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Salwa, 45 ans, professeure universitaire et chercheuse dans une institution publique, 3059 par mois


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19 Mars 2022 |
Derrière son bureau débordant de dossiers, de projets de recherche et d’échantillons, Salwa* est enseignante dans une institution publique au Campus universitaire d’El-Manar. Son travail consiste à enseigner, à superviser les recherches de ses étudiant·es et à assurer plusieurs tâches dans différents projets de recherche.

12 ans après ses débuts dans la recherche, Salwa bénéficie d’une titularisation en tant que professeure assistante dans une institution publique affiliée au Campus universitaire de Farhat Hached d’El-Manar. La professeure a commencé sa carrière en travaillant comme "stagiaire" non rémunérée en 1999 dans une institution de recherche publique affiliée au ministère de l'Agriculture. Un an plus tard, elle a été recrutée comme chercheuse dans le cadre d'un contrat “d'assistance contractuelle". Elle a, ensuite, alterné plusieurs contrats de recherche précaires parallèlement à la réalisation de sa thèse de doctorat. Après l'obtention de son diplôme, elle a postulé pour le concours d'assistanat -un concours de recrutement dans l'enseignement supérieur public-, et n'a été titularisée qu'en 2012. 

"J'ai travaillé comme chercheuse dans des institutions publiques de recherche pendant 12 ans sous des contrats de travail précaires. La plupart du temps, je ne bénéficiais pas d'une couverture sociale", dénonce Salwa.

Deux ans après la signature de son premier contrat de travail, Salwa s'est mariée avec un jeune chercheur travaillant dans un domaine à peu près similaire. Déterminée à finir ses études et ses recherches scientifiques pour décrocher un doctorat et enchaîner les différents grades académiques, elle a suivi un parcours parallèle à celui de sa vie personnelle. Elle a ensuite eu une fille, aujourd'hui âgée de 16 ans.

En réalité, le temps de travail de Salwa se répartit entre les cours théoriques et pratiques, soit une moyenne de 285 heures par an, sans compter les heures supplémentaires entre l'encadrement des travaux de recherche des étudiant·es de master et les projets de fin d’étude.

La majeure partie de son temps, Salwa le consacre à des projets de recherche scientifique. Elle travaille actuellement sur 8 projets de recherche parallèles. Cependant, elle se plaint de la difficulté d'obtenir la rémunération de recherche scientifique allouée aux chercheur·ses. Certains salaires sont versés des années en retard, d'autres font l'objet de complications administratives.

Depuis 2013, Salwa perçoit un salaire mensuel de 2588 dinars après la mise en œuvre du dernier accord avec le ministère de l'Enseignement supérieur. Toutefois, ce revenu fluctue toujours entre les délais d'obtention des subventions de production, des heures supplémentaires, de recherche et de l’encadrement des étudiant·es. 

Salwa précise : " En théorie, les budgets des projets de recherche scientifique allouent de petits salaires aux professeur·es chercheur·ses. L'un de mes projets date de 2013 et je n'ai pas encore perçu la subvention prévue à cet effet à ce jour."

"J’attends toujours les projets de recherche sur lesquels j’ai travaillé au début de ma carrière. J’ai même réalisé une recherche en partenariat avec un donateur allemand qui n’a finalement transféré aucun fonds."

La professeure enchaîne : "Pour les projets de fin d'études, nous touchons en théorie une prime variant entre 300 et 400 DT pour l'encadrement d'un·e étudiant·e. Sauf qu'en réalité, la complexité des procédures me dépasse. Les primes sont toujours versées en retard, si bien que récemment, j'ai reçu une prime d'encadrement datant d'il y a 5 ans, et je n’ai même pas reçu toute la somme. De plus, les primes pour les heures supplémentaires sont très faibles." Ainsi, le revenu mensuel moyen provenant des primes est estimé à 288 par mois. 

Voici un aperçu de ses entrées et sorties d’argent mensuelles:  

Salwa voue un temps accru à la recherche scientifique tout en s'attachant à remplir ses fonctions de membre du comité directeur d'une association scientifique. Elle est également impliquée dans une association citoyenne qui rassemble les habitant·es de son quartier pour défendre leurs droits.

La majeure partie de ses revenus mensuels est consacrée au remboursement de deux crédits immobiliers qu'elle a contractés successivement, il y a quelques années, afin de construire une maison avec son mari dans la ville de Bordj-Cedria. Mensuellement, elle verse 1278 dinars. La professeure dépose 50 dinars par mois sur un compte épargne pour couvrir les frais des études supérieures de sa fille.

 La plupart des dépenses mensuelles - paiement des factures, nourriture et entretien de la maison - sont réparties entre elle et son mari. Tandis qu'il se charge du paiement de la facture d'électricité et des salaires de l'aide ménagère, Salwa est responsable du paiement des factures d'eau, de téléphone et d'internet. 

"La plupart du temps, les salles de classe et les laboratoires ne disposent pas de couverture internet. Je dois acheter un abonnement internet avec mon propre argent pour assurer la qualité des cours que je propose, et cela me coûte environ 30 dinars par mois."

En contrepartie, son mari prend en charge la quasi-totalité des courses et des dépenses alimentaires, de sorte que ça ne lui coûte pas plus de 150 dinars par mois. Cependant, elle assure une part importante de l'approvisionnement annuel de la maison en couscous, huile d'olive et poisson, ce qui lui coûte environ 900 dinars par an.

