"Étrangère dans mon propre pays" : un droit non garanti à la nationalité tunisienne

Malgré une importante réforme du Code de la nationalité tunisienne en 2010, de nombreux obstacles subsistent sur la voie de la revendication de la citoyenneté tunisienne, en particulier pour les personnes nées en dehors de la Tunisie, de mère tunisienne et de père non tunisien. Dans un pays où environ 10% de sa population vit à l'étranger, les conséquences personnelles et politiques de ce système non codifié sont considérables. En clair.
Par | 07 Juillet 2020 | reading-duration 20 minutes

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Au sein du ministère de la Justice, quatre bureaux encombrent une des pièces. Sur chacun d'eux, un écran d'ordinateur et une imposante imprimante. Une fonctionnaire s’affaire au centre, déposant des papiers sur des piles bancales à même le sol.  

Ce bureau est le passage obligatoire pour qui veut revendiquer sa nationalité tunisienne. À l’entrée, les demandeur·ses sont prié·es de rester dans l’embrasure de la porte, par manque d’espace. Ils et elles attendent que la fonctionnaire récupèrent leurs documents familiaux, parfois amassés pendant des années, pour les répartir entre les différentes piles.

Quelques minutes après le dépôt du dossier, un autre fonctionnaire de l’administration remet aux demandeur·euses un post-it faisant office de reçu. À partir de là, le marathon administratif commence. Ils et elles doivent attendre un document officialisant leur droit à la nationalité tunisienne. Si leur dossier est validé, ils et elles peuvent ensuite obtenir un certificat de nationalité, permettant d’avoir un certificat de naissance tunisien, ultime preuve de citoyenneté. Sauf que le calvaire bureaucratique ne s’arrête pas là, il faut parfois attendre plusieurs mois pour obtenir le document définitif de nationalité.

Cette situation est loin d’être exceptionnelle pour les personnes revendiquant leur accès à la nationalité tunisienne à l’âge adulte. Les droits ne sont pas clairement définis, il existe peu de délais légaux et très peu d'informations fiables en ligne. Pour les personnes livrées à leur sort dans ce système opaque - dont a fait partie l'auteure de cet article - inkyfada a compilé les informations nécessaires pour leur présenter les possibilités qui s’offrent à elles et eux.

"TUNISIEN PAR ORIGINE”

L’expression "‘bien sûr que vous êtes tunisienne’ sonne faux à mes oreilles", explique Zaina*, 24 ans, première de la famille à être née à l’étranger, aux États-Unis.

De mère tunisienne et de père non tunisien, le scepticisme de Zaina est justifié. Jusqu'en décembre 2010, date à laquelle le gouvernement a réformé le Code de la nationalité, accordant aux femmes tunisiennes le droit de transmettre leur nationalité de manière indépendante**, Zaina n'était pas considérée comme "tunisienne d'origine", ce qui signifie qu'elle ne possédait pas un droit garanti à la citoyenneté tunisienne. Elle en était parfaitement consciente, ayant été témoin des tentatives de ses parents pour l'enregistrer, elle et son frère, à l'ambassade de Tunisie aux États-Unis, plusieurs années avant la réforme de 2010.

Après ces échecs, Zaina est partagée entre deux sentiments contradictoires. D'un côté, elle éprouve un profond sentiment d’appartenance à la Tunisie, nourri par les nombreux étés passés à Siliana avec sa famille élargie. Elle évoque notamment le palmarès de son grand-père, joueur de l’équipe nationale de football pendant la Coupe du Monde de 1978. Mais d'un autre côté, elle porte en elle "l’impression de ne pas être à la hauteur de la nationalité"... comme si le gouvernement lui avait dit de "rester à l'écart".

Cette dissonance cognitive "s'est manifestée différemment et a grandi avec le temps, surtout après avoir perdu ma mère et rempli le rôle qu'elle avait dans la famille", explique Zaina.

