Stratégie terroriste en Tunisie : De la propagande à l’immersion

L’attaque d’un hôtel à Sousse confirme qu’un changement a eu lieu, dans l’action des groupes terroristes en Tunisie, il y a trois mois, quand ils attaquaient le Bardo, visant déjà un espace touristique et des civils. Analyse de l’évolution de la stratégie terroriste en Tunisie, depuis le 14 janvier 2011.
Par | 27 Juin 2015 | reading-duration 15 minutes

Disponible en arabe
L’attaque terroriste du 26 juin, qui a visé un hôtel dans la zone touristique El Kantaoui à Sousse et qui a fait 39 morts et prés de 36 blessés, pour la plupart des touristes, n’est pas une simple démonstration de force.

Elle n’est pas non plus à un nouveau décompte de victimes dans les rangs de ceux que les terroristes qualifient de "mécréants".

Selon les lectures de divers experts sécuritaires et militaires, cette attaque s’ajoute à celle contre le musée du Bardo, qui représente un tournant radical dans la stratégie terroriste en Tunisie et annonce le passage vers une nouvelle étape, plus avancée et plus dangereuse que les précédentes.

Terrorisme en Tunisie : Chronologie des évènements après le 14 janvier

Nous serions passés, aujourd’hui, à l’étape des "opérations d’immersion" (Al-inghimassia). C’est ainsi que la présente Abou Baker Naji (sans doute un pseudonyme collectif), théoriciens de l’organisation Al Qaida, dans son livre "La gestion de la barbarie". Ce livre est le document de référence d’Al Qaida et de l’ensemble des organisations islamistes radicales qui lui sont proches.

En Tunisie Katibat Okba Ibnou Nafaa l’avait évoquée dans un communiqué publié par Ifrikia média, outil médiatique de cette mouvance après l’opération de Sidi Ayich à Gafsa, en mars 2015. Au cours de cette opération un groupe d’individus appartenant à Katibat Okba Ibnou Nafaa, dont Lokman Abou Sakhr, dirigeant militaire du groupe, ont été neutralisés par les gardes nationaux.

Couverture du communiqué publié par Katibat Okba Ibnou Nafaa en réaction à l’opération sécuritaire, à Sidi Ich, prés de Gafsa, le 28 mars 2015, qui a mis fin au groupe terroriste dirigé par Lokman Abou Sakher.

Un retour en arrière permet de comprendre les étapes et changements de stratégies des groupes de présumés terroristes, durant les quatre dernières années, à la lumière de cet ouvrage.

On dénombre cinq étapes :

  • L'étape de prédication, de propagande et d'action sociale,
  • L'étape d'analyse de la situation,
  • L'étape des assassinats politiques et des attaques ciblées non revendiquées,
  • L'étape des faux barrages et des ceintures explosives,
  • L'étape des actions d'immersion. 

Etape de prédication, propagande et action sociale

14 janvier au 18 mai 2011

La fuite du président déchu Zine El Abidine Ben Ali, le 14 janvier 20011, lance cette première étape, qui durera jusqu’au 18 mai 2011, date du premier accrochage entre forces sécuritaires et éléments armés dans l’opération de Rouhia.

Après l’effondrement du pouvoir de Ben Ali, une amnistie générale est décrétée au profit des centaines d’extrémistes tunisiens qui étaient derrières les barreaux et d’autres en exil. Une telle situation a permis aux groupes extrémistes de mettre la main sur près de 700 mosquées dans les différentes régions du pays. Ces lieux de culte deviennent un endroit de prédication et d’appel au jihad. Les extrémistes ont su profiter de l’instabilité politique de la période pré-électorale de l’assemblée nationale constituante fin 2011.

En l’absence d’une organisation unifiée, des actions non coordonnées ont été menées par des groupes salafistes, jusqu’à la création par Seifallah Ben Hassine, alias Abou Iyadh, de l’organisation Ansar Chariaa en avril 2011. Abou Iyadh a donné le feu vert au père spirituel des salafistes jihadistes en Tunisie, Al Khatib Al Idrissi, pour qu’il prenne la tête du groupe salafiste jihadiste, qui avait refusé d’intégrer l’organisation.

