LGBT : Le coup de pouce du Net

Avant de manifester dans la rue, les militants et membres de la communauté LGBT en Tunisie, se sont retrouvés sur le Net. Un espace sécurisé qui leur a permis de se connaître, discuter et se rendre visible.
Par | 17 Mai 2015 | reading-duration 10 minutes

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Depuis des années, le web a servi à la communauté LBGT tunisienne, comme lieu de rencontre, d’entraide et de discussion. En 2012, le buzz autour de la (fausse) sortie en kiosque de Gay Day Magazine, un site qui s’adressait à la communauté LGBT tunisienne, avait permis à un public plus large d’entendre parler de cette réalité. Les différents sites d’associations et comptes de réseaux sociaux sont preuves que l’anonymat est encore largement nécessaire, pour se protéger.

En 2012, le Gay Day Magazine, blog tunisien de la communauté LGBT, fait parler de lui. Il s’apprêterait à sortir en kiosque. Il n’en est rien. Mais cette rumeur, associée à une sortie du ministre des Droits de l’Homme de l’époque, se déclarant contre la liberté d’expression de cette communauté, rend visible, aux yeux d’un large public, l’existence d’une communauté qui a l’habitude d’être cachée.

A l’époque, son fondateur, Fadi, s’exprimait dans une interview et il expliquait que le blog, créé en 2011, devait servir à parler de la communauté LGBT, de l’homosexualité et à lutter contre l’homophobie. Un ancien contributeur du blog se rappelle :

"Cette première expérience virtuelle était importante. Nous avons d’abord été surpris. Mais en tant que membre de la communauté, je trouvais ça important de lire le blog, de partager ces articles pour donner de la visibilité. Ensuite, j’ai pris part à l’action."

Le blog Gay Day Magazine

Ce blog ne sera pas la seule initiative à voir le jour dans l’espace virtuel. Houssem*, étudiant et fondateur de Kelmty, a d’abord été membre de l’Association tunisienne de lutte contre les maladies sexuellement transmissibles, qui travaille sur la santé reproductive. Elle a longtemps servi d’ombrelle aux jeunes voulant travailler pour les droits LGBT en Tunisie. Mais agir sous la thématique "santé publique" est une parade qui ne peut durer qu’un temps.

La révolution a été le déclic : "La communauté LGBT a été visible et active pendant cette période. C’était un jour que j’attendais. Le jour où un changement pourrait avoir lieu", sourit-il.

En mars 2011, ils étaient deux administrateurs pour le lancement du compte Facebook de Kelmty. Aujourd’hui, l’équipe a grandi, les liens avec le reste de la société civile se sont tissés, les contacts avec l’extérieur se sont renforcés. Tout comme la page de Gay Day Magazine, celle de Kelmty compte environ 2700 mentions “J’aime” .

Le virtuel pour lutter contre le vide

Sur le compte du réseau social, les missions sont énumérées : définir les orientations sexuelles pour être capable d’argumenter, suivre les actualités, notamment les agressions, dénoncer les actes d’homophobie, militer contre les lois tunisiennes criminalisantes, trouver des solutions et donner des conseils aux membres de la communauté. Le texte se finit comme suit :

Notre but ultime est d’être accepté, de faire partie de la société sans exclusion et sans préjugés néfastes à une intégration saine des individus dans les lieux de travail, dans les écoles…

Aimer entre adultes consentants n’est l’affaire de personne tant que cela respecte la morale humaine et non théologique.

La création et la mise en ligne d’illustrations et de vidéos permet une visibilité encore plus grande. "Avec nos moyens nous voulions animer cette page et surtout nous avons essayé de bâtir des relations avec d’autres personnes… On voyait ça comme quelque chose de fort!"

Lors de son lancement, l’initiative essuie des attaques : "Des gens nous disaient que nous étions en train de récupérer la révolution. Nous avons été injuriés, menacés… Nous recevions également des messages de la part de prétendus journalistes, qui nous donnaient des rendez-vous dans des lieux étranges, le soir… Des traquenards pour des agressions en fait."

Page d’accueil de Kelmty

Ali Bousselmi, étudiant et président de l’association Mawjoudin – We exist, milite pour les droits humains. Pour lui aussi la révolution a permis un plus large champ d’action. "Avant la révolution je m’intéressais aux droits humains, mais je ne trouvais pas de structure. Je me suis rapproché d"Amnesty International, mais il y avait peu de jeunes à l’époque. J’y suis retourné après la révolution, pendant trois ans, et j’étais en charge de différentes commissions et des réseaux sociaux." Ali passe d’une tâche à l’autre : organisation d’événements, photos et community manager…

Il connaît l’impact des réseaux sociaux sur la communication. Cette expérience va lui servir pour l’association Mawjoudin, lancée en 2014, qui a reçu son accréditation en janvier 2015. L’organisation lutte pour l’égalité et les droits des personnes LGBT en Tunisie.