Ce n’est que fin 2019 que Zaina a eu connaissance de la réforme du Code de la nationalité. La nouvelle notion de "Tunisien·ne d'origine" définie par la réforme est, en principe, un pas vers la clarté et la justice. Mais pour une population croissante de la diaspora tunisienne, de nombreux obstacles persistent sur la voie de la revendication de la nationalité : ambiguïté et discrimination récurrente dans le texte du Code, système flou et coûteux pour les personnes majeures et manque d'informations fiables et accessibles au public.

"C'est tristement ironique", dit Zaina, que ni elle ni sa mère n'aient été informées de l’actualisation du Code en 2010. Sa mère est décédée la même année, alors que Zaina n'avait que 15 ans. Aujourd'hui adulte, la jeune femme doit suivre une procédure beaucoup plus compliquée pour obtenir la citoyenneté. N'ayant nulle part où chercher des conseils, elle se demande si elle pourra maintenir le lien avec le pays de sa mère.

"Je sens que ma relation avec la Tunisie est à un stade critique en ce moment, que si je ne fais pas quelque chose pour ma nationalité, elle pourrait se déliter", admet Zaina.

UN OBSTACLE EN MOINS POUR LES MÈRES TUNISIENNES

Le Code de la nationalité actuellement en vigueur a été promulgué peu avant l'indépendance de 1956. Depuis, il a été modifié à plusieurs reprises par le Parlement tunisien. Plus important encore, l'article 6, qui accorde le droit inaliénable à la citoyenneté par filiation, a été modifié en 2010, ce qui a permis aux mères tunisiennes de pouvoir transmettre pour la première fois leur nationalité à leurs enfants. Par la même occasion, l'article 12, qui encadrait le processus de déclaration pour les enfants né·es à l’étranger de mère tunisienne et de père étranger, a été totalement abrogé.

Avant d'être abrogé en 2010, le processus d'acquisition de la nationalité par l'article 12 - appelé "déclaration commune" a joué contre les femmes tunisiennes de plusieurs façons. Selon l'article, cette déclaration exigeait des femmes tunisiennes qu'elles impliquent leurs maris étrangers dans le processus. Ce n'est qu'en 2002 que le gouvernement a créé une exception pour les femmes tunisiennes dont le mari était "décédé, disparu ou devenu juridiquement incapable", auquel cas elles ont pu remplir la déclaration seules, au nom de leurs enfants.

De plus, entre 1973 et 2017, une circulaire du ministère de l'Intérieur a empêché les femmes tunisiennes d'inscrire leur mariage avec un homme non-musulman dans les registres d'état civil tunisiens. Cette circulaire, bien qu'elle ne soit pas techniquement une loi, permettait aux officier­·es d'état civil de refuser les certificats de mariage aux femmes tunisiennes dans les couples de confessions différentes, à moins que l’époux ne se convertisse officiellement à l'islam.

Les demandes d’accès à l’information effectuées par inkyfada en mars 2020 ont poussé le ministère de la Justice à rendre accessibles les données relatives au taux de femmes tunisiennes ayant soumis des déclarations de nationalité pour leurs enfants né·es à l'étranger de pères non tunisiens. Les données montrent une augmentation significative sur près de cinq décennies. Dans le même temps, le processus de déclaration prévu par l'article 12 a été modifié à plusieurs reprises, avant d'être finalement abrogé en 2010. 

LES AMBASSADES COMME PREMIER REMPART

Depuis cette réforme, tous·tes les pères et mères tunisien·nes vivant à l'étranger suivent désormais la même procédure pour transmettre la nationalité tunisienne à leurs enfants. Les parents prennent contact avec l'ambassade la plus proche du lieu de naissance de l'enfant pour obtenir un certificat de naissance tunisien. Ensuite, ils et elles vérifient que le document a été correctement transféré de l'ambassade au système d'enregistrement d'état civil tunisien.