Copies de publications djihadistes, distribuées par la branche propagandiste des djihadistes, devenue Ansar Charia, expliquant le jihad aux nouvelles recrues. Crédit image : Inkyfada.

En plus de la création de comptes sur les réseaux sociaux, de blogs et de sites électroniques, différents supports médiatiques ont été crées, comme Kairouan médias et Al Bayarek, pour assurer la diffusion des informations de la mouvance. Une large campagne de communication a été lancée, elle demandait la libération d’islamistes détenus, dont Omar Abderrahmen, Abou Katada, et d’autres Tunisiens ayant combattus avec l’organisation d’Al Qaida en Irak.

Cette étape est marquée par une augmentation de la propagande. Elle est assurée par des contacts directs avec les citoyens dans les mosquées, la mise en place d’action d’oeuvres sociales, dont le "couffin de Ansar Chariaa" et la diffusion, via les médias de la communauté, de la pensée salafiste jihadiste.

Le couffin de Ansar Chariaa a été une action claire et significative de l’étape d’actions de prédication et d’activités sociales de l’organisation, avant de passer à l’etape de confrontations avec les appareils de l’Etat. Photo publiée par Ansar Chariaa sur les réseaux sociaux.

Pendant toute l’année 2011, les salafistes jihadistes, sous la direction de Abou Iyadh et Al Khatib Idrissi, ont dénoncé la violence et ont déclaré rejeter le jihad en Tunisie, qui était, selon eux, une terre de prédication et non une terre de combat.

Mais les informations circulant dans les médias à propos de camps d’entraînement de jihadistes dans le mont Chaambi, à l’ouest du pays et au sud, et l’éventuel retour des Tunisiens qui avaient combattu à l’est de Libye, ne rassurent pas la population.

Etape d’analyse de la situation

18 mai 2011 — Janvier 2013

L’étape de prédication a duré deux ans. En parallèle, l’organisation Ansar Chariaa a créé, une branche armée, formée de groupes de cinq personnes qui avaient pour mission de tester la capacité de résistance de l’Etat face à ces groupes.

L’incident de Rouhia, le 18 mai 2011, marque le coup d’envoi de la deuxième étape de la stratégie terroriste en Tunisie. Ce fût une sorte de test. Deux soldats, Tahar Ayari et Walid Hajji, perdront la vie dans un affrontement armé entre les extrémistes et l’armée.

Les funérailles militaires du colonel Tahar Ayari, mort suite aux affrontements de Rouhia, dans le centre ouest de la Tunisie, le 18 mai 2012. Crédit image : AFP

L’année 2012 est marquée par plusieurs affrontements entre forces sécuritaires et groupes terroristes dans des régions du centre et du nord ouest du pays.

Les groupes terroristes ont profité de la passivité des autorités face au phénomène salafiste. Ainsi, les groupes ont pu faire entrer sur le territoire tunisien des armes et des explosifs, en provenance de Libye, qu’ils ont dissimulé dans des dépôts, découverts ultérieurement.

Face à cette situation, les citoyens tunisiens en ont appelé aux autorités pour assurer la stabilité sécuritaire, alors même que le groupe Ansar Chariaa se présente en sauveur.

En mai 2012, Ansar Chariaa réalise sa première apparition publique lors de la tenue de son premier congrès à Kairouan. Près de 5000 sympathisants y participent, selon des chiffres du ministère de l’Intérieur, alors que l’organisation parle de 40 000 personnes.

En mai 2012, l’organisation Ansar Chariaa avait organisé sont premier congrès à Kairouan. Plus de 5000 partisans s’y seraient rendus, d’après les chiffres du ministère de l’Intérieur. Photo publiée par Ansar Chariaa sur les réseaux sociaux.

Dans son mot d’ouverture du congrès, Abou Iyadh appelle à l’islamisation des médias, de l’enseignement, du tourisme et à la création de syndicats islamistes, pour faire face à l’Union générale tunisienne du travail (UGTT).