Les lenteurs et le risque de refus d’accréditation par l’administration tunisienne pousse Ali et ses amis à se lancer sur le net pour ne pas perdre de temps. "Au départ on a fait un lancement virtuel pour promouvoir l’idée. Il a fallu du temps pour pouvoir ouvrir l’association. Le but était d’être ouvert, afin que les personnes cherchant des informations puissent les trouver et comprendre l’état d’esprit et le mandat de l’association", explique Ali.

Houssem souligne lui aussi l’importance de la présence virtuelle avec pour objectif de sensibiliser la communauté LGBT en Tunisie, mais aussi la pousser à demander ses droits.

Agir en étant à l’abri

Si un des buts de la présence virtuelle était aussi d’évaluer le public qui pouvait être touché, et solliciter une mobilisation de la part des membres de la communauté, cela ne pouvait se faire que grâce à l’anonymat. En ligne, la sécurité physique des membres est assurée : "Les gens peuvent discuter librement, poser des questions, demander des conseils, sans être en danger", explique Ali.

Il souligne d’ailleurs l’importance de ces espaces pour les adolescents qui se posent des questions et qui ne trouvent pas à qui s’adresser

"Il y avait même Tunisian Gays Radio, un podcast qui diffusait une fois par semaine, avec des interviews et qui se focalisait sur des sujets LGBT", se souvient Houssem.

Le podcast était un rendez-vous hebdomadaire, posté sur Facebook. Internet a donc permis de communiquer et de discuter au sein de la communauté.

La communauté se soude et grandit

D’autres pages et comptes de réseaux sociaux affiliés ou non à des associations, ont vu le jour. Les associations Damj et Chouf ont leurs comptes, avec prés de 600 mentions “J’aime” chacune et début 2015, c’est Without Restrictions qui se lance. "Quand on voit que le mouvement grandit sur le net ça fait du bien, on voit que la communauté s’agrandit", explique l’ancien contributeur de Gay Day Magazine.

Esquiver les médias traditionnels

Illustration réalisée par Mawjoudin pour la journée du 17 mai 2014

Donner de la voix sur le net permet de contrecarrer l’absence dans les médias traditionnels et le traitement généralement homophobe qui est accordé à cette thématique. Houssem et Ali témoignent d’entretiens avec des journalistes qui tournent aux questions personnelles, déplacées, alors qu’il est d’abord question de défendre des droits humains, et qu’il n’y a pas de place pour le voyeurisme. "Je souhaite qu’il y ait un jour un plateau télé qui parle d’homosexualité de manière éthique, sans voyeurisme ni jugement", déclare Houssem.

Bientôt, un centre d’écoute virtuel ?

"Les jeunes se posent des question, il y a des pressions faites sur eux, il y a le poids de la société et des idées reçues… On sait qu’il y a des cas de suicide également", rapporte Ali.

Ces années de présence sur le net, à écouter la communauté parler de ses problèmes au quotidien, des peurs, des difficultés à faire face à la violence, des discriminations, mais aussi de l’article 230 du Code Pénal, qui sanctionne de 3 ans de prison les pratiques sexuelles entre personnes de même sexe, a donné une idée à l’équipe de Mawjoudin. "Nous avons remarqué qu’il n’y a pas d’espace d’écoute pour les personnes de la communauté en Tunisie. Or les gens ont besoin de parler, surtout les jeunes qui se posent des questions. Donc nous allons commencer par une initiative virtuelle", explique Ali.

L’idée vient d’une association palestinienne qui a testé le concept. L’homosexualité étant un sujet tabou, difficile de trouver une oreille à qui se confier, sans crainte de répercussions. L’anonymat qu’offre le net est la solution.

Un des membres de Mawjoudin est psychologue et ses compétences vont être mises à profit pour être plus efficace dans les réponses à apporter. En plus des conseils personnalisés, une fois par semaine, un chat en direct sera ouvert et animé par la psychologue, afin de créer des espaces de discussions.

Si l’espace d’écoute sera virtuel au départ, l’association veut, dès que possible, ouvrir un lieu. "Le problème, c’est la sécurité. Nous devons d’abord voir comment ont fait d’autres associations à l’étranger dans des pays où l’homosexualité pose encore problème", explique Ali.

De son côté, Houssem explique que ces quatre année de visibilité virtuelle ont permis de faire un tour d’horizon de la situation. "Ces années sur le net nous ont permis d’ouvrir les yeux sur la société actuelle et de se rendre compte que nous devions également lutter contre une certaine homophobie qui existait au sein même de la communauté."

La présence sur Internet aura donc permis à la communauté de parler librement, de faire sentir à ses membres qu’ils ne sont pas seuls, de lutter contre les idées reçues et d’affirmer son existence.