Le documentaire “Étudiants”, produit par Inkyfada et réalisé par Erige Sehiri, ouvre la porte du quotidien de plusieurs étudiant·es subsaharien·nes vivant en Tunisie. Pour aller plus loin, quatre protagonistes du film ont accepté de se livrer plus en détails. Entre déception et succès, loin des clichés, les personnages témoignent de leur vie de famille, leurs sorties, mais aussi des problèmes qu’ils et elles rencontrent.
Pour connaître les dates des prochaines projections du documentaire Étudiants, suivez Inkyfada sur Facebook et Twitter.
Janista Assengone (La Miss)
Gabon
À 26 ans, Janista Assengone a validé sa licence de droit privé à l’université Ibn Khaldoun. La jeune femme a suivi les conseils de sa mère, qui y avait suivi le même cursus. Mais contrairement à ce que cette dernière lui avait décrit, Janista a rencontré beaucoup de difficultés en Tunisie, à commencer par les problèmes administratifs.
Carte de séjour
“J’ai galéré pour faire ma première carte de séjour”, raconte Janista Assengone. L’étudiante est arrivée sur le territoire tunisien en 2014. À ce moment-là, “les relations entre le Gabon et la Tunisie n’étaient pas assez fortes pour me permettre d’avoir un visa de trois mois”, explique-t-elle. La jeune femme n’a alors qu’un visa d’une semaine pour effectuer toutes les démarches administratives et s’est vite retrouvée en situation irrégulière.
“Franchement c’est impossible”, souffle Janista Assengone, “il faut les papiers de l’école, ceux du logement et ça ne se fait pas en six jours. Il faut passer tout le temps à l’administration, tous les jours... Le bailleur peut te faire attendre, parfois pendant deux mois”. Même quand tous les papiers sont fournis, la carte de séjour provisoire peut mettre plusieurs semaines à être délivrée. Durant toute cette période, les étudiant·es n’ont aucun moyen de prouver leur légitimité sur le sol tunisien.
“La carte de séjour pour les étudiants, c’est le principal problème”.
Désormais, les formalités sont plus faciles. Les ressortissant·es du Gabon n’ont plus besoin de visa pour venir en Tunisie, ce qui leur laisse trois mois pour effectuer leurs démarches de carte de résident·e
Le racisme
En plus de ces problèmes bureaucratiques, Janista Assengone déplore les discriminations que peuvent subir les ressortissant·es subsaharien·nes, parfois pris·es pour cibles à cause de leur couleur de peau. “C’est difficile de circuler dans ce pays. Tous les étudiants subsahariens ont déjà été victimes de racisme”, considère Janista Assengone, “sauf ceux qui font juste école-maison, ou les nouveaux qui sont là depuis seulement quelques mois”.
Généralement, quand ils ou elles sont victimes d’un acte raciste, le réflexe n’est pas de se tourner vers la justice. “Ça ne nous traverse même pas l’esprit !”, justifie Janista Assengone. “Porter plainte contre qui ? Déjà tu ne parles pas arabe, c’est une première barrière qui est là. Tu ne vas pas t’en sortir !”
Au téléphone avec un ami au Gabon, elle n’hésite pas à décrire son quotidien. “Dans la rue, on va t’insulter, te taper dessus, on va t’agresser. Même si c’est pas fréquent, c’est déjà arrivé, donc il faut vraiment vraiment être prudent”, met-elle en garde avant de conclure, “les Tunisiens sont un peu racistes.”
Pour pallier cela et se sentir plus en sécurité, la jeune femme essaie toujours de sortir en groupe avec ses ami·es, qui sont pour la plupart subsaharien·nes. A l’occasion, quand Janista Assengone circule avec des Tunisien·nes, elle remarque la différence. “Je suis beaucoup plus tranquille surtout quand je suis avec des hommes.”