Salwa tente d'expliquer la répartition des rôles et des dépenses "Malgré nos efforts pour répartir les rôles, je me charge de la plupart des corvées ménagères. Nous mangeons souvent au restaurant avec notre fille les week-ends et les jours fériés pour éviter de cuisiner. Généralement, c’est lui qui paie.” Malgré cela, les repas au restaurant avec sa fille lui coûtent environ 250 dinars par mois. 

Voici les détails de ses entrées et sorties d’argent mensuelles: 

Quant aux vêtements et aux produits hygiéniques et de soins, Salwa prend entièrement en charge ses dépenses et ceux de sa fille. Elle choisit soigneusement des produits hygiéniques, cosmétiques, capillaires et des crèmes solaires moins nocives pour la santé. Elle privilégie les produits naturels, tout en scrutant les remises pour contrôler ses dépenses. Elle se procure également la plupart de ses vêtements aux friperies et auprès d'artisans textiles. 

"Auparavant, je boycottais les cosmétiques et les soins de la peau car ils contiennent beaucoup de produits chimiques. J'ai commencé à en acheter il y a quelques années quand j'ai commencé à trouver des produits naturels"

Bien qu'elle bénéficie d'une couverture sociale et d'une mutuelle assurance de l'enseignement qui compensent les frais médicaux, Salwa dépense environ 149 dinars par mois pour les soins médicaux et les médicaments. En effet, elle souffre d'une maladie chronique qui ne figure pas sur la liste officielle des maladies couvertes par la Caisse nationale d'ùassurance maladie et qui nécessite un traitement avec des médicaments périodiques qui ne sont pas disponibles en Tunisie. La professeure doit se rendre chez un médecin en France et acheter des médicaments une fois tous les deux ans. Cela lui coûte environ 398 dinars par an. D'autre part, elle dépense 100 dinars par an pour un traitement oculaire et des lunettes.

Comme la construction de la nouvelle maison arrive à son terme, Salwa dépense 400 dinars par an pour l'achat de meubles et d'équipements de cuisine. Elle aide avec un montant d'environ 75 dinars par mois les femmes de sa famille ayant de faibles revenus.

La professeure visite chaque semaine un espace culturel où se tient un club de musique engagé, et saisit les occasions d'assister à des séances de cinéma dans le hall situé en face du complexe universitaire. Elle fait aussi de temps en temps des sorties avec sa fille. Cela ne lui coûte pas plus de 74 dinars par mois. La famille loue annuellement une maison à proximité de la plage pour les vacances, dont les conjoints partagent les frais, ce qui leur coûte 300 dinars par an.

Zone grise

Salwa se plaint principalement du manque de ressources allouées à la recherche scientifique dans l'institution dans laquelle elle travaille, et à la recherche scientifique publique en général, ainsi que de l'absence de salaires accordés aux chercheur·ses dans le cadre de projets de recherche. Cela l'oblige souvent à dépenser de son propre revenu pour payer les frais de transport nécessaires au travail sur terrain, parfois même en dehors de la Tunisie.

Ces dépenses freinent également sa volonté de continuer à travailler.  "En conséquence, il y a une vague de réticence des professeur·es à l'égard de l'enseignement supérieur et de la recherche scientifique, certain·es optent pour des études et des bureaux de conseil privés, d'autres partent vers les pays du Golfe ou encore au Canada." décrit la professeure.

"J'ai reçu de nombreuses offres de bureaux d'études et de conseils privés. Je ne refuse pas de fournir mon aide dans certains projets de recherche, mais je considère que ces centres n'accordent pas assez de temps et de sérieux à la recherche scientifique en comparaison avec les institutions académiques."

Salwa maîtrise ses dépenses et ne rencontre pas trop de difficultés. Selon elle, ses dépenses ne posent pas de problème. Elle espère, bien sûr, que la Caisse nationale d'Assurance maladie couvre les frais de son traitement et que son médicament soit disponible en Tunisie, mais sa plus grande préoccupation reste la détérioration de l'état de la recherche scientifique publique et ses faibles capacités. 

D'autre part, elle s'efforce de réduire ses dépenses afin de pouvoir acheter une voiture qui lui évitera la pénibilité des transports publics entre Bordj Cedria et le Campus universitaire d'El-Manar. Cela lui permettra de se libérer des contraintes horaires du travail de son mari, qui est aujourd'hui assuré dans la capitale.

Or, elle n'a pas d'autre choix que d'emprunter à nouveau à la banque. Salwa explique : "Le prêt immobilier que j'ai obtenu n'est pas complètement étouffant car je le rembourserai au bout de 16 ans. Cependant, je suis obligée d'emprunter à nouveau pour acheter une voiture. Les prêts me suivront même après ma retraite".

Le professeur compare sa situation à celle du pays, sur un ton sarcastique : "Ma dette, comme celle de la Tunisie, est à long terme !"

Le futur 

Malgré son fort endettement, la professeure assume sa décision dans la mesure où il s'agit d'un choix personnel d'investir avec son mari dans un bien de valeur. 

En même temps, elle aspire à trouver des ressources pour restaurer la maison de son grand-père, héritée avec son frère, qui se trouve dans le village côtier dont elle est originaire. Elle déclare avec enthousiasme : "Après avoir rempli toutes les conditions requises pour le nouveau logement et avoir réussi à posséder une voiture, je vais travailler dur pour restaurer la maison de mon grand-père afin de préserver son caractère architectural unique avec ses décorations en bois datant du début du XXe siècle."