Son allocution était un mot d’ordre à l’adresse des sympathisants, qui, un mois plus tard, attaquent le palais Al Abdellia, sous prétexte que des photos portant atteinte à l’islam, y sont exposés. Cette action est suivie par l’attaque de l’ambassade américaine à Tunis en septembre 2012.

Ces deux incidents, ajoutés à celui qui avait eu lieu suite à la diffusion du film Persepolis, en juin 2011, ont permis de constater l’incapacité du ministère de l’Intérieur et du gouvernement de la Troika, alors dirigé par le mouvement islamiste Ennahdha, à gérer une nouvelle menace sécuritaire.

Oeuvres exposées au Palais Al Abdelia en 2012, qui ont ayant succité la polémique et provoqué la colère des salafistes. Photo publiée sur internet.

Etape des assassinats politiques et attaques ciblées non revendiqués

6 février 2013 – 9 août 2013

L’année 2013 marque un tournant en termes d’opérations terroristes en Tunisie, dans la quantité comme dans la méthode.

Pour la première fois, des assassinats politiques sont perpétrés et un changement de tactique est visible avec la mise ne place d’embuscades, tendues par els groupes terroristes aux forces sécuritaires et militaires.

Plus de 15 mois après les faits, l’auteur et l’instigateur des assassinats politiques reste inconnu, jusqu’à la revendication, dans une vidéo publiée sur Internet le 18 décembre 2014, par Abou Baker Al Hakim.

Ansar Chariaa a toujours nié la moindre implication dans les assassinats de l’opposant Chokri Belaid, le 6 février 2013 et celui du député Mohamed Brahmi, le 25 juillet 2013, tout en désignant comme auteurs des crimes les sympathisants de l’ancien régime, les hommes d’affaires et les policiers corrompus et ce, à travers le porte-parole officiel de l’organisation, Seifeddine Errayes.

L’assassinat du leader de gauche, Chokri Belaid, en février 2013, était un premier pas des extrémistes, qui souhaitaient mettre en place une situation chaotique.

L’assassinat de Chokri Belaid est suivi, cinq mois plus tard, de celui de Mohamed Brahmi et de la première embuscade tendue à une patrouille militaire, au mont Chaambi. L’attaque se soldera par la mort de 8 militaires.

Une série d’attaques, visant les patrouilles des forces de sécurité et des militaires, a lieu. Ces attaques provoquent un état de panique dans les rangs des forces sécuritaires.

L’insécurité ressentie par les citoyens a impacté leur confiance dans le gouvernement de la Troïka, qui, suite à la pression après l’assassinat de Mohamed Brahmi et la tenue d’un sit-in durant l’été, est contraint de quitter le pouvoir, au profit de la Troika (Ali Larayedh a remplacé le chef du gouvernement Hamadi Jbeli). Quelques mois plus tard, ce gouvernement laisse la place à une équipe de technocrates, c’est le gouvernement de Mehdi Ben Jomaa.

Qu’a gagné Ansar Chariaa et le mouvement terroriste en Tunisie, suite à ces assassinats ?

Pour répondre à cette question, il faut s’arrêter sur les concepts d’humiliation et d’épuisement, présentés dans le livre de Abou Baker Naji. Dans cet ouvrage, il parle de la gestion de la barbarie. Le concept veut qu’il y ait attaque et affaiblissement de l’Etat et de ses institutions, au point de le rendre incapable de gérer les affaires. Une étape qui est marquée par un vide facilitant l’apparition de "l’organisation de l’anarchie", ou la "gestion de la barbarie" selon le terme utilisé par Abou Baker Naji.

“Idarat Attawahoch”, la gestion de la Barbarie, de Abou Baker Naji ( sans doute un pseudonyme collectif ), est considéré comme un des livres djihadistes les plus influent.