Le concours “Miss Afrique”
Durant son temps libre, Janista Assengone sort souvent en boîte de nuit avec ses proches, particulièrement au “Mosaïque”, un club dédié à la communauté subsaharienne. La jeune femme va aussi régulièrement au karaoké hebdomadaire organisé dans un café-restaurant de la capitale. En dehors de ces sorties, elle participe à des événements organisés par des associations de la communauté subsaharienne.
Par exemple, le 8 mars 2017, elle s’est qualifiée pour la finale du concours de “Miss Afrique”, mis en place par l’Association des étudiants et stagiaires gabonais en Tunisie (AESGT). Pour elle, cet événement est un moyen de “se distraire” et de se faire plaisir. “J’aime bien m’habiller, j’aime bien me faire belle”, raconte la jeune femme en souriant.
Pour la finale de cette année, Janista Assengone va présenter une danse traditionnelle gabonaise et également exposer un projet qui lui tient à coeur. La jeune diplômée compte utiliser ses compétences en droit pour décrire et mettre en avant les difficultés que rencontrent les étudiant·es subsaharien·nes à Tunis.
“Les étudiants ont des problèmes avec la police, ils peuvent se faire arrêter s’ils n’ont pas leurs papiers à jour ou pour des délits quelconques”, énumère-t-elle. Grâce à ses études de droit, la jeune femme espère pouvoir les aider à améliorer leurs conditions de vie. “Je peux apporter un plus à la jeunesse étudiante subsaharienne en Tunisie”, conclut Janista Assengone.
En attendant, l’étudiante doit achever son cursus. Cette année, Janista Assengone est en première année de master en droit privé. Pour l’année suivante, elle espère pouvoir partir dans un autre pays, souhaitant “découvrir autre chose, peut-être la France ou l’Afrique du Sud.” Avant cela, elle aimerait rentrer au Gabon “même pour deux ou trois jours”, n’étant pas retournée voir ses proches depuis son arrivée en Tunisie.
Hervé Etoughe
(Le père de famille)
Gabon
Hervé Etoughe a des journées bien remplies, entre sa famille et ses recherches de stage. En plus de cela, il s’investit dans les activités organisées au sein de l’Association des étudiant·e·s et stagiaires africain·es en Tunisie (AESAT), comme beaucoup d’autres jeunes subsaharien·nes.
De jeunes parents
Avant d’entamer son master en gestion des organisations, Hervé Etoughe a fait une licence en ressources humaines. “J’ai choisi la Tunisie car l’enseignement est de qualité et que la vie est moins chère qu’en Europe”, explique-t-il, “en plus mon grand frère y vivait déjà”.
Un an après son arrivée, Hervé Etoughe rencontre Mahily Ngouna. La jeune femme, également gabonaise, est arrivée à Tunis en 2011 afin d’étudier le droit des affaires à l’université Ibn Khaldoun. Très vite, ils se marient et en 2013, le couple donne naissance à un petit garçon qu’ils appellent Jaden.
“C’était compliqué au début”, se souvient la mère, “nos familles étaient inquiètes parce qu’on était encore en licence quand il est né”. La mère de Mahily Ngouna, qui vit au Gabon, leur avait même proposé de s’occuper de l’enfant le temps que les jeunes parents finissent leurs études, mais il et elle ont refusé. “C’est mon enfant, je vais m’en occuper”, lui a répondu sa fille comme une évidence.
Leurs familles les soutiennent donc à distance. Pendant toute la durée de leur séjour en Tunisie, ce sont leurs parents qui ont financé leur quotidien “à 100%”. Mais cela n’empêche pas les difficultés : “Quand on n’a pas encore reçu d’argent ou qu’on a mal géré notre budget, on se retrouve à chercher partout 200 millimes pour aller à la boulangerie”.
Le jeune couple a déjà tenté de trouver du travail en parallèle des études, sans succès.
“L’inconvénient, pour nous étudiants étrangers, c’est que c’est super difficile d’avoir un petit boulot, un petit taff à côté…” explique Mahily Ngouna.
“Les seules choses accessibles, ce sont les centres d’appel”, confirme Hervé Etoughe, “Mais il faut pouvoir supporter (les conditions)”.
