Ons Jabeur, porter la Tunisie au sommet du tennis

A 27 ans, Ons Jabeur est la deuxième meilleure joueuse de tennis au monde. Elle cumule les titres internationaux, faisant d'elle la première femme tunisienne et arabe à atteindre le plus haut niveau du tennis mondial. inkyfada revient sur son parcours qui l'a mené de Monastir au sommet du tennis. 
Par | 02 Juillet 2022 | reading-duration 12 minutes

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Ons Jabeur enchaîne coup droit, revers face aux regards admiratifs de Serena Williams. Les extraits du match deviennent rapidement viraux sur les réseaux sociaux. La légende américaine du tennis a choisi de faire son retour à la compétition en double avec la tenniswoman tunisienne lors du Tournoi d'Eastbourne en Angleterre. “C’est un honneur [...] qu’une joueuse comme Serena Williams décide de faire son retour à mes côtés, cela prouve qu’aujourd’hui je suis une figure qui compte sur le circuit”, se réjouit Ons Jabeur dans une interview accordée à inkyfada.  

Depuis ses 17 ans, Ons Jabeur cumule les titres de “première”. Première tunisienne et arabe à remporter la finale de Roland-Garros Junior, à atteindre le top 100 mondial, puis le top 50, et enfin le top 10.  Le 7 mai 2022, Ons Jabeur rentre un peu plus dans l’histoire en remportant le Mutua Madrid Open, son premier titre en tournoi WTA 1000.

Après une défaite lors de son premier match à Roland-Garros, quelques semaines plus tôt, alors qu’elle était annoncée favorite, Ons Jabeur dispute cet été son “Grand Chelem préféré”, celui de Wimbledon. 

Le parcours d’Ons Jabeur raconte l’histoire d’un rêve d’enfance, de persévérance et d’une ambition familiale. Si elle est aujourd’hui au sommet du tennis mondial, elle n’a pas toujours été aussi soutenue qu’elle ne l’est désormais. 

Le tennis : un amour précoce

Le 12 mai 2022, le match de Ons au tournoi de Rome s’apprête à commencer. Dans la maison familiale à Sousse, Samira Hachfi se prépare à regarder sa fille jouer. Son mari, Ridha Jabeur a l’habitude de suivre le score sur son téléphone. “Il ne veut pas l’avouer mais il stresse”, plaisante Samira. Certains membres de la famille arrivent les un·es après les autres, “toute la famille est là pour regarder Ons jouer”, se réjouit son oncle.  

Dans la famille de Ons Jabeur, l’amour du sport se transmet de mère en fille. Alors qu’elle n’avait qu’un an et demi, Ons regardait sa mère Samira, amatrice de tennis, jouer avec ses amies à Monastir. “Et c’est de là qu’elle a aimé la balle. Elle courrait, et ramassait les balles”, décrit son père. La petite fille donnait même des conseils techniques : “Elle disait à sa mère : ‘Pourquoi tu n’as pas gagné ? Tu aurais pu la gagner celle-là”, raconte Ridha, amusé.  

Tennis, conservatoire, natation ou danse, les parents de Ons Jabeur encouragent très tôt leurs enfants à pratiquer des activités extra-scolaires. “Je pense que pour être équilibré, il ne faut pas penser qu’aux études. Il faut qu’un enfant puisse s’épanouir. [...] lorsque Ons avait trois ans, elle avait déjà choisi le tennis”, déclarent les parents de la tenniswoman.  

Ons Jabeur avec ses médailles et ses trophées.
Ridha Jabeur, père de la tenniswoman, montre des photos d'archive.
La joueuse tunisienne avec ses amies lors d'un tournoi de tennis

“Elle me montrait comment elle tapait fort la balle" raconte Nabil Mlika dans une interview accordée à inkyfada, “elle refusait de jouer avec les balles en plastique [adaptées aux enfants]".

