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Mejdi, 26 ans, étudiant tunisien à Paris, précaire et sans revenus


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06 Juin 2021 |
Mejdi débarque à Paris en septembre 2019 avec une valise, 6900 euros, et un poids sur la conscience : pour venir étudier en France, il a dû hypothéquer la maison familiale. Derrière son sens de l’humour et sa bonne humeur, le jeune homme cache une grande fragilité liée à sa précarité financière.

Originaire de Monastir, Mejdi est le dernier d’une fratrie de trois garçons. Ses parents sont tous deux ouvriers, son père dans la distribution, sa mère dans l’industrie textile. 

“Je n’aurais jamais pensé devenir ingénieur, jusqu’au moment où j’ai été diplômé d'ingénierie”, s’amuse-t-il. Doué pour les mathématiques, Mejdi se retrouve en prépa scientifique “un peu par hasard” après son bac. Il s’oriente ensuite vers une école d’ingénieur à Monastir, afin de rester près de sa mère, tombée malade après le décès d’un de ses frères.

Son école propose un double master en partenariat avec une école d’ingénieur française, située en région parisienne, pour lequel Mejdi est sélectionné. Le jeune homme compte sur une bourse pour financer son échange, au vu des revenus modestes de ses parents. Mais malgré son classement en tête de promotion, aucun établissement ne lui en accorde. 

Il s’arrange alors avec un ami de la famille, qui lui prête 5000 euros. Mejdi accepte en échange de lui céder la maison familiale s’il ne le rembourse pas.

"Si cela arrivait, je me sentirais coupable pour toujours”, confie-t-il.

Il rassemble 1900 euros supplémentaires grâce à ses économies personnelles et aux dons de ses proches.

Mais une fois en France, la somme s’évapore à toute vitesse face au coût de la vie parisienne. C’est surtout le paiement des frais d’inscription – 5900 euros – qui met Mejdi en difficulté. Un montant exorbitant, qui s’explique par la hausse des frais de scolarité dans les universités françaises pour les étudiants étrangers depuis 2019. Une stratégie gouvernementale dont le nom, “Bienvenue en France”, laisse de nombreux·ses étudiant·es étranger·es amer·es.

Voici un aperçu de ses entrées et sorties d’argent :

Grâce à une association mettant en relation étudiant·es et particulier·es, le jeune homme parvient à trouver un logement à son arrivée. Puis il déménage à la Maison de la Tunisie, une résidence de la cité internationale, où il vit depuis juin 2020. Son loyer s’élève à 495 euros par mois, un prix quasi imbattable pour la capitale.

Considérant les abonnements téléphonique et de transport comme des dépenses essentielles pour circuler dans Paris, c’est sur son budget alimentaire que Mejdi rogne. 

Les deux premiers mois, il ne dépense pour se nourrir que 25 centimes par jour, prix d’une demi-baguette au supermarché, qu’il mange avec un peu de fromage. “J’ai perdu dix kilos en deux mois”, avoue-t-il.

Il se tourne ensuite vers les Restos du cœur, une association qui distribue des panier-repas gratuits à préparer chez soi. 

Les six mois de stage rémunérés sont alors un soulagement. L’espace de quelques mois, entre juillet et décembre 2020, Mejdi peut manger à sa faim, grâce à son salaire de 1000 euros. Il s’autorise aussi à acheter des cigarettes et des bières, pour évacuer le stress. La moitié du salaire sert néanmoins à rembourser le prêt, ce qui ne lui permet pas d’économiser.

Depuis la fin du stage en janvier 2021, c’est le retour à la vie d’avant : le jeune homme se nourrit de nouveau grâce aux réseaux d’aide alimentaire, même s’il continue à fumer et consommer des bières. “Je ne fume pas parce que j’aime ça, je fume parce que je dois fumer. Je suis un fumeur par obligation”, ironise-t-il.

À cela s’ajoute une nouvelle difficulté : depuis qu’il a demandé à prolonger son séjour en France, Mejdi affirme ne plus recevoir les 180 euros par mois d’APL (Aide personnalisée au logement), destinés à réduire le montant du loyer. Son statut d’étranger le prive des autres aides sociales : certaines, comme le RSA (Revenu de Solidarité active), exigent de satisfaire des critères auxquels le jeune homme ne répond pas. Le voilà donc sans revenu.

Mejdi réduit alors au minimum le reste de ses dépenses. Il consacre quelques dizaines d’euros par mois aux produits d’hygiène. Mis à part pour un aller-retour France-Tunisie, il n’a jamais dépensé pour ses loisirs ou ses vacances. Il est allé deux fois au cinéma gratuitement, profitant de tickets ou d’invitations. En ce qui concerne les vêtements, Mejdi compte sur les deux t-shirts et la paire de basket achetés avant son stage, et les habits rapportés de Tunisie.

Voici un aperçu de ses entrées et sorties d’argent mensuelles :

Zone grise

“La majorité d’entre nous venons de familles modestes. Nous sommes des Ouled el Hafiana, pas des fils de ministres ou de PDG”, considère Mejdi, parlant des jeunes venus faire comme lui leur master en France.

A son arrivée, il a immédiatement cherché un job étudiant. Mais toutes ses candidatures sont restées sans réponse, et la crise sanitaire a encore compliqué la recherche d’un job.

La précarité financière, doublée de la pression de réussir pour ne pas décevoir sa famille, se répercute sur la santé physique et mentale.

“Il y a beaucoup d’étudiants dont la situation est tellement difficile, qu’ils restent dans leur chambre et ne sortent pas. Ils trouvent leur réconfort dans les cigarettes, un peu d’alcool, et une fois qu’ils sont entrés dans le trip de la dépression, dans la drogue”, déplore le jeune homme.

Face aux difficultés financières, Mejdi trouve du réconfort auprès des camarades de sa résidence. Une partie de basket ou de ping-pong, un café partagé, “pour oublier”. 

Futur

Aujourd’hui, le compte de Mejdi affiche un déficit de plus de 700 euros. Le jeune homme se trouve dans une impasse. Il a postulé à une dizaine d’offres d’emploi, mais n’a essuyé que des refus. Or, le temps lui est compté : d’ici le mois de juillet, il doit absolument achever le remboursement du prêt, qu’il a interrompu depuis la fin de son stage. 

Malgré les difficultés, c’est en France que Mejdi voit son avenir, convaincu que sa situation serait pire en Tunisie. Dans sa chambre de 12 mètres carrés, il s’accroche à son rêve : un jour, il fondera sa propre start-up.