À présent que leurs études s’achèvent, il et elle espèrent travailler rapidement et devenir indépendants financièrement. “C’est à nous de prendre le relais et surtout de nous occuper de notre fils !”, déclare Hervé Etoughe.
Au quotidien
Chaque jour, c’est la même routine. De 8h à 18h, Jaden reste à la crèche pendant que ses parents étudient. L’enfant est inscrit dans cet établissement depuis ses trois mois et ses parents ont fini par sympathiser avec les membres de l’équipe éducative. “La directrice appelle souvent pour demander s’il y a un souci quand Jaden ne vient pas”, raconte Mahily Ngouna, “et elle accepte qu’on paie un peu en retard”.
Comme le couple ne parle pas le tunisien, le personnel communique en français avec le petit garçon de quatre ans. Doucement, ce dernier apprend quelques mots de dialecte avec ses camarades. “Il connaît quelques petits mots”, dit sa mère en souriant, “demander de l’eau, dire merci, dire bonjour…”
En dehors de leurs études et de leur vie de famille, Hervé Etoughe et Mahily Ngouna participent aux événements organisés par l’AESAT, comme des soirées de gala ou les débats que l’organisation propose. “Je ne suis pas un membre du bureau de l’association, mais je les connais très bien et je participe à toutes leurs activités”, explique Hervé Etoughe.
C’est durant ces événements que le couple a rencontré une grande partie de ses ami·es. qui sont pour la plupart issu·es de la communauté subsaharienne. “C’est différent du Gabon ici”, décrit Hervé Etoughe, “les communautés sont plus proches, on les croise à l’université, dans les soirées…” Il et elle n’ont quasiment aucun·e ami·e tunisien·ne. Selon Mahily Ngouna, son mari et elle ont moins l’occasion de les rencontrer, “à part à l’université”.
“C’est toute la Tunisie qui va me manquer”
Hervé Etoughe et Mahily Ngouna sont très satisfaits de leur expérience en Tunisie. “Ça s’est bien passé toutes ces années,, on gardera de bons souvenirs”, dit Hervé en souriant. Son épouse confirme avec enthousiasme : “moi c’est toute la Tunisie, c’est tout le pays qui va me manquer”. Ils trouvent qu’il y fait “bon vivre” et que certaines choses sont plus accessibles que dans leur pays d’origine. “Par exemple, ici c’est très facile d’avoir Internet à la maison”, estime Mahily Ngouna, “au Gabon, c’est cher et la connexion est mauvaise.”
Par ailleurs, ils ne considèrent pas avoir eu de problèmes en Tunisie en tant qu’étranger·es. “En sept ans, je n’ai jamais vécu de vrai acte de racisme…”, estime Mahily Ngouna. “À part les petites insultes comme “Kahla”, “Kahloucha”… Mais bon je ne fais pas attention.” Hervé Etoughe pense également que le racisme n’est pas quelque chose de “récurrent”. Même s’il n’a jamais réussi à trouver de stage pour complètement valider son cursus universitaire, il ne relie pas cet échec à la question du racisme.
Malgré son affection pour la Tunisie, le couple envisage de partir très prochainement. “Je pourrais vivre ici, mais j’ai toujours eu pour objectif de rentrer après mes études”, dit simplement Mahily Ngouna, “je serais rentrée même si j’étais partie aux États-Unis !”. La jeune femme pense qu’il lui sera plus facile d’avoir des opportunités professionnelles dans son pays natal.
Les jeunes parents ont également hâte que Jaden puisse faire la connaissance de leurs familles respectives, n‘étant pas retournés au Gabon depuis leur arrivée en Tunisie. Avant cela, le couple doit encore faire légaliser ses diplômes universitaires. “Et faire une dernière balade”, conclut Mahily Ngouna.