Nabil entraîne Ons pendant 10 ans, d’abord au Centre de Promotion, un club de tennis créé au sein de l’école primaire Trik El-Chatt, et ensuite au club de Hammam Sousse. Ce dernier ne compte qu’une cinquantaine de joueur·ses et ne dispose d’aucun terrain. Ons s'entraîne donc sur les terrains des hôtels voisins. 

À l'âge de six ans, Ons commence à jouer dans des tournois locaux dans l’équipe des Lutins (moins de sept ans). Elle est alors la seule fille de l’équipe. Les années suivantes, elle trouve une adversaire à sa taille : Nour Abbes. “Elle était la joueuse la plus difficile pour Ons”, se remémore Nabil. Plus âgée qu’elle, Nour est classée quatrième puis première au niveau national. Mais petit à petit, Ons renverse la situation à son avantage.

“Ons évoluait dans le tableau supérieur parce que celui des poussins lui semblait très facile”, raconte Nabil.
Nabil Mlika, premier entraîneur de Ons Jabeur au club de Hammam-Sousse

Très tôt, Ons prend l’habitude de se déplacer partout en Tunisie, et même à l’étranger pour jouer dans des tournois. Généralement accompagnée par sa mère, elle doit parfois s’y rendre juste avec son entraîneur. C’est le cas en 2008 lors du tournoi des Petits Ducs en France. En préparant la valise de sa fille, Samira Hachfi hésite sur le nombre de tenues à mettre. “Ils m’ont dit qu’il n’en fallait que deux ou trois, parce qu’elle n'avait pas de classement. Ils pensaient qu’elle allait jouer deux matchs et revenir en Tunisie”. Sa fille finit par en jouer onze et remporter le tournoi. La jeune tenniswoman se retrouve à laver ses tenues à la main chaque soir.  

En grandissant, jongler entre sport et étude devient difficile. “J’ai vu qu’elle s’éloignait un peu du tennis et ne pouvait plus s'entraîner suffisamment,” se souvient Nabil. Il lui conseille donc de continuer son parcours scolaire au lycée sportif d’El Menzah à Tunis.  

Dans ce lycée pour athlète de haut niveau, les horaires des études sont aménagés en fonction des entraînements. “Cela permet aux sportifs de s'entraîner. Même quand elle s’absentait pour les compétitions, elle faisait des heures de rattrapage”, décrit Ridha. “Elle révisait son bac dans les avions”, se souvient une cousine.

Ons est révélée au grand public à 16 ans lorsqu’elle remporte le tournoi de Roland-Garros junior en 2011. Cinq ans plus tôt, à neuf ans, elle avait promis à sa mère qu’elle lui ferait boire un café à Roland-Garros. “C’est désormais chose faite”, se réjouit Samira. “On n’y croyait pas autant. C'était si loin”, admet Nabil Mlika.  

Cette victoire sur terre battue représente un moment charnière dans sa carrière, mais aussi pour le tennis en Tunisie.   

“Il y a eu une explosion. L’attention des Tunisiens pour le tennis a commencé à être plus forte”, confirme l'entraîneur. “On a commencé à y croire aussi, à croire qu’un Tunisien pouvait y arriver”.

11 ans plus tard, en entrant sur le court Philippe Chatrier pour son premier match du tournoi de Roland-Garros 2022, Ons Jabeur était annoncée favorite par la presse tunisienne comme internationale. Après avoir remporté le tournoi de Madrid deux semaines plus tôt, elle semblait bien positionnée pour gagner le Grand Chelem français dont elle rêve depuis son enfance. Mais face à son adversaire polonaise Magda Linette, la joueuse tunisienne s’incline en trois sets. Malgré cette défaite, la joueuse s’est rapidement affichée positive, “C’est évidemment une grande déception. [...] Cela n’efface rien des résultats des dernières semaines et on va de l’avant”, a-t-elle déclaré à inkyfada.

Photos d'archives de Ons Jabeur.

