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Bayrem, étudiant et monteur pour la télévision, 1762,5 dinars par mois, une stabilité précaire


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27 Mars 2022 |
Bayrem est arrivé en Tunisie grâce à une bourse d’étude. En plus de son master, il est monteur vidéo pour une télévision étrangère. Mais alors qu’il devrait toucher 2000 dinars par mois, les diminutions de salaires et les retards chroniques le mettent en difficulté. 

“L’argent est devenu une obsession.” Ces derniers mois, Bayrem est particulièrement préoccupé par sa situation économique. Depuis novembre 2021, il n’est payé que 80 % de son salaire, soit 1600 dinars, à cause de problèmes politiques dans son pays d’origine. 

Arrivé il y a deux ans en Tunisie pour effectuer un master, il est en parallèle monteur vidéo pour une télévision étrangère. Ce travail et sa vie ici lui apporte une certaine sécurité, mais il a du mal à s’y retrouver financièrement. “C'est difficile d'économiser de l'argent. Si vous économisez pendant deux mois, vous aurez toujours quelque chose à payer le troisième mois, c'est comme un jeu. Le troisième mois, c’est le boss final", plaisante-il. 

D’habitude, avec 2000 dinars, Bayrem vit assez confortablement. Cette baisse de rémunération le met en difficulté, d’autant plus que les retards de versement sont fréquents. 

Voici un aperçu de ses sorties et entrées d’argent mensuelles :

En 2018, Bayrem part en Chine pour un voyage professionnel. Sur place, il fait la connaissance de jeunes d’une vingtaine d’années. "Ils et elles parlaient espagnol, arabe, anglais… ils et elles avaient un master et avaient voyagé au Soudan, en Egypte, en Syrie… J’ai juste un bachelor, je n’ai pas de master ou de doctorat”, raconte-t-il.

Inspiré par ces rencontres, il cherche à partir à l’étranger pour poursuivre ses études. Il hésite d’abord entre plusieurs pays, la Chine, la Grèce.. mais il arrête son choix sur la Tunisie car il peut bénéficier d’une bourse d’étude. 

Lorsqu’il est accepté, il contacte une ancienne collègue, elle aussi venue en Tunisie quelques années plus tôt. La première question qu’il lui pose reflète déjà ses préoccupations économiques : “je lui ai demandé si mon salaire serait suffisant”. Il savait qu’avec sa rémunération il n’aurait pas la même qualité de vie que dans son pays d’origine. Il pouvait par exemple se permettre de voyager à l’étranger. Ce n’est plus le cas depuis qu’il vit en Tunisie.

Même en sachant cela, il décide de venir s’installer.  “Ma collègue m’a dit de venir finir mes études ici, car l’éducation tunisienne est très bonne. C’est une chance."

"Je dois beaucoup étudier pour avoir un bon avenir. J'espère changer ma vie pour le mieux en Tunisie, même si la vie y est difficile." 

Bayrem vit seul dans un quartier agréable de Tunis et voit régulièrement sa petite amie. Il a d’abord habité dans un quartier populaire pour un loyer de 350 dinars. Mais l’appartement était insalubre.

Il a donc décidé de déménager. “Je suis allé dans un autre quartier, pas parce que je voulais être avec la haute société. Mais dans l'autre appartement nous n'avions pas d'eau chaude et les toilettes étaient en très mauvais état”, détaille-t-il.

Il finit donc par trouver l’appartement dans lequel il vit toujours,  ”avec de l’eau chaude, un climatiseur et plus de sécurité”. Presque deux fois plus cher, mais plus sécurisant. Sauf que depuis la diminution de son salaire, il peine à payer son loyer de 600 dinars. 

Il en est de même pour ses frais de transport : son bureau et l’université sont à des endroits opposés de Tunis. Lorsqu’il a de l'argent, il part en taxi et rentre parfois avec sa petite amie qui a une voiture ou avec celle de son travail. Mais il doit parfois travailler plus tard. “Si je n’ai pas dix dinars pour rentrer de mon travail le soir, je ne demande pas à quelqu’un de venir me chercher. Je vais au centre-ville, puis je prends un bus à 1 dinar jusqu’à chez moi. Mais ce trajet dure trois heures.”