Aboubacar Dobe Sidiki
(Le DJ)
Côte d’Ivoire
Aboubacar Dobe Sidiki est DJ depuis près de dix ans. Il est arrivé en Tunisie en 2013, sur la proposition d’un ami travaillant dans une boîte de nuit de la capitale. Le jeune homme saute sur l’occasion et quitte le Mali où il vivait alors. “C’était un nouveau défi et j’aime bien l’aventure”, commente-t-il en souriant.
Le jeune homme n’a eu aucun problème à entrer sur le territoire tunisien. “J’ai plutôt rencontré des difficultés sur place”, explique-t-il. Le DJ travaille tous les week-ends dans le même établissement, une boîte de nuit du centre-ville de Tunis. Occasionnellement, il anime les soirées organisées par l’Association des étudiant·es et stagiaires africain·es en Tunisie (AESAT).
Travaillant en extra, et donc sans contrat, il lui est difficile de justifier sa présence sur le territoire. “Je me suis inscrit dans une école et j’ai demandé la carte (étudiante), mais on me l’a refusé deux fois”, déplore-t-il.
Le jeune homme paie ainsi régulièrement les pénalités et sort du territoire “à l’occasion”. “Je n’essaie même plus de demander la carte. À chaque fois, je paie les frais d’inscription et finalement, ça ne marche pas. C’est beaucoup de dépenses pour rien”, résume-t-il.
Malgré ces problèmes administratifs, Aboubacar Dobe Sidiki se plaît en Tunisie et compte rester encore quelques temps. “Là où je vis, c’est chez moi, je m’adapte”. Il n’a pas vraiment d’ami·es proches tunisien·nes, mais selon lui, ce n’est pas surprenant. “Je suis quelqu’un d’assez réservé, je suis souvent chez moi.”
Au quotidien, il se sent tout de même assez intégré dans la société et ne “ressent pas de racisme”. “Il peut y avoir un ressenti de racisme, un comportement, une incompréhension mais je ne dépeins pas toute la Tunisie comme raciste,” explique-t-il.
“Pour moi, le racisme, le vrai, c’est quand il est institutionnalisé. Je ne le vis pas en Tunisie.”
Même s’il affirme ne pas se sentir discriminé, DJ Cisco veut donner la parole aux membres de la communauté subsaharienne afin qu’ils et elles puissent évoquer leur vécu en Tunisie, qu’il soit positif ou négatif. Pour cela, il a décidé de fonder une radio en ligne.
La voix des étudiant·es
Lorsqu’il crée “Radio Live Facebook” en août 2016, Aboubacar Dobe Sidiki a pour objectif premier de partager son expérience de DJ et d’inviter des Subsaharien·nes pour parler à l’antenne. “Ce n’était pas un projet rédigé, étudié. J’ai essayé de faire quelque chose et ça a marché. C’est l’instinct”, affirme-t-il, “Je suis parti de rien, et tout est un financement personnel.”
C’est dans son salon qu’Aboubacar Dobe Sidiki a aménagé le studio. Il utilise également son propre matériel. “Au début, je filmais avec le téléphone, puis la webcam et maintenant j’utilise un Reflex”, énumère-t-il en souriant, “En un an, on a fait énormément de progrès”.
Au fur et à mesure, le projet prend de l’ampleur et l’émission devient un lieu d’expression connu des membres de la communauté subsaharienne. L’équipe est désormais composée de douze personnes, “toutes volontaires”, précise Aboubacar Dobe Sidiki. En juin 2017, le fondateur fait le choix de changer le nom de la radio en “Radio Libre Francophone”, gardant le même acronyme. “Radio Libre Francophone, c’est un nom plus sérieux”, considère-t-il, “Live Facebook ça fait jeune, ça fait fun… Mais pour certaines situations, il nous fallait un nom un peu plus crédible.”
Le fondateur de RLF estime que l’un des problèmes principaux que rencontre sa communauté est l’accès à l’information car “les médias sont beaucoup en arabe”. L’équipe profite de l’émission pour transmettre certaines informations en se focalisant sur les sujets qui touchent leurs auditeurs et auditrices, comme la question migratoire.