L’argent, pierre angulaire du sport

Après 2011 et sa victoire, la famille de Ons Jabeur ose l’imaginer jouer chez les professionnel·les. Elle rejoint alors l’académie de Justine Hénin en Belgique, ex-première mondiale. Mais d’après Nabil, elle ne trouve pas dans cette expérience ce qu’elle était venue chercher selon Nabil. “C'est une académie pour gagner de l'argent. [..] ce n’est pas l'objectif sportif qui prime”, décrit-il.

Passer du niveau “junior” au "professionnel" exige des moyens financiers conséquents. Il faut pouvoir assurer le financement des transports, des tournois au quatre coins du monde, des hôtels mais aussi de toute l’équipe technique de l’athlète. “Un coach coûte environ 2000 euros par semaine”, indique Ridha à titre d’exemple. La victoire d’Ons au tournoi junior de Roland-Garros n’est pas suffisante pour garantir assez de sponsoring et de soutiens. Alors pour réussir, la sportive doit compter sur le soutien de ses proches “c’était compliqué mais la famille s’est cotisée pour l’aider”, explique son père.

Si aujourd’hui elle peut relativement compter sur le soutien de la Fédération, du ministère de la Jeunesse et des Sports ainsi que des sponsors, ce n’était pas le cas au début de sa carrière. ”On ne croyait pas qu’elle allait percer sur le plan international, c’est pour ça qu’il n’y avait pas beaucoup de soutien”, se souvient son père. “C’est elle. Elle a toujours crû en elle-même”, complète Samira.

Au fur et à mesure de l’évolution de sa carrière, Ons Jabeur gagne de plus en plus de succès. En 2017, elle rentre au top 100 du classement des meilleures joueuses mondiales. Elle signe alors un “contrat objectif” avec le ministère de la Jeunesse et des Sports dont le montant augmente en fonction des résultats atteints. Ce type de contrat est “destiné aux super élites, aux grands champions”, explique Mohammed Ali Ben Hassine, chargé des programmes des équipes nationales, au sein de la direction des sports d’élite. Elle reçoit ainsi 100.000 dinars la première année, mais ce montant est réduit de moitié l’année suivante en raison d’une baisse dans le classement. A l’époque, Ons Jabeur s’était exprimée pour dénoncer ce contrat qui couvrait selon elle moins de 10 % de ses dépenses.

“Quand elle réussit, ils sont toujours là avec des fleurs pour prendre des photos. Quand elle perdait ou qu’elle régressait, ils n’étaient pas là, même pas pour l’encourager avec un petit mot”, dénonce son père

La même année, en octobre 2018, à la suite du tournoi de Moscou où elle arrive en finale, son préparateur physique et mari reçoit une lettre lui indiquant qu’il est affecté à un autre poste. Ons Jabeur s’oppose à cette décision lors d’une émission sur la radio Mosaique FM .

“Que veulent-ils ? Que j’aille me chercher un nouvel entraîneur étranger, sans qu’ils ne m’accordent de subventions,” s’indigne-t-elle.

Même au niveau de la fédération de tennis, la coopération n’a pas toujours été simple selon Ridha, “C’était infernal de traiter avec la fédération, avec les responsables, la paperasse..”, explique-t-il, avant de préciser : “C’était avant, la situation s’est améliorée, surtout avec la nouvelle présidente”. 

Aujourd’hui, cette question financière est plus facile à gérer. Son contrat de 2021 avec le ministère de 2021 a atteint 450.000 dinars. La tenniswoman peut aussi compter sur des sponsors bien plus nombreux qu'auparavant. “Quand il y a une étoile brillante, tout le monde veut se faire voir avec, donc les sponsors sont devenus plus actifs”, commente Mlika. Avec Tunisie Telecom comme sponsor, Ons est devenu le visage d’une des campagnes publicitaires de l’entreprise.

Campagne de publicité de Tunisie Telecom, l’un des sponsors de Ons Jabeur.