Voici le détail de ses dépenses et revenus mensuel·les :

Bayrem a plusieurs autres dépenses obligatoires en plus du loyer, du transport et des factures habituelles. Il doit compter dans son budget les 150 dinars de sa carte de séjour annuelle ou encore ses frais de scolarité de 300 dinars par année scolaire. Le retrait de son salaire, versé en monnaie étrangère, lui revient également assez cher vu les frais de transfert bancaire. 

En ce qui concerne ses loisirs, Bayrem aime par exemple faire la fête avec ses ami·es. Il aime se faire plaisir lorsqu'il le peut, mais il n’est pas un “gaspilleur”, précise-t-il à plusieurs reprises. 

Pendant les vacances, il voyage un peu en Tunisie et est allé à la plage plusieurs fois avec sa petite amie. "J’ai passé un bel été l’année dernière. Je suis allé à Bizerte, Hammamet”, raconte-t-il avec enthousiasme. Avant, il raconte que ses principales occupations étaient les jeux vidéos et les matchs de foot. En Tunisie, il s'est découvert de nouveaux loisirs : “la plage, les nuits d’été, un mode de vie différent”, énumère-t-il.  Il n’avait jamais vu la mer avant d’arriver en Tunisie, “j’ai nagé dans la mer pour la première fois ici”. 

Depuis son arrivée en 2020, Bayrem n’est retourné qu’une seule fois dans son pays d’origine, grâce à son père qui lui a payé le billet d’avion. Mais le jeune homme pense qu’il n’aura pas la possibilité d’y retourner avant longtemps. 

“Ces prochaines années, je ne vais pas pouvoir rendre visite à ma famille. J’espère qu’elle ne traversera pas des moments difficiles comme un décès ou une maladie, car je n’ai pas d’argent pour y aller.”

De plus, les problèmes politiques dans son pays ne facilitent pas les choses. Bayrem explique qu’il se sent beaucoup plus libre et en sécurité en Tunisie.

 Zone grise

Entre la baisse de ses revenus et le versement aléatoire de son salaire, Bayrem a parfois besoin d’emprunter de l’argent à certain·es de ses proches. Il essaie au maximum d’éviter cela, mais il attend toujours son salaire de février pour payer sa facture d'électricité, dont le montant s’élève à 300 dinars.  

Il compte ainsi avant tout sur sa famille et sa petite amie insiste souvent pour lui donner de l’argent “parce que quand nous sommes ensemble, elle voit ce dont j’ai besoin. Mais sinon, je ne lui demande pas”. En revanche, il refuse de demander à ses autres amis tunisiens.

“Ici, en Tunisie la situation est trop difficile. Je ne peux pas demander à des amis de me donner 100 ou 200 dinars.”

Sa santé est aussi affectée par cette situation précaire. Son assurance maladie, qui est étrangère et automatiquement déduite de son salaire, ne fonctionne pas en Tunisie. Dans les mois les plus difficiles, il fait une croix sur les frais de santé et refuse que ses amis les paient pour lui. “Pour être honnête, ce mois-ci, j’ai eu deux fois la grippe. Je n’ai pas l’argent pour aller chez le médecin et je ne l’ai pas dit à mes proches."

En plus de ces problèmes de rémunération, le jeune homme dénonce également ses conditions de travail. A l’origine, les employeurs lui avaient promis un CDI et des primes régulières. Dans les faits, depuis son embauche en 2016, Bayrem enchaîne les CDD d’un an. “Et pour les primes… Je n’ai touché que 20 dollars en six ans. C’était la première année”, dit-il. 

Futur

“Je n’ai pas le temps pour un deuxième emploi", explique-t-il. Ces prochains mois, en plus de son travail, il doit les dédier à son mémoire de master. Et même s’il admet vouloir quitter son travail, celui-ci lui laisse assez de flexibilité pour étudier. En ce sens, ses conditions de travail sont assez bonnes, “Ils ne me demandent pas d’aller au bureau tous les jours. Si le travail est fait, il n'y a pas de problème”.

Bayrem rêve de fonder une société de film documentaire. Mais avant cela, il veut continuer ses études en Tunisie. “Je veux avoir un doctorat en cinéma ou journalisme, pas parce que je veux être professeur, mais parce que c’est le seul moyen de donner plus de valeur à mes études. " S’il envisage d’éventuellement quitter la Tunisie afin de travailler et d’économiser de l’argent pour réaliser son objectif, il considère ce pays comme “une terre de possibilités” et se dit “ouvert à toutes les opportunités.”