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Pandora Papers | En fuite depuis 2011, Belhassen Trabelsi poursuit ses activités dans les paradis fiscaux

Trois sociétés au Panama en 2016 et une tentative de récupérer deux autres sociétés aux îles Vierges britanniques en 2012... Belhassen Trabelsi poursuit ses activités dans les paradis fiscaux, alors que la Tunisie demande son extradition. Enquête. 
Par | 28 Octobre 2021 | reading-duration 5 minutes

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Après son compte à la HSBC Genève, crédité de plus de vingt millions de dollars, comme l’ont révélé les Swissleaks, Belhassen Trabelsi refait surface. Dans les Pandora Papers, il apparaît en 2016 comme étant l’unique actionnaire de trois sociétés créées au Panama. En 2012 déjà, les documents des Paradise Papers révélaient qu’un cabinet suisse avait tenté de récupérer deux sociétés créées aux îles Vierges britanniques, dont une qui possède également un compte à la HSBC affichant plus de 2 millions de dollars sur son compte.  

Le frère de Leila Trabelsi, veuve de l’ancien dictateur, était un membre proactif du clan Ben Ali-Trabelsi qui s’est accaparé une bonne partie de l’économie tunisienne avant la révolution*. Depuis 2011, il vit en exil, échappant ainsi à la justice tunisienne. Condamné à plusieurs reprises en Tunisie, Belhassen Trabelsi accumule les crimes financiers. Son nom réapparaît dans les Pandora Papers.

Belhassen Trabelsi au Panama 

Belhassen Trabelsi est mentionné dans six documents parmi les millions de données des Pandora Papers. Trois sont des titres d’actionnariat qui certifient que Belhassen Trabelsi est le propriétaire de trois sociétés différentes, Chinook Portfolio Inc, Grinding International S.A. et Keview Holding Corporation. Les autres sont des comptes rendus des réunions du conseil d'administration de ces sociétés, lors desquelles les certificats ont été émis.

Ces réunions ont eu lieu le même jour, à horaires successifs au matin du 11 janvier 2016, à Panama City. En effet, les conseils d’administration de ces sociétés sont composés des mêmes personnes. Il s’agit de trois ressortissants panaméens, directeurs ou secrétaires de plusieurs autres sociétés, comme de nombreux·ses prête-noms. Ils et elles sont de vraies personnes engagées pour signer pour le compte de sociétés offshore : elles sont désigné·es administratrices ou actionnaires - parfois les deux. Payées pour se présenter comme propriétaires ou gestionnaires d'une société, ces personnes n'ont que peu de responsabilités réelles et généralement aucune relation avec les véritables bénéficiaires.

Un intermédiaire suisse qui ferme les yeux sur ses client·es suspect·es

Les documents révèlent que ces sociétés sont liées à Fidinam, une firme suisse de conseils financiers, fondée à Lugano en 1960. Elle offre des services de “conseils en matière de fiscalité, d'affaires et d'immobilier aux entreprises, aux entrepreneurs et aux particuliers”. Épinglé par une enquête de ICIJ, le cabinet est pointé du doigt pour avoir joué le rôle d’intermédiaire et de facilitateurs auprès de client·es plus ou moins fréquentables. 

La législation suisse prévoit pour les banques des obligations concernant leurs client·es, elles sont obligées de vérifier leurs identités ou s’ils et elles sont exposées politiquement afin de déceler les risques de blanchiment d’argent ou d’activités suspectes. Les cabinets de conseils, en revanche, n’y sont pas soumis, tant qu’ils ne sont pas les gestionnaires de la fortune de leurs client·es.

Avec ses avoirs gelés à l’étranger, de nombreuses condamnations en Tunisie et faisant l’objet d’une demande d’extradition, Belhassen Trabelsi est considéré comme une “personne politiquement exposée” (PPE), selon le jargon employé dans le milieu. Il était une personne considérée “à risque”, selon les réglementations en vigueur dans de nombreux pays et même pour plusieurs cabinets de services offshore. Théoriquement, accepter de gérer les affaires d’une personnalité aussi exposée et sous le coup de sanctions internationales peut entraîner des sanctions à l’encontre des institutions dont il est le client. 

Mais c’est sans compter le géant fiduciaire Fidinam, qui a profité d’une législation favorable en Suisse pour fermer les yeux sur les activités de ses client·es, comme le révèlent les documents fuités et l’enquête menée par ICIJ. Il a notamment continué à faire affaire avec des personnes qui ont fait l’objet de signalements de la part d’autres institutions financières ou des personnes sous le coup de poursuites judiciaires. 

En plus de Belhassen Trabelsi, Fidinam a également permis à son ancien associé Lazhar Sta de récupérer un compte via une société offshore. C’était en 2018. L’homme d’affaires tunisien était alors sous le coup de poursuites judiciaires avant d’être incarcéré en 2019. 