Un sport en voie de développement

À travers sa réussite, Ons Jabeur veut œuvrer pour la démocratisation du sport, et en particulier du tennis en Tunisie. Pour Salma Mouelhi, la présidente de la Fédération tunisienne de Tennis, le constat est sans appel. “Il y a beaucoup de retombées, sur le plan du développement du tennis, du nombre de licenciés, du nombre de pratiquants” détaille-t-elle. Elle indique aussi que le pays a doublé son nombre de licencié·es en deux ans, passant de 10.000 à 20.000, voire même 30.000 selon d'autres sources. Pour la première fois dans l’histoire du pays, un tournoi international féminin WTA 250 sera organisé en octobre 2022 à Monastir.

Son club d’enfance de Hammam-Sousse, qui s’est développé de façon exponentielle, illustre bien ce phénomène. Il compte aujourd’hui plusieurs terrains et 700 adhérent·es. “Les clubs sont bourrés de jeunes ces dernières années et c’est certainement grâce à la réussite de Ons ! Maintenant, toutes les familles croient que c’est possible, donc ils amènent leurs enfants”, s’enthousiasme Nabil.

Pour son entraîneur, Ons Jabeur est une pionnière dans le domaine du tennis en Tunisie. “Nous n’avons pas la tradition du tennis” considère Nabil Mlika. “Nous n’avons pas de guide dont on peut suivre le chemin. Donc elle tentait des chemins qu’elle trouvait. Parfois ils étaient justes, parfois non.”

Ons Jabeur prend à cœur son statut de modèle. “Elle a toujours dit qu'elle était un ‘produit 100% tunisien’. Elle est convaincue qu’elle doit inspirer les jeunes et pas seulement dans le sport”, explique son père. Nabil Mlika le constate au quotidien pendant ses cours de tennis. Il utilise souvent Ons comme exemple “pour convaincre [ses] joueurs de l'utilité d'un geste ou d'une tactique”, dit-il avec un grand sourire. Lorsqu'elle est de retour en Tunisie, Ons Jabeur ne manque pas de rendre visite à son club d’enfance qui d’ailleurs a renommé son terrain préféré en son nom. “C'est une fierté d'avoir eu la chance de vivre ces moments avec elle”, se souvient son ancien entraîneur, les larmes aux yeux.

“Je tiens vraiment à être source de grandes motivations pour les Tunisiens et le monde arabe, et notamment les jeunes filles. Lorsque je passe par des moments difficiles sur le court, je pense régulièrement à cet enjeu, cela me donne une force indescriptible”, raconte Ons Jabeur.
Court “Ons Jabeur” au club de tennis de Hammam-Sousse.

Au niveau national, Salma Mouelhi, la présidente de la Fédération de tennis, souhaite aller plus loin et faire du tennis le deuxième sport le plus pratiqué, après le football. Pour aller dans ce sens, un centre international de tennis devrait voir le jour dans les prochaines années d’après les officiel·les. Ce projet a notamment pour but de répondre aux besoins d’une infrastructure “un peu défaillante” comme l’admet la présidente de la Fédération. Selon elle, c’est donc “le moment ou jamais”. "Je souhaite que les institutions puissent se saisir de cette superbe opportunité pour le sport tunisien, en accélérant la construction d’infrastructures et en permettant ainsi l’accès à la performance au plus grand nombre", confirme Ons.  

Plus généralement, le ministère de la Jeunesse et des Sports vise à mettre en place des projets pour favoriser l’accès au sport amateur et d’élite. Six nouveaux lycées sportifs devraient ainsi voir le jour à différents endroits du pays. 

Interrogé par inkyfada, le ministère des Sports estime cependant que la démocratisation du tennis a ses limites. En Tunisie comme ailleurs, “le tennis ou le golf sont considérés comme des sports de bourgeois”, déclare Mohamed Ali, de la direction des sports d’élite. D’autant plus que “dans les questions de budget avec le gouvernement, vu la situation financière du pays, on parle de tout sauf du sport”, admet le chef de service au sein de la direction des sports d'élite, Nizar Sfaxi.