Ansar Chariaa se rapproche donc de ses objectifs. L’organisation applique le concept de l’humiliation et de l’épuisement en favorisant un climat d’anarchie et accentuant ces actions, via les assassinats politiques et les attaques terroristes, provoquant ainsi un effondrement de l’Etat. Un objectif quasi atteint, notamment après l’assassinat de Chokri Belaid et quelques mois après celui de Mohamed Brahmi. C’est un dialogue lancé entre les différentes instances politiques et sociales ( UGTT, UTICA, ONAT et LTDH) qui permettra de trouver une sortie à la crise. La proposition de formation d’un gouvernement de technocrates pour gérer les affaires de l’Etat et préparer les élections législatives et présidentielles, est rapidement entérinée.

En parallèle, Ansar Chariaa se prépare à combler le vide, en utilisant les mosquées que l’organisation gère. Ansar Chariaa distille un sentiment de haine envers les institutions de l’Etat en les présentant comme partie prenante, aux cotés des partisans de l’ancien régime, dans la série d’assassinats. 

D’autres actions sont menées : 

  • Des patrouilles de salafistes, dénommées “police salafiste”, sont organisées pour assurer la sécurité générale dans plusieurs régions, notamment à Bizerte, Sfax et le Sahel .
  • Les actions sociales sont accentuées.
  • Des distributions d’aide aux nécessiteux et des actions de bénévolat sont organisées.
  • Des groupes sécuritaires et militaires secrets, sont consolidés : une katibat armée est déployée au mont Chaambi et dans les hauteurs : la Katibat Okba Ibnou Nafaa.

Ces actions ont contribué à l’émergence des organisations salafistes, dont Ansar Charia et le groupe Al Khatiba Idrissi, alors vu comme des sauveteurs, en s’appuyant sur la sympathie que leur accordait une large frange de la société. Mais la coalition des partis politiques, de la société civile et des syndicats, qui se sont rassemblés autour de l’Etat, ont favorisé un climat favorable au dialogue. Celui-ci a permis d’empêcher l’effondrement de l’Etat et de barrer la route aux salafistes qui prévoyaient le passage à l’étape de la “gestion de la barbarie” ou “organisation de l’anarchie” , en quelque sorte : créer un Etat islamique qui remplacerait les institutions officielles.

Abou Baker Al Hakim alias Abou Moukatel, un dirigeant de Ansar Chariaa et auteur de l’assassinat de Brahmi, révéle, fin mars 2015, dans une interview à Dabiq, journal anglophone de l’organisation de l’Etat islamique, que les assassinats politiques et les crimes terroristes avaient pour objectif de déstabiliser l’Etat et de créer d’un état de panique et d’anarchie afin de proclamer l’état d’alerte.

Une photo de Abou Baker Al Hakim alias ”Abou Moukatel”, publiée à “Dabeeq” (édition PDF de Daesh) pour illustrer une interview de lui.

Selon Abou Baker Al Hakim, les alliés de Al Khatib Al Idrissi ont répondu négativement à l’appel de l’état d’alerte, ce qui a affaibli les rangs des jihadistes et a crée une confusion. Le pays se lance alors dans une lutte contre le terrorisme, surtout après que le gouvernement d’Ali Larayedh, classe Ansar Chariaa comme organisation terroriste, en août de la même année. Cette décision facilitera la liquidation de certains dirigeants de l’organisation, alors que les leaders du mouvement ont pris la fuite en Libye.

Les terroristes se retrouvent éparpillés entre le mont Chaambi en Tunisie et le mont Derna en Libye. Selon les estimations du ministère de l’Intérieur, un groupe de près de trois mille jihadistes aurait rejoint le jihad en Syrie et en Irak.

Etapes des faux barrages et des ceintures explosives

17 octobre 2013 – 18 février 2015

L’année 2013 est la plus sanglante, en comparaison avec les deux précédentes et représente une étape cruciale dans le changement des groupes terroristes.

Après avoir été interdite l’organisation Ansar Chariaa décide de se venger et passe des attaques ciblées aux attaques de vengeance, en mobilisant le plus de moyens possibles.