Bien que cette procédure soit simple en théorie, et bien documentée, des Tunisien·nes vivant à l'étranger racontent avoir rencontré des difficultés auprès des ambassades. Le personnel des institutions, laissant traîner les dossiers, met à mal les procédures de demandes de nationalité régies par le temps.

De nombreux parents tunisiens vivant à l'étranger ne savent pas qu’une fois que leurs enfants atteignent l'âge de la majorité, ils et elles doivent passer par un processus bien plus compliqué. Sachant que la procédure n’est pas limitée dans le temps, cela peut prendre des mois, voire des années, avant d’obtenir un résultat.

"J’ai entendu de nombreuses histoires de parents qui font tout ce qu'il y à faire et dont les enfants ne sont pas enregistrés", explique Nidhal, professeur dans le Michigan, aux États-Unis. Il affirme que ses deux enfants né·es aux États-Unis ne seraient pas des citoyen·nes tunisien·nes s'il n'avait pas insisté avec acharnement auprès de l'ambassade de Tunisie à Washington pendant quatre ans.

En jouant de l’anonymat et de la procédure à distance, "ils essaient délibérément de vous faire renoncer", dit-il, se remémorant les questions virulentes qu'il a reçues de divers fonctionnaires. "D'où viennent ces enfants ? Pourquoi ont-ils besoin de papiers tunisiens ?”. Il raconte qu'entre 2014 et 2018, le personnel de l'ambassade a tenté à plusieurs reprises de l'empêcher d'accéder au service. Il a également dû payer des timbres et des enveloppes coûteuses qui ne lui ont jamais été retourné·es.

Pire encore, l’ambassade a fait des erreurs dans le traitement des dossiers et a menti sur le statut des certificats de naissance tunisiens de ses enfants. Après avoir mené sa propre enquête, il affirme avoir découvert que les certificats émis par l'ambassade n'avaient pas été correctement transférés en Tunisie et enregistrés dans les registres d'état civil du pays.

"Imaginez si je n'avais pas fait de suivi. Mes enfants décident de retourner en Tunisie, découvrent qu'ils ne sont techniquement pas des citoyens et doivent faire face à ces problèmes administratifs. Je ne les blâmerais pas s'ils abandonnaient. Mais j’avais peur que l'absence de ces papiers ne mette à mal leur relation et, un jour, celle de leurs propres enfants, avec le pays", dit Nidhal.

Et un des exemples de cette quête de nationalité se trouve dans ma famille. Journaliste à inkyfada, j'ai choisi d'écrire cet article sur la nationalité tunisienne, étant moi-même concernée par ces méandres administratifs.  

Mon père, Khaled, est un exemple de parent qui n'a pas réussi à faire enregistrer un enfant. Au début des années 90, il n'a pas pu faire enregistrer son premier-né, mon frère aîné, auprès de l'ambassade tunisienne la plus proche, à La Haye (Pays-Bas).

Pour ma demande, quelques années plus tard, c’était devenu un voyage émotionnellement éprouvant. "On me disait tout le temps que les formalités étaient en cours, [les fonctionnaires de l'ambassade] étaient injoignables pendant des mois et des mois, puis nous avons déménagé dans un autre pays et c'est devenu plus compliqué".

Après son arrivée aux États-Unis au milieu des années 90, l'ambassade américaine a déclaré qu'elle ne pouvait pas l'aider et qu'il devait s'adresser à l'ambassade de La Haye. "Je ne pensais pas que les choses se compliqueraient encore plus une fois que tu aurais 18 ans", admet Khaled.

En novembre 2019, inkyfada a contacté l’ambassade de Washington afin de connaître le processus pour obtenir la nationalité tunisienne pour les personnes majeures. Le premier secrétaire de l'ambassade, Sami Ben Nsira, a suggéré d'appeler un collègue du ministère des Affaires étrangères à Tunis, qui, selon lui, est "en charge des Américains".