Une porte-drapeau

“C’est la ministre du bonheur”, répète son père en souriant. Elle “représente la Tunisie dans le monde entier, elle exporte la réussite tunisienne”, explique Ridha. “Elle a des fans internationaux, partout dans le monde, même en Chine !”, s'exclame Samira.

Pendant ses tournois, Ons clame souvent son amour pour son pays, faisant ainsi la promotion de la Tunisie partout dans le monde. “Ce qu’elle fait pour la Tunisie, le ministère du tourisme ne le fait pas”, admet Mohamed Ali, du ministère des Sports. Salma Mouelhi la qualifie quant à elle “d’ambassadrice” qui “véhicule une très belle image de notre pays, et nous en avons besoin ces dernières années”.

En juillet 2021, alors que le pays traversait une grave crise sanitaire, Ons Jabeur a annoncé mettre en vente la raquette de tennis avec laquelle elle avait atteint les quarts de finale du tournoi de Wimbledon. “Je ne peux pas rester là à regarder mon pays traverser des situations difficiles. Cet argent servira à acheter des médicaments et équipements médicaux nécessaires”, affirmait-elle sur instagram. En vendant cette raquette et une autre ensuite, la sportive a récolté 75 000 dinars.

D’après sa famille, cet attachement à son pays d’origine se traduit aussi dans ses choix professionnels. À l’adolescence, Ons Jabeur avait ainsi reçu une proposition pour s’entraîner en Australie : un budget, un entraîneur, etc. Mais la joueuse refuse. "Ma mère c’est la Tunisie, je ne peux pas la changer”, rapporte Ridha.

Ons Jabeur s’est alors entourée d’une équipe majoritairement tunisienne, et s'entraîne toujours en Tunisie. Un fait rare au haut niveau selon la présidente de la Fédération tunisienne de Tennis : “si on compare avec d'autres joueurs africains, ils ne sont pas installés dans leurs pays”.

Après quelques expériences à l’étranger, Ons Jabeur a en effet décidé de revenir en Tunisie. Elle explique ce choix par le manque du pays “je devais revenir auprès de mes racines pour optimiser ma progression” mais également en raison des techniques d'entraînement.

“J’ai également pu me rendre compte qu’à l’étranger, plusieurs coachs ont tenté de standardiser un peu mon jeu,[...] En Tunisie, mes entraîneurs ont toujours su adapter leurs consignes à ma personnalité qui se retranscrit sur mon jeu”, estime la joueuse.
Court Ons Jabeur au club de tennis de Hammam-Sousse.

Ce choix n’a pourtant pas fait l’unanimité. Pour certain·es, son entraîneur Issam Jalleli et son préparateur physique et mari, Karim Kamoun, n’ont pas assez d’expérience. Nabil Mlika raconte que ses détracteurs estiment qu’elle devrait “trouver des entraîneurs plus reconnus, qui ont travaillé avec des grands joueurs”.

Pourtant, ces mêmes entraîneurs “l’ont amené à ce niveau-là”, rappelle-t-il. Pour son père, les reproches émanent de personnes qui “n’ont pas cru aux capacités des Tunisiens”, Ons Jabeur a ainsi “voulu changer cette mentalité”.

Si Ons Jabeur semble prendre à cœur son rôle de porte-drapeau, il représente aussi une pression. “C’est très difficile et toujours stressant, mais elle est déterminée", précise Ridha. Elle a appris à mieux gérer ce stress grâce à sa coach mentale. Mélanie Maillard, psychologue et préparatrice mentale, la suit par correspondance ou sur les tournois depuis ses 16 ans.