  • Guet-apens tendues à des forces sécuritaires, en envoyant des messages erronés pour les prendre au piège les 17 octobre 2013 à Goubollat et 23 octobre 2013 à Sidi Ali Ben Aoun.
  • Attaque de patrouilles sécuritaires mobiles, composés de quatre éléments maximum. Les hommes sont abattus avant d’être dépouillés de leurs armes, le 23 octobre 2013 à Menzel Bourguiba et les 17 et 18 février 2015 à Kasserine.
  • Attaque de patrouilles militaires permanentes, le 16 juillet 2014 à Henchir Talla au mont Chaambi.
  • Utilisation des ceintures explosives et l’embrigadement des kamikazes, en prenant pour cible des sites touristiques fréquentés par des touristes et des civils tunisiens. Deux opérations ont été perpétrées le 30 octobre 2013. La première vise l’hôtel Ryadh Palma à Sousse, seul le kamikaze trouvera la mort, il n’y aura pas de blessé. La deuxième tentative a lieu prés du mausolée de Habib Bourguiba, mais elle sera mise en échec.
  • Fouilles organisées dans des bus et des taxis collectifs, à la recherche d’agent de force de l’ordre ou de militaire, afin de les abattre. Ces actions ont lieu à Aouled Manaa à Jendouba le 16 février 2014, à Sakiet Sidi Youssef le 26 juillet 2014, au Kef 6 novembre 2014 et à Touiref le 30 novembre 2014.
  • Fabrication d’engins explosifs et de voitures piégées. C’est suite à un accrochage survenu à Sidi Ali Ben Aoun et à l’explosion qui a visé un véhicule stationné près du poste de police de la Goulette le 27 juillet 2013, que ce plan est découvert. Il y aura ensuite saisie d’une importante quantité d’amonitrate et découverte de deux voitures piégées.
En 2013 et 2014 il y a eu une saisie, par les forces de l’ordre et les unités de l’armée, d’une grande quantité d’armes et d’explosifs. Crédit image : Inkyfada.

Ces opérations ont un caractère de vengeance, tout en démontrant une planification qui prouve l’existence d’un organisateur et d’un objectif précis. Mais quel est l’objectif visé, quand, pendant moins d’une année, les méthodes changent et passent à l’utilisation de ceintures explosives et de techniques de combat ?

On trouve une réponse dans le livre "Note stratégique", de Abdallah Ibn Mohamed, qui souhaitait adresser son message à Oussama Ben Laden après l’explosion des révolutions arabes et qui l’a publié dans un livre suite à la mort du fondateur d’Al-Qaida. On peut lire dans l’ouvrage :

"Les situations à venir, facilitent l’exploitation d’un espace géographique sans autorité centrale, ce qui permettra de créer l’état islamique, noyau d’un projet de Califat islamique à Cina, Al Anbar , en Lybie, dans le Sahara de l’ouest et dans le Darfour."

Adaptée au contexte tunisien, cette lecture explique qu’il s’agit effectivement d’épuiser l’Etat et de créer des entités parallèles, sous forme d’émirats islamiques, dans le but de fragiliser l’Etat et de créer des Califats, comme à Derna en Libye, à Mossoul en Irak, à Reffa et Alep en Syrie et comme la Katibat Okba Ibnou Nafaa au mont Chaambi.

Etape des opérations d’immersion

18 mars et 26 juin 2015

L’attaque du musée du Bardo est un réel choc pour les autorités tunisiennes et l’opinion publique. Cet évènement sans précédent, annonce l’entrée dans un tunnel sans issue.

Photo d’illustration d’un communiqué publié par Ifrikia media, branche propagandiste de Katibat Okba Ibnou Nafaa, revendiquant l’attaque du Bardo.

    L’analyse de cet incident rappelle les tentatives ratées du 30 octobre 2013, à Sousse et à Monastir, où deux kamikazes ont tenté de faire exploser deux espaces touristiques, fréquentés par des civils tunisiens et des touristes.