À la question de savoir si des informations étaient disponibles en ligne, il a répondu : "Il y a quelques sites web, je n’ai pas l’information exacte en tête, mais je vais faire quelques recherches et vous envoyer ça par mail la semaine prochaine". Malgré les relances, le représentant n'a jamais envoyé le numéro de son collègue ni fourni d'autres informations sur le processus.***

“UNE ÉTRANGÈRE DANS MON PROPRE PAYS”

Même à l'intérieur du pays, de nombreux·ses membres de la diaspora tunisienne ne possédant pas la nationalité ont du mal à trouver les informations nécessaires pour accomplir les procédures d'obtention de la nationalité. Obligé·es de quitter le pays tous les 3 ou 4 mois (selon leur nationalité), ou bien de payer des pénalités de retard pour chaque semaine de séjour excédentaire, ces personnes composent tant bien que mal avec leur statut de touriste en Tunisie.

Pour l’instant, certain·es se contentent de cette situation, la nationalité passant après le sentiment d'appartenance. "Ce qui compte vraiment pour moi, [plus que le passeport], c'est d'avoir une vie tunisienne", explique Mari*, 29 ans, journaliste indépendante basée entre la Tunisie et la France qui sont les pays d'origine respectifs de sa mère et de son père. Elle a entendu dire qu'il était très difficile d’obtenir la nationalité tunisienne après 18 ans : une de ses amies, née de parents tunisien·nes, a réussi, mais sa sœur, pour une raison qui lui est inconnue, n'y serait pas parvenue.

D'autres recherchent activement comment revendiquer leur nationalité et établir leur résidence permanente en Tunisie. "Personne n’a l’air de penser que c'est un problème", déclare Inès, 21 ans, qui a récemment quitté la France pour s'installer en Tunisie.

Elle fait référence au manque général d'informations disponibles pour les personnes comme elle "qui essaient de ne pas se sentir comme des étrangers dans leur propre pays". Elle rapporte avoir reçu des conseils contradictoires, même de la part d'ami·es qui travaillent dans l'administration tunisienne, et avoir trouvé des informations obsolètes sur les sites internet du gouvernement. Par exemple, les formulaires fournis par le ministère de la Justice datent d'avant la réforme de 2010.

"Il est vrai que l'information n'existe pas en ligne", admet Hajer Hmila, une avocate spécialisée dans les affaires de d'obtention de la nationalité, "nous [les avocat·es] devons simplement apprendre avec l'expérience".

Elle recommande aux adultes d'engager un·e avocat·e car le fait de développer des relations avec les bon·nes administrateur·trices peut faciliter le processus. Elle affirme que l’on ne peut pas se fier aux informations fournies par les différentes administrations. "Pour chaque personne, ce ne sera jamais la même expérience".

Aymen, 44 ans, expert en stratégie numérique basé aux Pays-Bas, a tenté de nombreuses approches pendant une dizaine d’années pour régler les formalités liées à sa nationalité.

Son aventure a commencé lorsqu'il a trouvé une trace écrite de ce qu'il appelle "la véritable histoire de [sa] famille", après de nombreuses années sans nouvelles de ses parents biologiques. Il n’a jamais connu sa mère, de nationalité égyptienne, et son père, tunisien, violent, a disparu lorsqu’il avait neuf ans.

En découvrant des personnes portant son nom de famille de naissance sur Facebook, Aymen apprend qu'il a encore de la famille vivant dans le quartier de Bab Jdid, dans la médina de Tunis. Tous·tes les membres de sa famille retrouvée ont essayé de l'aider à revendiquer sa nationalité tunisienne. Des oncles et des tantes perdu·es de vue depuis longtemps ont trouvé des documents originaux, des neveux et des nièces ont joué les traducteur·trices, et l'ont même mis en contact avec des avocat·es pour l'accompagner dans les administrations et au ministère de la Justice.

Malgré leurs efforts, "il manquait toujours quelque chose", se souvient-il, frustré par l'impossibilité de vérifier les informations en ligne. Après plus de dix ans de rebondissements, Aymen en a eu assez.

