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Louay, 28 ans, coiffeur et guide de montagne, 1200 dinars par mois


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24 Octobre 2021 |
En 2011, Louay* décide d’abandonner ses études et se retrouve par hasard à travailler dans un salon de coiffure. En peu de temps, il maîtrise les compétences requises et devient un expert dans le domaine. Son travail lui permet de maintenir son indépendance financière malgré les imprévus de la vie et la difficulté du marché de l’emploi.

Louay est le cadet d’une famille de classe moyenne. Son père est fonctionnaire et sa mère est femme au foyer. Durant sa jeunesse, il n’a jamais eu à faire face aux responsabilités familiales et a pu profiter de son adolescence sans souci. Cependant, aujourd’hui, il est résolu à se construire un avenir qui lui garantit une tranquillité d’esprit et un épanouissement personnel.  

Depuis son plus jeune âge, Louay a été confronté à des problèmes respiratoires et à plusieurs allergies. Il explique : “Je ne supportais pas de rester enfermé à la maison ou à un seul endroit. J’avais une passion dévorante pour la vie et je voulais rattraper les années perdues où je n’avais pas pu jouer comme les autres enfants.”  

Le jeune homme fume régulièrement de la chicha et des cigarettes, en dépit des recommandations des médecins qui lui conseillent d’éviter tout ce qui pourrait porter atteinte à son appareil respiratoire, surtout que sa maladie est chronique et peut réapparaître à tout moment. 

Louay décrit son adolescence comme une période “d'explosion” :  ”Au lycée, je ne pensais pas à l’avenir et aux défis de la vie d’adulte, ni à ce que je devrais faire pour assurer un avenir meilleur.”

"Je n’ai même pas envisagé de devenir coiffeur. J’avais simplement un voisin qui était un coiffeur connu et j’avais l’habitude d’aller dans son salon.”  se rappelle-t-il

A cette époque, Louay n’avait que 17 ans et fréquentait régulièrement le salon de coiffure :  ”Je me suis retrouvé à y passer beaucoup de temps. Après avoir quitté le lycée, je suis devenu apprenti", raconte le jeune coiffeur

“J’étais un adolescent rebelle. J’avais abandonné l’école, et la coiffure ne faisait pas partie de mes priorités. J’ai fini par apprendre le métier après un certain temps.” déclare Louay, qui décrit cette période comme l’une des plus difficiles de sa vie en raison de son manque de discipline au travail.

Louay affirme que personne ne l’a aidé dans sa vie et qu’il a tout fait seul. Il admet avoir utilisé des moyens “légaux” et “illégaux”, par le passé, pour atteindre ses objectifs, notamment en escroquant des touristes pour des sommes considérables pouvant dépasser 400 dinars.  

Il précise, cependant : ”Je n’ai jamais volé ni commis d’actes illégaux.” Il explique qu’il flirtait avec des étrangers, sur les réseaux sociaux ou à l’hôtel où il travaillait, dans le but d’obtenir de l’argent qu’il dépensait pour se divertir ou se procurer de l’alcool.  

Le jeune homme affirme qu’à l’âge de 22 ans, il ne reculait devant aucune opportunité de séduire des filles. L’argent envoyé par celles-ci devenait une source de revenus dont il se servait. “Je me souviens d’une fois où j’étais en relation avec deux filles en même temps, une russe et une américaine. Elles m’ont toutes les deux envoyé de l’argent le même jour,” se souvient-il. “J’avais perdu ma carte d’identité. J’ai donc dû payer un ami 50 dinars pour que les transferts soient effectués en son nom et que je puisse les récupérer.” ajoute Louay.  

“La vie m’a enseigné que je ne peux ni blâmer les autres ni les circonstance, mais plutôt moi-même et mes choix. Aujourd’hui, je ressens une paix intérieure. Quant à mon passé, si je pouvais revenir en arrière, je ne referais pas les mêmes erreurs.”, regrette le jeune homme.  

Louay était auparavant un dépensier invétéré, notamment grâce aux pourboires laissés par les touristes. Son travail représentait pour lui une source d’argent inépuisable, jusqu’à ce que sa vie soit bouleversée par l’attaque terroriste contre l’hôtel "Impérial" en juin 2015.  

“Après cinq années de travail ininterrompu, je me suis retrouvé, pour la première fois, au chômage et sans épargne. Cela m’a beaucoup affectée psychologiquement. Mais j’ai surmonté cette épreuve et j’ai ouvert mon propre salon. Je suis fier d’avoir réussi cela par moi-même, sans l’aide de personne.” raconte Louay.  

En aménageant une partie de la maison familiale et en ouvrant une porte sur la rue principale, le jeune homme a pu établir son propre salon de coiffure. Il a tiré parti de l'un de ses principaux atouts : sa capacité à communiquer et à établir des relations avec les autres, ce qui lui a permis de gagner un grand nombre de clients. 