Contacté par ICIJ, Fidinam a refusé de faire des commentaires sur ses clients, invoquant "l'obligation de respecter la vie privée, la confidentialité et le secret des affaires".

Les documents consultés par inkyfada ne permettent pas de savoir si les trois sociétés panaméennes appartenaient déjà à Belhassen Trabelsi avant 2016. Avait-il comme projet d’en faire des sociétés écrans pour détenir d’autres sociétés ou d’autres comptes en banque ? Aucune mention n’est faite non plus sur leur finalité. Mais les documents des Paradise Papers révèlent que Belhassen Trabelsi possédait déjà au moins deux sociétés aux îles Vierges britanniques qu’il ne parvenait pas à récupérer. L’une d’elle possédait un compte à la HSBC. 

Comment le cabinet au cœur des Paradise Papers a refusé de venir en aide à Belhassen Trabelsi

Après la chute du régime, les fonds de Belhassen Trabelsi sont gelés dans de nombreuses juridictions, notamment en Suisse et dans l’Union européenne. Mais le beau-frère de Ben Ali avait déjà tenté de recouvrer une partie de ses avoirs, de manière détournée. Il a ainsi cherché à récupérer une société créée dans les îles Vierges britanniques, Zenade Ressources Limited, détentrice d’un de ses comptes domiciliés à la HSBC.

À partir de 2012, ses avocat·es du cabinet suisse BCCC (aujourd’hui BianchiSchwald) contactent Appleby*, un cabinet britannique basé aux Bermudes et spécialisé dans les montages financiers et l’optimisation fiscale. 

Le but du cabinet suisse était de récupérer deux sociétés dont Belhassen Trabelsi est le bénéficiaire final. C’est ce que montrent plusieurs échanges de mails entre les deux cabinets d’avocat·es.

“[Nous] sommes à la recherche d’un·e collègue aux IVB [îles Vierges britanniques] pour assister un de nos clients avec ses sociétés”, explique Marion H., une des avocates de Belhassen Trabelsi dans son premier mail. “Notre client, bénéficiaire ultime des deux sociétés, est M. Belhassen Trabelsi. Il est le beau-frère de l’ancien Président tunisien de Ben Ali, d’où son statut de PPE. Cependant, c’est un homme d’affaires qui n’a jamais travaillé avec le gouvernement tunisien” , précise-t-elle plus tard. 

Elle détaille aussi la situation : son client est le bénéficiaire final de deux sociétés et l’ancien agent, “TMF”, aurait démissionné parce que son client est une personne exposée politiquement (PEP). Les deux sociétés avaient un directeur à Genève, qui est décédé l’année précédant les mails, et elles sont maintenant considérées comme “gelées”. “Le client a besoin que les entreprises soient "réactivées" le plus rapidement possible. L'affaire est malheureusement urgente”, ajoute l’avocate.

Zenade Ressources Limited et Zenade Finance Limited sont toutes deux domiciliées dans une boîte postale de Road Town, capitale des îles Vierges britanniques. La création de ces sociétés remontent au moins à 2006, comme le montrent les documents de la banque HSBC à l’origine des SwissLeaks. D’après ce même document, un compte en banque lié à Zenade Ressources Ltd a affiché un maximum de 2.837.034$ sur la période 2006/2007.

En fuite depuis janvier 2011, Belhassen Trabelsi ne peut plus accéder à ses avoirs, gelés dans de nombreuses juridictions. En revanche, rien n’indique que le compte de Zenade Ressources Ltd soit concerné par ces sanctions, étant donné que le système de nomination d’administrateurs permet de dissimuler l’identité du bénéficiaire réel. 

Finalement, Appleby ne s’occupera pas d’assister les avocat·es de Belhassen Trabelsi. Après avoir effectué les “vérifications de conflit” pour savoir si le cabinet pouvait traiter avec ce client, la réponse est négative. “Marion, j'ai bien peur que les conflits ne soient pas clairs et que nous ne puissions pas continuer”, répond Sarah M. employée d’Appleby, ajoutant qu’elle peut lui recommander une autre firme qui “pourrait ne pas avoir à refuser”.

À travers ces documents, inkyfada n’a pas pu savoir si Belhassen Trabelsi a fini par récupérer ses sociétés. Discret depuis sa fuite du pays en 2011, il a résidé plusieurs années au Canada avant de disparaître après le refus de sa demande d’asile en 2016. Il refait surface lorsqu’il est interpellé à Marseille en 2019. Brièvement incarcéré en France, il est ensuite remis en liberté, sous contrôle judiciaire. La Tunisie réclame depuis son extradition.