Le sport et l'enjeu politique 

Son succès apporte aussi son lot d’aspects négatifs. Ons Jabeur subit régulièrement des commentaires sexistes. Jugées trop courtes ou trop moulantes, ses tenues sont scrutées et ce, dès sa victoire à Roland-Garros en 2011 jusqu’à aujourd’hui. “En tant que sportive de haut niveau, je sais que les recevoir fait partie du métier, donc je préfère les ignorer”, commente-t-elle.

Elle fait aussi l’objet de reproches politiques. En février 2020, Ons Jabeur s’est opposée sur le court à la joueuse israélienne Katic Vlada lors de la Fed Cup à Helsinki. Ce match, remporté par Ons Jabeur, n’a pas manqué de faire polémique. Le même jour, un deuxième match a opposé une autre joueuse tunisienne, Chiraz Bechri, à une joueuse israélienne, Lina Glushko. Le lendemain de la rencontre, le ministère des Affaires étrangères publie un post sur les réseaux sociaux condamnant ces rencontres. “Toute forme de relation avec l'entité sioniste, même s'il s'agit de rencontres sportives, est rejetée", est-il écrit sur le post qui qualifie la rencontre de “violation des engagements et obligations historiques de la Tunisie envers la cause palestinienne".

Pourtant, pour les parents de Ons Jabeur et la Fédération de tennis, le ministère savait que ce match pourrait avoir lieu.

“C’est de la lâcheté. L’ordre de mission a été signé par le ministère, et ils savaient qu’il y avait Israël dans le pool”, déclare le père de Ons. Cette position est également défendue par la Fédération tunisienne de Tennis. “Nous n’avons pas eu de réponse, donc bien sûr nous avons joué”.

“Une sportive doit défendre le drapeau de son pays et non pas se retirer”, explique Ridha. “Moi je l’ai encouragée, je lui ai dit: tu joues et tu la bats. Qu’on puisse vaincre Israël au moins dans le sport”. Là encore, la Fédération est du même côté. “Le sport est apolitique pour moi. Il ne faut pas mélanger ça. Elle a été critiquée par des personnes qui ne connaissent pas le tennis”, déclare Salma Mouelhi.

Ons Jabeur défend elle aussi une vision apolitique du sport : “Je préfère ne pas me mêler des sujets politiques. Je reste une joueuse de tennis professionnelle, je ne suis pas apte à me positionner sur ce sujet. Faire gagner et rayonner la Tunisie, c’est ce qui m’importe”.

Au sein de la direction des sports d’élite rattachée au ministère de la Jeunesse et des Sports, la question crée le malaise. “Il n'y a pas une politique claire, c'est un peu flou”, admet Mohamed Ali. Ce genre de décision se prend au cas par cas. Avant, cette décision dépendait du résultat visé. “Il y a eu un directeur général des sports qui disait -si tu es contre un athlète israélien et que tu es sûr de le battre vas-y, sinon on se retire”, explique Nizar Sfaxi. Ce n’est effectivement pas la première fois que le monde du tennis fait face à cette question. En 2013, la Tunisie avait été bannie de la Coupe Davis pendant un an par la Fédération internationale de Tennis car cette dernière avait demandé au tennisman Malek Jaziri de ne pas jouer contre un athlète israélien.

Des chemins de terres battues

Pour continuer d’inspirer les générations futures, Ons Jabeur envisage de monter une académie de tennis, à l’image de l’académie de Justine Henin en Belgique. “Je suis convaincue que cette académie donnerait des chances supplémentaires aux jeunes Tunisiens pour atteindre des objectifs plus ambitieux”, explique-t-elle.

Elle a fait pour cela une demande de terrain auprès de l'État. “Il faut que le gouvernement l’aide, car une académie, c’est beaucoup d’argent”, soutient la présidente de la fédération de tennis. Ons a ainsi ouvert le champ des possibles pour une nouvelle génération de joueur.ses de tennis et ne compte pas s’arrêter là. “Je n’ai pas de date précise, mais cette idée est une de mes priorités lorsque ma carrière sera terminée.”