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Alya et Bassem, 3400 DT par mois, gagner sa vie derrière un écran


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24 Août 2018 |
Alya* a 34 ans, elle est mariée et mère d’une fille de quatre mois. Depuis 2014, elle travaille en tant que Community Manager, un métier en vogue en Tunisie, avec l’explosion du digital. Elle estime que ses compétences ne sont pas assez valorisées dans son pays. Pour assurer l’avenir de sa fille, elle n’exclut pas de partir à l’étranger. Elle et son mari gagnent 3400 dinars par mois.
Quand elle commence à exercer en tant que Community Manager (CM), Alya n’est pas prise au sérieux. Pour son entourage, ce n’est pas un vrai métier. “On me disait : ‘Tu, te moques de nous, tu nous dis que tu travailles, alors que tu es tout le temps connectée sur les réseaux sociaux !’”.

Avec le temps, ses ami·es et sa famille comprennent l’importance de son métier, en la voyant gérer les comptes (Facebook, Twitter, etc.) de grandes marques et en s’assurant qu’elle parvient réellement à gagner sa vie grâce à ce métier.

Employée dans une agence de communication, Alya débute avec un salaire de 800 dinars par mois. Elle doit gérer les comptes sur les réseaux sociaux de trois à cinq client·es, avec un volume horaire qui varie entre 8h et 12h par jour. Elle travaille aussi les week-ends.

“Même si tu veux prendre ton week-end, tu peux toujours être sollicitée par le client”, déplore-t-elle. Sans jours de récupération, ni de paiement des heures supplémentaires, les conditions de travail sont difficiles. Mais Alya se fait une raison. “C’est la nature même du travail de CM”, juge-t-elle.

Quatre ans après, Alya gagne 1400 dinars par mois avec un autre avantage, celui de pouvoir exercer son métier depuis chez elle. Mais elle se rend vite compte des inconvénients. Constamment contactée par son agence ou harcelée par des client·es de jour comme de nuit, la jeune femme n’arrive pas à se déconnecter.

Si Alya apprécie tout de même son travail, elle estime être sous-payée. Elle déplore le fait que ses compétences soient dévalorisées en Tunisie, comparé à une précédente expérience à l’étranger. Entre 2007 et 2009, elle avait en effet exercé le métier de Community Manager en France. Elle était alors payée 2500 euros et gérait moins de client·es.

Son mari Bassem*, ingénieur en informatique pour une multinationale, gagne quant à lui 2000 dinars par mois.

Voici le résumé des entrées et sorties d’argent du couple:

Après la naissance de sa fille, en décidant de travailler depuis chez elle, Alya a pu économiser l’argent du transport et de la nourriture. Avant, elle dépensait 300 dinars par mois en taxis et déjeunait au restaurant. À présent, elle dépense 70 dinars par semaine pour faire les courses et cuisine chez elle. L’argent ainsi économisé est utilisé pour couvrir les dépenses de sa fille, entre les couches, le lait ou encore les visites chez le ou la médecin·e.

Récemment, le couple a contracté un crédit pour acheter une voiture, mais elle n’a toujours pas été livrée. En attendant, Bassem prend le bus chaque jour pour se rendre au travail. L’aller-retour lui coûte 5 dinars. Alya et lui se sont arrangé·es pour habiter à une distance raisonnable de son bureau, à la Soukra, et paient un loyer de 800 dinars par mois. Pour déjeuner, Bassem utilise les tickets-restaurant qu’il reçoit de l’entreprise qui l’emploie, en plus de son salaire.

Chaque jour après le travail, le couple se pose pour prendre un café dans leur quartier. Le week-end, Alya et Bassem sortent dîner ou voient leurs ami·es pour un budget de 50 dinars par semaine. Il et elle partent en vacances deux fois par an, une semaine en hiver et une semaine en été, dans un hôtel en Tunisie. Chaque séjour leur coûte en moyenne 500 dinars.

Pour s’habiller, Alya et Bassem attendent les soldes, deux fois par an, et dépensent en tout environ 1000 dinars pour toute la famille.

Mais le couple doit limiter ses frais pour pouvoir aider des membres de la famille. Alya paie ainsi les soins de son père qui souffre de problèmes cardiovasculaires, tandis que Bassem envoie 400 dinars par trimestre à ses parents.

Voici le détail de leurs entrées et sorties d’argent :

Zone grise

Ces derniers mois, le couple a dû faire face à des dépenses imprévues et été contraint de contracter des crédits à la consommation en plus du crédit auto.

Cela a été le cas lors de la naissance de leur fille née prématurée et mise en couveuse un certain temps. Les soins supplémentaires ont coûté au couple 1800 dinars ajoutés aux 2000 dinars de frais liés à l’accouchement en clinique. “Heureusement que nous avons eu assez de cadeaux pour la naissance, cela nous a aidé”, précise Alya.

Pour ne rien arranger, Alya a récemment dû subir une opération en urgence facturée 3000 dinars par la clinique. Un montant qu’elle pourra rembourser en quatre fois.

La jeune femme n’a pas le détail du montant des crédits contractés, car ils sont gérés par son mari. Elle indique cependant qu’il et elle remboursent mensuellement une somme globale de 800 dinars.

À cause de ces trous dans leur porte-monnaie, Alya et Bassem ne parviennent pas à boucler les fins de mois. Le couple emprunte en moyenne 350 dinars par mois à des ami·es ou d’autres membres de la famille qu’il et elle rembourse petit à petit.

Futur

Lassée des hôtels tunisiens, Alya aimerait faire un voyage à l’étranger. Son mari, lui, voudrait acheter un ordinateur plus puissant dont la valeur pourrait varier entre 2500 et 3000 dinars. Mais, pour le moment, leur bourse ne le leur permet pas.

Pourtant, Alya ne se sent pas réellement frustrée. Elle se dit que si elle avait plus d’argent, elle dépenserait davantage. “Il faut juste apprendre à s’organiser avec ce qu’on a !”, affirme- t-elle.

En début d’année, elle fonde sa propre agence de communication dans laquelle elle veut s’investir progressivement jusqu’à pouvoir en faire son activité principale.

“Si l’agence marche bien et arrive à générer des revenus respectables, nous resterons en Tunisie. Sinon nous pourrons envisager de partir à l’étranger”.

Car l’idée de quitter le pays leur traverse souvent l’esprit. Alya et Bassem craignent en effet qu’avec leurs revenus actuels, il et elle ne parviennent pas à assurer un meilleur avenir pour leur fille, ni à acheter une maison. L’Europe de l’Est ou le Canada pourraient être des destinations à envisager car, selon Alya, elles offrent des opportunités de travail plus intéressantes. Cependant, elle n’est pas totalement acquise à l’idée de partir ailleurs. Après avoir vécu en France et souffert de l’éloignement du pays et de sa famille, elle ne voudrait pas réitérer l’expérience.

Mais si nous étions obligés de le faire, nous n’hésiterons pas !”, conclut-elle.