"Je suis bloqué. Je ne sais pas quoi faire", reconnaît-il.  

L’ÉTERNELLE DISCRIMINATION DE L’ARTICLE 12

Selon les données fournies par le ministère de la Justice, 822 adultes anciennement concerné·es par l'article 12 (né·es à l'étranger de mère tunisienne et de père non-tunisien) ont déposé leur déclaration de nationalité entre le 1er décembre 2010 et le 1er décembre 2011. Ce délai d'un an fixé par la réforme ne concerne que les personnes ayant perdu leur droit à la nationalité tunisienne à l'âge de 18 ans, comme indiqué dans l'article 12. Mis à part ces 822 adultes, pour acquérir la nationalité tunisienne, il est nécessaire de passer par un processus de naturalisation pour devenir citoyen·ne ou d’épouser un·e national·e.  Rien n’est fait par les instances compétentes pour remédier à cette situation et lutter contre cette discrimination. 

Au-delà de la simple procédure d'enregistrement d'un·e enfant en tant que citoyen·ne, "la plupart des avocats et des administrateurs ne connaissent pas toute l'étendue des processus, car elle n'est pas codifiée", explique Abdelfattah Benahji, avocat senior du cabinet Ferchaoui & Associates et conseiller de plusieurs associations travaillant sur les questions liées à la nationalité.

"Le droit de la nationalité est l'une des disciplines les plus difficiles en raison de la diversité des centres de décision, de l'absence de délais légaux et du fait que les droits ne sont pas clairement définis".

Mounira Ayari, ancienne avocate et actuellement députée élue sur la circonscription Amériques et reste de l'Europe sur les listes du Courant démocratique, explique qu'elle a "beaucoup de cas en Europe et ailleurs d'individus qui ont raté leur chance de demander la nationalité malgré eux".

Elle affirme également avoir "préparé une initiative législative" qui modifierait le Code de la nationalité pour rouvrir et prolonger le délai pour "les [enfants de plus de 18 ans de femmes tunisiennes] qui n'étaient pas au courant de l'existence de ce délai" et n’ayant donc "pas eu la chance d'obtenir la nationalité". Bien que l'épidémie de coronavirus ait retardé ses efforts, elle affirme s'engager à "soumettre à nouveau [cette] demande" et espère "avoir une solution en 2020-2021".

Au-delà de ces cas précis, l'avocate et députée demeure confuse quant aux différentes voies vers la nationalité qui s'appliquent aux enfants de sa circonscription. Elle affirme que tout·e descendant·e tunisien·ne qui n'est pas enregistré·e à l'âge de 18 ans doit être naturalisé·e pour devenir citoyen·ne tunisien·ne à part entière. "Une fois vos 18 ans révolus, il n'est plus possible d'avoir la nationalité tunisienne, à moins que vous ne justifiez d'une résidence continue dans le pays", insiste-elle. Cependant, des informations fournies par l'Office de la nationalité prouvent d’autres voies de procédure à partir des informations fournies par l’Office de la nationalité.

Le ministère de la Justice, tout en affirmant qu'aucune déclaration de nationalité n'a été rejetée entre 1963 et 2010, rapporte que 489 personnes n'avaient pas pu être enregistrées. Le ministère n'explique pas les raisons qui ont empêché le traitement de ces dossiers. Cependant, il affirme qu'à la suite de la réforme de 2010, toutes ces déclarations ont été effectivement "traitées", sans entrer dans les détails.

OÙ en ÊTES-VOUS SUR LE CHEMIN DE LA NATIONALITÉ ?

Pour les Tunisien·nes "d'origine" de plus de 18 ans, ainsi que pour les personnes concernées par l'article 12 ayant manqué le délai de prescription d'un an pour demander la nationalité, il y a peu ou pas d'informations sur la procédure à suivre. Sur la base du Code de la nationalité, de témoignages et des conseils de plusieurs avocat·es, inkyfada a retracé les différentes voies qui s’offrent aux Tunisien·nes non-citoyen·nes revendiquant leur nationalité.