Louay évoque d’ailleurs un dicton populaire : “Si tu veux apprendre à ton fils à parler, fais-le travailler comme serveur ou apprenti coiffeur.” Il explique : “J’ai développé mes compétences sociales en côtoyant des personnes de différentes origines. Aujourd’hui, j’ai des relations dans le monde entier grâce à mes années passées dans l’hôtellerie. De plus, j’ai énormément appris en faisant du bénévolat avec les scouts et le Croissant-rouge, où j’ai noué de nombreuses amitiés.”  

Le jeune coiffeur ouvre son salon à huit heures du matin, mais le travail ne commence généralement pas avant dix heures. Sa priorité : travailler avec soin et fournir un bon service à sa clientèle. En même temps, il souligne que ses client·es sont souvent des connaissances des scouts ou du camping, ainsi que des amis et des membres de la famille avec lesquels il fume du cannabis.  

Le salon de coiffure de Louay est mixte et lui rapporte environ 1000 dinars par mois. En plus, le jeune homme gagne 50 dinars lors de randonnées hebdomadaires en tant que guide de montagne, ce qui porte ses revenus mensuels à 1200 dinars.  

Louay déclare que la plupart de ses dépenses sont consacrées à la consommation de cannabis, qu’il estime à environ 400 dinars par mois. En revanche, il dépense peu pour la nourriture puisqu’il ne mange que rarement dehors. Il profite également des soldes semestrielles pour acheter des vêtements, ce qui lui permet d’économiser davantage d’argent. 

Le jeune homme ne dépense pas d’argent pour ses loisirs. Sa passion : regarder des documentaires et converser avec des étranger·es. Pour maintenir sa santé mentale, il passe ses soirées seul à fumer du cannabis, ce qui lui permet de soulager son stress.  

Louay ne paie que rarement les factures d’électricité et d’eau puisque le salon fait partie de la maison familiale. De plus, il se procure gratuitement tous les équipements nécessaires à la prévention du Covid-19 auprès du Croissant-rouge et des scouts tunisiens.  

Quant aux frais du salon, selon le jeune coiffeur, ils ne dépassent pas une moyenne de 50 dinars par mois, étant donné que l’achat du matériel se fait à des intervalles de temps.

Par ailleurs, Louay n’a pas eu à faire face à des dépenses imprévues cette année, à l’exception d’une pénalité de la Poste tunisienne d’un montant de 86 dinars pour un compte non utilisé depuis sept ans.  

Pour Louay, cette période est transitionnelle. Il cherche à économiser de l’argent et se concentre sur son travail et l’amélioration de sa situation financière.  

Zone grise 

"Je suis fatigué de mon pays. La situation est difficile et inquiétante pour mon travail." Il poursuit en expliquant : "La valeur du dinar est en baisse depuis des années, et le domaine de la coiffure est en constante évolution, avec l'utilisation de nouveaux produits importés, notamment les produits capillaires pour femmes qui sont chers et souvent introuvables en Tunisie. De plus, les prix pratiqués sont très bas ici."  

“Je suis très investi et passionné par mon métier. Je suis au fait de toutes les nouvelles tendances. Cependant, j’ai été surpris par les tarifs pratiqués à l’étranger. Ce qu’un coiffeur américain gagne pour un simple rasage, il me faudrait trois jours pour le gagner en Tunisie.” raconte le jeune coiffeur.  

Louay estime que son travail lui rapporte peu en raison de la situation économique du pays et des conditions de travail. Selon lui, ce sont des choses qu’il est incapable de changer.  

Futur  

“Je pense que pour réussir, je dois immigrer . Cependant, je ne me vois pas partir avec une femme étrangère” affirme-t-il. Il ajoute ensuite : “Mon rêve serait de vivre dans un pays scandinave. J’y songe depuis longtemps, surtout depuis que nous sommes allés au camp de Choucha, à la frontière, pour accueillir des réfugiés.”

Louay y a rencontré une médecin norvégienne qui travaillait pour le Croissant-Rouge. Après des années de communication en ligne, ils ont commencé une histoire d'amour et ont même envisagé de se marier après son retour d'une mission en Irak.  

Cependant, quelques semaines plus tard, Louay a été bouleversé par la nouvelle de sa mort dans un attentat de l'État islamique. Sa perte l'a plongé dans un profond chagrin.

Actuellement, Louay cherche à immigrer au Canada avec l'aide d'un bureau spécialisé moyennant une somme de 15 000 dinars. Il souhaite rejoindre un groupe de collègues qui ont déjà réussi à partir, et il consacre la plupart de ses économies à la collecte de cette somme.