatrices sur les réseaux sociaux. Le lendemain, l’Instance a publié de nouveaux chiffres précisant que ces derniers étaient bien “corrects”.

Amor Boussette, le chef de cabinet ainsi que les responsables de la salle des opérations et la coordinatrice régionale de Ben Arous, ont été limogé·es, a annoncé Maher Jedidi, vice-président de l'ISIE.

Face à ce couac, plusieurs organisations ont manifesté leur scepticisme par rapport aux résultats. Mourakiboun a demandé à ce que les résultats par bureau de vote soient rendus publics par l’Instance, à travers un fichier Excel. Tout en affirmant avoir repéré des irrégularités dans 25 des 33 circonscriptions de vote, lors du scrutin, I Watch appelle quant à elle à un recompte des votes.

L’ISIE a rappelé que les résultats publiés étaient “préliminaires et susceptibles de recours devant l'autorité judiciaire compétente, seule habilitée à statuer sur leur validité”.