“On ne pense pas à écouter la radio ou la télévision tunisienne…”
Le DJ animait régulièrement l’émission lors de son lancement. Désormais soutenu par une douzaine de personnes, il a choisi de se concentrer sur l’aspect technique et n’anime plus que deux chroniques, l’une sur la musique et l’autre sur le sport. Un an après son lancement, la page Facebook de la radio recense près de 34.000 abonné·es. “C’est l’aboutissement d’un rêve et c’est grâce à l’apport de chacun !”
À travers son expérience et la création de RLF, Aboubacar Dobe Sidiki veut montrer qu’il est “possible de réussir en Tunisie, même en tant qu’étranger et malgré le manque de moyens”. Il tente régulièrement d’inviter des personnes qui, selon lui, incarnent “des réussites africaines individuelles”. “Ma vision c’est donner de l’espoir à la jeunesse”, conclut-il, “cette jeunesse africaine qui a un peu perdu espoir”.
Blamassi Touré
(Le militant)
Côte d’Ivoire
“J’ai toujours voulu être avocat, c’est un rêve d’enfant que j’ai toujours eu”, se remémore Blamassi Touré en souriant. Afin de mettre toutes les chances de son côté, il travaille dur dès le secondaire. En Côte d’Ivoire, il est le premier non-voyant à obtenir un baccalauréat économie et gestion. Il entame ensuite des études de droit.
Un départ par défaut
À l’université, Blamassi Touré est déjà un militant de la première heure pour les droits des personnes non-voyantes. “J’ai fait deux grèves de la faim pour les droits des personnes aveugles”, raconte le militant, “et j’ai dirigé la seconde”. Pour défendre sa cause, il s’investit auprès de l’Association nationale des aveugles de Côte d’Ivoire, en parallèle de sa licence de droit.
Pour Blamassi Touré, les cours sont difficiles à suivre en raison du manque d’adaptation à sa cécité. Dans le même temps, la situation sécuritaire du pays se dégrade rapidement. Encouragé par sa famille, il commence à chercher une alternative hors de la Côte d’Ivoire. “La situation devenait compliquée et puis je crois que ma famille en avait marre de venir me chercher au poste de police !”
Il demande d’abord un visa pour la France qui lui est refusé, faute d’encadrement universitaire disponible pour une personne aveugle. De plus, Blamassi Touré a impérativement besoin d’une bourse, ses parents n’ayant pas les moyens de lui financer des études à l’étranger.
Tandis qu’il est dans une “confusion totale” sur son avenir, une amie qui travaille alors en Tunisie lui parle de l’Union nationale des aveugles de Tunisie (UNAT). Cette organisation propose de soutenir financièrement les étudiant·es atteint·es de cécité. Le seul parcours universitaire proposé est un cursus de kinésithérapie dans lequel Blamassi Touré s’inscrit par défaut.
“Je n’ai jamais aimé la kinésithérapie et je n’aime toujours pas ça !”, s’exclame le jeune homme. Il reconnaît avoir choisi “la première opportunité” qui se présentait : pour lui c’était “soit la kinésithérapie soit rester en Côte d’Ivoire”. Blamassi Touré suit ce cursus de 2004 à 2008 à l’école de physiothérapie de l’UNAT. Au cours de sa dernière année de licence, il commence à s’investir dans la vie associative de son école en développant un club culturel en plus d’un journal et d’une radio.
Tant bien que mal, l’étudiant obtient son diplôme et commence à travailler en faisant de la rééducation à domicile. Son but est de gagner de l’argent afin de reprendre des études de droit le plus rapidement possible. “Je savais que ce serait compliqué, que ça allait me prendre beaucoup de temps, mais je m’étais juré de devenir avocat. Il fallait que j’essaie”, dit-il avec force.
Vers l’associatif
Finalement, les études de Blamassi Touré prennent une tout autre voie. Quatre ans après avoir commencé à travailler comme kinésithérapeute, il commence un master en ressources humaines dans une université privée de la capitale. “J’ai finalement choisi ce master car si je voulais étudier le droit, il fallait que je retourne en première année, alors que j’avais déjà validé deux ans en Côte d’Ivoire”, justifie-t-il.