NATURALISATIONS : “VOUS POUVEZ ATTENDRE DES DIZAINES D’ANNÉES”

"Il n'y a pas de délais légaux pour le processus de naturalisation ; vous pouvez attendre des dizaines d’années", explique Benahji, en partie parce qu' "il n'y a pas de lois qui engagent les responsabilités de la Présidence".

Les demandes de naturalisation sont reçues par le ministère de la Justice, envoyées au ministère de l'Intérieur pour enquête, puis transmises à la Présidence du gouvernement, qui a le dernier mot.

Si le bureau de la Présidence décide d'accorder la nationalité tunisienne par voie de naturalisation, il publie des décrets présidentiels dans le journal officiel de la République (JORT) en listant les personnes auxquelles la nationalité a été accordée, ainsi que leurs date et lieu de naissance. Certaines années, de nombreuses personnes se voient accorder la nationalité, tandis que d'autres, il n'y en a aucune.

Document
Pour certaines années, le nombre de naturalisations acceptées est supérieur au nombre de demandes reçues, la Présidence n’ayant pas de délai légal pour rendre sa décision. Certaines demandes peuvent attendre des années avant d’être acceptées ou rejetées.

DES ORIGINES BAFOUÉES

Bien qu'elles ne répondent pas aux définitions actuelles de citoyen·ne tunisien·ne, de nombreuses personnes ayant un lien étroit avec la Tunisie ont décidé de retracer l'histoire de leur famille et, dans certains cas, de demander la nationalité.

Camille, 26 ans, réalisatrice et gérante d'un espace artistique, est l'une d’entre elles. Elle est arrivée en Tunisie avec un aller-simple. Sa mère, première de la fratrie à être née hors de Tunisie, n'a jamais revendiqué sa nationalité tunisienne, transmissible par sa propre mère, une juive tunisienne originaire de Gafsa, partie en France juste après l’indépendance en 1957.

Pourtant, Camille raconte de nombreux exemples de la façon dont les traces de familles comme la sienne restent ancrées dans la mémoire collective de la nation. "Ah, vous êtes juive tunisienne, vous êtes la bienvenue en Tunisie !", reçoit-elle fréquemment comme commentaire.

"Comment ça, nous sommes les bienvenus ?", interroge Camille avec sarcasme, "nous sommes ici depuis trois mille ans".

"C'est donc un peu comme un doigt d'honneur à l'Histoire", explique Camille à propos de son désir d'obtenir la nationalité tunisienne. "Tout le monde me dit qu'elle serait impossible à obtenir", mais elle pense que cela pourrait permettre “d’apporter des réponses à [sa] mère". Elle considère également que la tentative d'obtenir la nationalité est un acte politique "pour contrecarrer le déracinement commis par la colonisation, le sionisme et le nationalisme arabe".

Mais pour elle, la paperasse n'est pas seulement une question d'identité. Elle veut pouvoir vivre normalement en Tunisie, avec un statut légal de résidente et de travailleuse, une assurance maladie, etc. "J'aime ma vie ici", dit-elle en prenant une bouffée d'air ensoleillé, "il n'est pas toujours nécessaire d'avoir un but moral".

En théorie, depuis la réforme de 2010, les démarches pour obtenir la nationalité ont été simplifiées. L'enfant d'un·e parent·e tunisien·ne qui a émigré pour une raison ou pour une autre devrait bénéficier du même droit à la citoyenneté que l'enfant d'un·e parent·e tunisien·ne né·e en Tunisie. Mais derrière l’expression "Bien sûr que vous êtes tunisienne" se cache un système alambiqué et non codifié qui exige beaucoup de temps, de ressources et de persévérance pour obtenir ce droit. Et pour les personnes qui n'ont toujours pas le droit à la nationalité en raison de l'article 12, le Parlement tunisien n'a pas encore trouvé de réponse.