  • L’attaque du musée du Bardo aurait pu être perpétrée une année plus tôt. Elle aurait eu les mêmes impacts : affaiblir encore plus le tourisme et lancer une guerre psychologique. C’est l’analyse de la scène de crime qui permet de comprendre ses objectifs.
  • L’attaque ne visait pas l’assassinat de touristes, sinon l’attaque aurait pu être perpétrée dans un lieu sans risque. Le musée du Bardo est proche de deux casernes militaires et du siège de l’Assemblée des représentants du peuple.
  • La nature des armes (grenades, kalachnikovs et ceinture explosive), montre que l’attaque avait pour objectif le rapt d’un ou deux otages ou l’exécution d’un assassinat politique, sachant que ce jour là une séance d’écoute du Ministre de la Justice, du Ministre de la Défense et d’autres haut responsables avait lieu au sein de l’Assemblée.

On peut en déduire qu’avec l’opération du Bardo, le terrorisme en Tunisie a pris un nouveau tournant, constitué d’opérations d’immersion, réalisées par un kamikaze voulant devenir un martyr.

Les références à Al Qaida expliquent que l’opération d’immersion peut être définit comme suit : une opération perpétrée par un petit groupe de jihadistes, contre un ennemi en plus grand nombre; l’opération doit l’affaiblir et détruire ses bases, en utilisant une ceinture explosive, une voiture piégée, un bateau, un avion ou tout autre moyen sophistiqué. L’auteur de l’opération doit être déterminé à mourir pour le bien de ma Oumma (communauté) de l’Islam.

Il existe deux types d’opération d’immersion :

  • Les opérations d’immersion autonomes, essentiellement réalisées par un ou deux individus qui exécuteront l’opération à l’encontre de forces sécuritaires, militaires, de responsables politiques ou gouvernementaux, de touristes ou de simples citoyens, afin de mener une opération suicide, voire en utilisant un véhicule piégé, afin de tuer le plus grand nombre d’individus.
  • Les opérations d’immersion préparatoires se basent sur l’exécution du premier type d’opération, afin de baliser la voie avec un groupe organisé qui attaque le lieu, pour obtenir des otages, les abattre ou bien prendre de l’argent, en cas d’opération visant une banque.

Ces deux types d’opérations pourraient être l’évolution de la stratégies terroriste en Tunisie, si l’on s’en tient à l’annonce par Ifrikia Media, branche médiatique des groupes terroristes en Tunisie, lancée aux jihadistes d’attaquer les touristes, sans concertation avec les dirigeants de l’organisation.

Le même communiqué a revendiqué l’attaque du Bardo en la qualifiant d’opération d’immersion:

"Ils ont mené le combat pendant des heures et ont envahi les lieux, chacun à lui seul formait une armée et a lutté jusqu’à la mort, à l’instar des Sahaba et des frères à Raoued, de Jendouba et de Oued Ellil… et quand les munitions ont manqué certains sont morts, d’autre ont activé leur ceinture explosive (…) ils ont honoré leur promesse de combattre jusqu’à la mort , ils ont atteint leur but, ils sont tombés en martyr."

Ce pas, qualifié de dangereux, reflète une confusion au niveau de l’organisation et de ses dirigeants au niveau local, comme régional et son incapacité de mener des opérations organisées sur le territoire tunisien. Ce qui explique le recours à des kamikazes pour effectuer des attentats et continuer la stratégie d’épuisement de l’Etat et de perturbation de ses institutions, jusqu’àu passage à des attaques massives.

Il est fort possible que l’étape des opérations d’immersion soit soutenue par des opérations solitaires : "libération de l’initiative" ou "loups solitaires". Des opérations inscrites dans le manifeste de Katibat Okba Ibnou Nafaa, comme n’a jamais cessé de le rappeler l’organisation, alors qu’elle mène une guerre psychologique contre les institutions de l’Etat et les "des mécréants" de la société tunisienne.

Rappelons que Katibat Okba Ibnou Nafaa n’est plus la seule organisation terroriste qui monopole le contrôle des “jihadistes locaux” depuis l’attaque du Bardo revendiquée par l’organisation “Daech” dans un communiqué publié sur le compte Twitter de Ifriquia media.