Dans son nouvel établissement, Blamassi Touré continue de s’investir dans les différentes associations étudiantes. Il organise des activités culturelles ou des débats au sein de l’université. C’est à cette époque qu’il rencontre les membres de la communauté subsaharienne et qu’il commence à fréquenter ce groupe.
Avant, “j’étais plutôt dans un milieu tunisien”, explique Blamassi Touré. L’étudiant en kinésithérapie côtoyait surtout des non-voyant·es de l’UNAT. Il était alors logé dans un foyer hébergeant une majorité de Tunisien·nes originaires d’autres régions, venu·es étudier à Tunis. “Quelque part ce sont des migrants comme moi, des migrants internes !”, s’exclame-t-il. “On a découvert la Tunisie ensemble.”
Sa nouvelle insertion au sein de la communauté subsaharienne lui permet de tisser de nouveaux liens et de s’investir dans des activités dédiées à cette communauté. En 2012, il est élu président de l’Association des étudiant·es et stagiaires africain·nes en Tunisie (AESAT), organisation dont l’objectif est d’améliorer les conditions de séjour des étudiant·es subsaharien·nes en Tunisie.
C’est au nom de l’AESAT qu’il soutient, en tant que partenaire, la fondation de “Tunisie Terre d’Asile” et la création de leur plateforme de soutien aux migrant·es, “La Maison du droit et des migrations”. Blamassi Touré rejoint cette organisation en 2015 et devient coordinateur du pôle accompagnement des associations du Grand Tunis, une fois son mandat avec l’AESAT terminé. Son rôle est d’accompagner le développement d’organisations qui œuvrent à améliorer la situation des migrant·es en Tunisie.
Pour Blamassi Touré, l’une des priorité est l’obtention de la carte de séjour. De nombreu·ses·x étudiant·es peinent à l’obtenir soit parce qu’ils et elles n’arrivent pas à rassembler tous les documents, soit parce que les autorités la délivrent en retard.
“La carte de séjour est parfois donnée au moment où elle expire !” s’exclame Blamassi Touré, “Et pendant ce temps, la carte provisoire n’est valable que trois mois. Les étudiants se retrouvent donc forcément en situation de pénalités…”
Aujourd’hui, lorsqu’un·e étranger·e est arrêté en situation irrégulière, il ou elle doit payer 20 dinars par semaine de pénalités, qui ne sont pas plafonnables. “Certaines personnes ne peuvent pas rentrer chez elles parce qu’elles ont accumulé jusqu’à 5 années de pénalités”.
Des préjugés tenaces
Cet investissement associatif découle directement du vécu de Blamassi Touré. “J’ai eu des phases très heureuses mais également des moments d’amertume”, résume-t-il pour parler de son expérience en Tunisie. Il garde un très bon souvenir de ses différentes rencontres, que ce soit au sein de l’UNAT, dans son foyer ou durant son cursus universitaire.
Pour autant, il n’oublie pas ses mauvaises expériences. “On m’a déjà posé des questions bizarres comme ‘Est-ce que vous avez des routes, des aéroports, des douches (en Côte d’Ivoire) ?’ ou ‘si tu es là, c’est que tu es le fils d’un ministre’”, rapporte Blamassi Touré. Parfois, les préjugés vont plus loin : “Est-ce que vous avez tous le sida ?”. Pour lui, ces remarques sont dues à “de l’ignorance” et existent uniquement car les Tunisien·nes ne connaissent pas “le reste de l’Afrique.”
Le militant estime qu’il est nécessaire de faire évoluer les mentalités pour améliorer la situation des migrant·es subsaharien·nes sur le territoire. Pour lui, l’engagement associatif n’est pas suffisant pour effectuer ce changement : cela nécessite une “prise de position” claire de l’État sur cette question. “Car je ne pense pas que la Tunisie soit fermée à l’immigration. Il faut juste changer cette image”, conclut-il.